Joyeuse Beltaine à toutes et à tous !
Étant donné que je fête habituellement avec vous la Samhain (fête celtique marquant le début de la saison sombre), je me suis dit qu’il serait également de bon ton de faire de même avec la Beltaine (qui marque donc le début de la saison claire).
Pour vous décrire brièvement l’évènement, il s’agit d’une fête de la lumière et du feu, se déroulant le 30 avril ou le 1er mai et célébrant le renouveau, le changement de rythme.
Il était notamment coutume de faire passer les troupeaux entre deux feux (les « Feux de Bel » - Belenos, le Dieu Celte du Feu et de la Lumière) pour les préserver des épidémies, de sauter par-dessus les flammes ou de danser autour d’un Mât de Mai.
Gravure intitulée : "May-Day In the Time of Elisabeth" ("Le Jour de Mai Au Temps d'Élisabeth") et réalisée par J. et G. P. Nicholls. Je précise que l'Ère Élisabéthaine s'est déroulée de 1558 à 1603).
Étant donné que je n’ai pas de ruminants sous la main, je vous propose (pour les jours prochains), 3 textes folkloriques issus de ma réserve personnelle. Ils seront (comme toujours) liés au folklore mais, contrairement à ceux de la Samhain, ils auront une thématique plus lumineuse, joyeuse et chaleureuse.
Je vous laisse donc profiter de cette journée ensoleillée et vous dis à très bientôt !
- Le Mât de Mai (tradition toujours pratiquée dans certains pays comme le Pays de Galles) est une sorte de danse où les participants se tiennent en cercle autour d’un poteau planté dans le sol, orné de longs rubans multicolores. Chaque participant prend un ruban pour tournoyer dans le sens des aiguilles d’une montre et faire en sorte que les divers rubans s’entrelacent.
Premier jour :
Pour démarrer, je vous propose un conte assez fleuri, provenant du Duché de Cornouailles :
« Il y a de cela fort longtemps, une vieille femme résidant sur une colline, à proximité d’un tumulus où venaient danser les Fairies (Fées), possédait un ravissant jardin dans lequel elle cultivait une belle corbeille de tulipes. Les Bonnes Dames se plaisaient tellement dans son jardinet qu’elles y amenaient parfois leurs nourrissons pour leur chanter des berceuses afin de les pousser dans les bras de Morphée. Souvent, lorsque la nuit drapait l’endroit de son obscur manteau, flottait dans l’air les accords d’une musique enchanteresse semblant venir des tulipes.
Dès que les nourrissons de l’Autre-Monde s’étaient endormis à ces mélodies, les Fairies regagnaient le champ voisin et passaient le reste de la nuit à danser pour laisser au matin des cercles sur le gazon, seule preuve de leur présence en ces lieux.
Leurs cabrioles achevées, les Bonnes Dames retournaient à la hâte se cacher dans les tulipes et s’occuper de leurs chérubins. Favorisés par les Faeries, les végétaux fleuris conservaient leur beauté plus longtemps qu’aucune autre fleur du jardin et, contrairement à leur nature, le souffle des Fées leur donnait le parfum suave des roses.
Une Fée des Fleurs réalisée par EngKit.
La vieille dame chérissait tant ses tulipes qu’elle ne pouvait supporter que l’on en cueille une seule. Mais un jour, elle rendit son dernier soupir et son héritier – plus pragmatique – détruisit les fleurs féériques pour les remplacer par un plant de persil …
Chagrinées et humiliées par cet affront, les Fairies firent sécher le persil sur pied et rendirent le sol stérile.
Si les Fées punirent l’insolent qui avait osé détruire leur jardin secret, elles couvrirent de leurs attentions la dernière demeure de leur ancienne bienfaitrice. Près de la tombe où reposait la vieille dame, on pouvait entendre, la nuit venue, des chants et lamentations à sa mémoire (excepté lors de la pleine lune où le Petit Peuple honorait l’astre d’argent par des danses et autres réjouissances).
Le tertre de cette amie des Fées se couvrit rapidement d’un gazon éclatant, parsemé des plus ravissantes fleurs et jamais aucune mauvaise herbe ne put croître sur ce sol. Ce sanctuaire végétal demeura fleuri jusqu’au jour où l’enveloppe charnelle de la vieille dame fut complètement retournée en poussière. »
- Le texte que vous venez de lire (remanié par mes soins) provient des « Contes Populaires de la Grande Bretagne » de Loys Brueyre.
- Même si le conte suivant semble assez marqué par un romantisme un tantinet mièvre, on peut voir émerger dans le texte le côté « Génie du Lieu » des Fées qui veillent sur l’endroit où elles résident, offrant la prospérité à ceux qui respectent leur sanctuaire et punissant ceux qui le « souillent » ou l’abîment.
- La Cornouailles (ou Cornwall) est un duché du Royaume-Uni situé sur la pointe Sud-Ouest de l’île de Grande Bretagne.
- « Bonnes Dames » est un synonyme pour désigner les Fées, au même titre que « Bonnes Gens » ou « Petit Peuple » s’applique aux Élémentaires (dont font partie les Fées).
En espérant que ce premier texte vous a plu, je vous dis à très bientôt pour le second. Bonne lecture !
Deuxième jour :
En guise de « plat de résistance » (littéraire), voici un conte ardennais assez court mais dont l’issue reste divertissante :
« Il y a longtemps de cela - au temps où il était courant que les Nutons rendent de menus services aux habitants de la région, un maréchal-ferrant demanda au Petit Peuple de réparer le soc de sa charrue. Les menus travaux achevés, l’artisan, bouffi d’ingratitude eut le toupet de tempêter contre ses bienfaiteurs, les accusant d’avoir « cochonné » le travail …
Illustration de Rien Poortvliet, un peintre et illustrateur néerlandais représentant un Kabouter, un cousin hollandais du Nuton.
Sa femme – craignant une possible vengeance des petits êtres - tentait de calmer son époux en lui rappelant qu’il n’avait pas cher payé leurs services mais ce dernier ne décolérait point.
Le lendemain, la femme du maréchal-ferrant ne put retenir un cri d’effroi en constatant que son chérubin avait été enlevé du berceau et remplacé par une étrange créature grimaçante, à savoir un « Changelin ». Apprenant la nouvelle, le père hurla de plus belle, menaçant d’aller perdre le « morveux » dans le bois le plus proche mais son épouse s’y opposa fermement et garda auprès d’elle le rejeton contrefait qui passait son temps à pleurer sans jamais dire un mot.
Plusieurs jours passèrent et la mère, épuisée par la situation, alla consulter une guérisseuse. Cette dernière lui conseilla de le forcer à parler à tout prix et lui révéla une astuce pour délier la langue du Changelin.
Rassurée, la mère rentra et fit comme le lui avait dit la rebouteuse : elle prépara un grand nombre de coquilles d’œufs, fixa un petit bâtonnet dans chaque réceptacle et disposa le tout autour du berceau de l’imposteur. Une fois sa tâche accomplie, elle se retira sur la pointe des pieds, se cachant dans un coin et épiant son « enfant ».
Ouvrant les yeux après une sieste, le Changelin remarqua les coques vides et s’écria :
« Dj’a véyou Brâmint dès loces mahantes, mins tot l’minme may tant qu’çoula .»
« J’avais déjà vu beaucoup de louches pour mélanger, mais jamais autant que cela. »
À peine eut-il prononcé ces paroles qu’une nuée de Nutons fit irruption par la cheminée, emporta le faux moutard et replaça le véritable enfant dans son berceau, au grand bonheur de ses parents.
Peu de temps après, le curé local vint lire l’évangile de saint Jean à l’entrée de la grotte (où résidaient les petits êtres) et depuis, les Nutons ne sont jamais revenus ... »
- Cette légende (remaniée par mes soins) a été collectée par le folkloriste Louis Banneux (1869 – 1931).
- Les Nutons sont de petits Élémentaires de la Terre que l’on retrouve principalement dans les Ardennes Belges et Françaises. Par le passé il était courant d’aller déposer devant leurs cavernes des objets à réparer en échange d’un peu de nourriture.
- Le Changelin sert souvent de leurre afin de subtiliser le nourrisson d’une famille. Il peut s’agir d’un Elfe, d’une vieille Fée ou d’un autre membre de la famille des Élémentaires.
- Ce type de légende est assez courant et se retrouve sous différentes formes mais garde dans l’ensemble la même structure (hormis la créature qui remplace le bambin et la méthode pour le récupérer).
- On peut supposer que le curé a été envoyé pour « exorciser » la demeure des Nutons. Le Petit-Peuple ayant souvent été diabolisé par le clergé, il était courant de le voir associé au Démon…
Voilà, en espérant vous avoir rassasié. Nous verrons le troisième et dernier texte (je l’espère) sous peu. En vous souhaitant une bonne lecture !
Troisième jour :
Pour terminer, je vous propose de faire un tour chez nos voisins nordiques avec le conte suivant :
« Thoms avait longtemps servi au village en tant que simple valet de ferme. Dans de nombreuses chambres de fileuses, il avait aidé à enrouler le fil et diverti l’assistance en racontant moult histoires. Fait étrange, il connaissait toutes les demeures où résidait un Nispuk et avait même travaillé dans l’une d’elle. Pourtant, et malgré tous ses efforts, il n’était jamais parvenu à en voir un…
L’automne venu, il changea de place et s’engagea dans une grande ferme.
Un jour, un des chevaux de la demeure fut pris de fourbure. Pour le soigner, il fallut donc le nourrir avec du son et de la paille hachée. Le fermier envoya Thoms au grenier et lui indiqua où il pourrait trouver rapidement le nécessaire pour traiter l’équidé.
En cherchant, Thoms trouva un vieux hachoir ébréché – sans savoir qu’il s’agissait de la couche du Nispuk de la demeure…
Son instrument au poing, Thoms plaça devant lui une botte de paille et, au moment où il allait commencer à la hacher, il sentit quelque chose remuer dans sa main.
Pensant qu’il s’agissait d’un Niss, il maintint sa pression et dit :
« Est-ce toi Niss ? - Oui, répondit l’autre. Ne me fais pas de mal et tu t’en porteras bien. »
Thoms le promit à la seule condition qu’il se montrât sous sa vraie forme, ce que le petit être lui accorda.
Méfiant, le valet lui redemanda :
« Tu ne mens pas ? - Je ne mens jamais, répliqua le Niss »
Des Nisses selon Kiri Østergaard Leonard.
Rassuré, Thoms le libéra. Reconnaissant, le petit être lui dévoila son véritable aspect et le pria de ne jamais trahir son secret, lui assurant qu’il s’en porterait bien.
Thoms tint parole et ils devinrent les meilleurs amis du monde ! Le jeune homme soignait bien son étrange compagnon et quand, au bout d’un an, il épousa la fille du fermier, le Niss partit avec lui.
Tout ce qu’entreprit Thoms réussit et il mourut riche et prévôt du village. »
- Cette légende du début du XXème siècle (remaniée par mes soins) provient du Schleswig.
- Nispuk ou Niss est probablement un Nisse, un Élémentaire du folklore nordique que l’on peut associer aux Génies Domestiques (qui s’occupent de la demeure où ils résident en échange de nourriture ou de menues offrandes), Nains ou Lutins.
- La Fourbure est une maladie grave qui touche souvent les chevaux. Il s’agit d’une inflammation et congestion du pied qui empêche l’animal de rester debout.
- Le Schleswig est un ancien duché qui se trouvait à cheval entre le Danemark (dont il a été le vassal plusieurs siècles durant) et l’Allemagne.
Et voilà que se termine le troisième et dernier texte pour la Beltaine (qui fut assez long à venir). Il ne vous reste plus qu’à attendre le début de la saison sombre (Samhain) pour en découvrir de nouveaux.
Je vous souhaite un bon début de semaine et vous dit à très bientôt !
Idraemir
Le fatras folklorique
Pendant de longues années j'ai amassé une quantité non-négligeable de savoirs sur de nombreux domaines (en particulier les mythes et légendes ainsi que la théologie). J'ai pu distiller ce savoir au fil de mes écrits sur divers BBS et me suis promis de leur trouver un coin pour les éventuels lecteurs, voire encore ceux qui désirent les redécouvrir. Sur ce, une bonne lecture à vous et si d'aventure vous désirez vous abonner, cliquez sur les liens à droite dans les liens utiles. Au plaisir !
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samedi 21 mars 2020
jeudi 18 juillet 2019
Nuits de Samhain - Troisième année
Joyeuse Samhain à toutes et tous !
Pour celles et ceux qui l'ignorent, Samhain se déroule pendant 7 jours (3 jours avant la pleine lune d'octobre, durant la pleine lune et trois jours après).
La fête (celtique) marque le début de la Période Sombre ou les portes de l'Autre Monde s'ouvrent, laissant passer les divinités, Esprits des défunts et autres Élémentaires divers et variés.
À cette occasion, il est devenu traditionnel pour moi de vous partager de courts récits liés à cette fête, à l'Autre-Monde ou a des thèmes similaires.
Je ne risque peut-être pas de le faire tous les jours en temps et en heure (mon calendrier est assez chargé pour le moment) mais vous aurez au final 7 courts récits remaniés par mes soins.
Un curieux petit Dragonnet créé par X-celebril-x.
N'hésitez pas à partager mes récits ou à conter les vôtres à vos proches et à votre famille.
À nouveau, Bonne Samhain et à très bientôt !
Première nuit :
Pour le premier texte, voici une légende bretonne, ma foi, assez atypique :
"Par une chaude soirée d'août, dans le village breton de Laudaduc, arriva du cimetière un bien étrange visiteur.
Vêtu de hardes rapiécées et couvertes de crasse, au point qu'il semblait raide comme un piquet, l'homme se déplaçait d'une démarche raide et saccadée, sans pour autant produire le moindre son de ses lourds sabots.
Sa trogne et son corps décharnés portaient les traits de la vieillesse et pourtant pas un os ne craquait.
En voyant ce sinistre mais silencieux visiteur arpenter les rues de Laudaduc, les habitants s'interrogèrent sur l'identité du vieillard, mais personne ne se rappelait avoir jamais vu un tel énergumène dans la région.
Un villageois plus hardi tenta d'attirer l'attention du marcheur silencieux, mais ce dernier ne daigna même pas tourner sa tête dans sa direction.
Un sale garnement lui jeta une pierre : le projectile atteint sa cible avec un bruit sec mais le bonhomme ne broncha pas, comme insensible à la douleur.
Gagnés par la peur, les habitants le huèrent en cœur afin de l'effrayer... en vain.
Devinant le pire, une mère de famille fit rentrer sa progéniture à l'abri, en n'oubliant pas de se signer et de fermer la porte à clé.
Postée à chaque fenêtre du hameau, la populace put voir le rachitique vieillard gagner l'auberge, de sa démarche lente mais inexorable.
À peine arrivé, l'étranger s'installa dans un coin de la cheminée sans que les autres consommateurs ne lui prêtent attention.
Malgré le fait qu'il n'y ait pas de feu dans l'âtre - une folie par cette chaleur étouffante -, le vieillard tendait ses mains sèches vers le feu inexistant, comme pour réchauffer sa vieille carcasse.
En voyant ce manège, les habitués crurent que ce voyageur n'avait plus toute sa raison ...
L'assemblée remarqua qu'il était vêtu de plusieurs vestes superposées dont la coupe était passée de mode depuis belle lurette. Les vêtements s'ornaient de pièces, de trous et d'une bonne couche de moisissure. De la terre maculait également son dos, son séant et ses jambes, comme pour parfaire le sinistre tableau.
Une petite servante, venue s'enquérir de sa commande, pu le voir dans toute son horreur : un visage émacié où il ne restait qu'une peau cireuse tendue sur les os, des lèvres desséchées laissant voir des chicots qui auraient fait pâlir un dentiste, des yeux chassieux semblables à des billes. Sans oublier ses mains, pareilles à des serres ou à quelque plante noueuse, qui se tendaient vers la source de chaleur inexistante du foyer éteint. Sa carcasse ne cessait de grelotter d'un froid hors de propos par cette chaleur estivale.
Tremblante, la jeune femme vit le sac d'os, tourner la tête vers l'étagère à alcools du bar et lui désigner du menton une bouteille d'eau-de-vie à la cerise traînant dans un coin.
D'un pas hésitant, elle alla quérir la fiole, remplit un verre et le déposa pour filer sans demander son reste, de peur d'être agrippée par ce Spectre errant.
À peine servie, la vieille carcasse tendit son bras décharné, agrippa le verre et avala le breuvage, machinalement, comme s'il s'agissait d'eau claire.
Même l'alcool ne semblait pas le réchauffer, il grelottait de plus belle, à croire qu'il venait d'ingurgiter un seau de glace.
Son verre vidé, il farfouilla dans la poche d'une de ses vestes pour payer mais, voyant son geste, la servante refusa d'un signe de tête.
Saisie d'étonnement, la relique semblait presque capable de ressentir une once d'émotion, mais il se garda de remercier la jeune femme et sortit aussi silencieusement qu'il était venu, sans prendre la peine de saluer les autres clients.
Passée la surprise, la petite servante clama à l'assemblée qu'elle venait de rencontrer un Spectre. Son refus de le voir payer sa commande était dû au fait qu'accepter l'argent d'un défunt était le plus sûr moyen de le rejoindre au tombeau.
Elle frissonna en repensant aux nombreux trous faits par les vers du cimetière qui constellaient la vieille trogne du défunt. Les autres clients ne purent retenir un cri de dégoût face à l'odeur tenace de résine qu'avait apporté avec lui le visiteur, un fumet d'après-vie que les vivants ne goûtent guère ..."
Vous aurez la suite de ce récit sous peu.
À vous de faire travailler votre imagination en attendant qu'arrive la conclusion.
Bonne lecture et bonne soirée !
Deuxième nuit :
Bonjour à toutes et tous !
Comme convenu, voici la suite de la légende bretonne introduite il y a peu :
"Le lendemain, on ne revit pas le Spectre de la journée. Aucun Fantôme ou Revenant ne ce serait risqué à sortir à la lumière du jour ! Mais le soir, à la même heure, il revint au village via la route du cimetière.
Il emprunta les rues - cette fois désertes - et entra dans l'auberge comme s'il était chez lui. Il s'assit au même endroit que la veille, toujours grelottant, et tendit à nouveau les mains vers l'âtre éteint.
L'aspect putride de son dos, malmené par le fond de son cercueil, suggéra aux habitués que ce pauvre hère devait être une Âme en Peine depuis au moins la Grande Révolution, donc oublié des familles les plus anciennes.
Dès l'instant où elle vit entrer son visiteur de la veille, la servante s'enfuit sans demander son reste. Avertie, la patronne prit - entre ses mains tremblantes - un verre et l'emplit d'eau-de-vie pour servir le Revenant revenu ...
Son verre vide, le vieillard montra à la tenancière qu'il désirait payer mais elle refusa d'un geste sec - qui lui coûtait, vu son amour pour le métal sonnant et trébuchant.
Se levant, le Spectre quitta l'auberge avec ce qui semblait être une grimace victorieuse et narquoise sur ses traits marqués. Les autres clients supposèrent que c'était ainsi que les morts montraient qu'ils étaient heureux...
Le recteur eut vite vent de cette histoire. Il sortit l'étole des grands jours et récita assez de prières pour la paroisse toute entière afin de garantir le salut des Âmes en Peine.
On lui demanda également de venir à l'auberge et de parler au vieux Spectre, mais il rétorqua que ça ne servirait à rien vu que dieu n'avait de puissance qu'en son église et en son cimetière.
Par précaution, l'homme d'église usa également sa réserve de cierges (empestant l'édifice d'une acre odeur de suif pour un bon bout de temps) et arrosa la terre des morts d'un tel déluge d'eau bénite qu'un passant aurait pu s'imaginer que le cimetière venait d'essuyer une pluie diluvienne.
Mais, malgré toutes ces mesures, la terreur s'insinua lentement mais sûrement dans le cœur des villageois, attisée par les histoires de Revenants que les familles se racontaient le soir coin du feu. Les aïeux du village crurent bon de partager leur expérience personnelle avec le surnaturel et l'on parla bientôt de suceur de sang, de dévoreur de chair et de moissonneur d'âmes ... Bref, dès la nuit tombée, l'intégralité du village se terrait dans leurs maisons en prenant bien soin de barrer les portes.
De son côté, le Spectre revenait chaque soir à l'auberge et il trouvait immanquablement - à sa place habituelle - une pleine bouteille d'eau-de-vie à la cerise et une bonne flambée pour réchauffer ses vieux os vermoulus.
Malgré toutes ces attentions, le froid ne semblait jamais vouloir quitter cette vieille carcasse grelottante, qui désormais avait la salle pour lui seul.
Les jours passant, la peur céda la place à une grogne générale. Les habitants en avaient assez de voir ce mort rôder dans leur village et les plus hardis scandèrent bientôt un : "Mort au Mort !" retentissant.
Les couards comme les braves joignirent leurs forces et s'armèrent pour donner une bonne leçon à ce Spectre qui terrorisait leurs mioches et faisait pleurer d'angoisse leurs femmes. Ils se dirent également que s'ils le laissaient aller et venir à sa guise, bientôt d'autres carcasses sortiraient de leurs tombes pour suivre son exemple. Peut-être que Landaduc finirait envahie par des milliers de morts, avides de se réchauffer et de vider les réserves d'eau-de-vie. Après tout, qui savait ?
Puisqu'il n'était pas possible de tuer ce qui était déjà mort, au moins pourraient-ils tenter de le décourager de revenir en lui brisant quelques os !
Le soir décidé, on laissa le vieux Spectre aller à l'auberge une dernière fois où il put boire son content d'alcool. On lui servit même une double dose afin qu'il comprenne qu'on ne lui reprochait pas son penchant pour la boisson mais sa présence malvenue.
Foule en colère par Kostja Schleger.
Une fois sorti, dix hommes le suivirent de loin, se rapprochant peu à peu, le laissant dépasser la dernière maison du village et gagner le chemin du cimetière.
À proximité des champs, quelques mètres avant sa demeure mortuaire, le plus hardi des villageois poussa un cri de guerre si retentissant qu'il aurait pu éveiller les morts... Pourtant, le principal intéressé ne se retourna même pas tant ses oreilles devaient être bouchées par la terre.
En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, les dix hommes frappèrent de leurs matraques le cadavre ambulant. Les coups tombèrent sur sa tête, son échine, son bras, ... pas un endroit ne fut épargné au Spectre qui s'était effondré dans la poussière au premier choc.
Malgré la rudesse de la leçon, il ne tomba pas en poussière, ni ne disparut. Non, il s'écroula comme une masse, geignant, soudain sensible à la douleur tel un vivant !
Alors, s'arrêtant net, les villageois l'écoutèrent, bouleversés par cette soudaine révélation.
- Pou... quoi ? ... Pou... quoi ? ...
gémissait et grelottait le vieux vagabond. Sourd et muet, en froid avec les humains à force d'être rejeté de chaque village du Morbihan. À cause de son aspect macabre et de son odeur de charnier, il faisait fuir les enfants ; un état contre lequel il ne pouvait rien puisque c'était sa façon d'être.
- Pou... quoi ? ...Pou... quoi ?
pleurnichait le vieillard agité de soubresauts, son sang giclant et s'échappant de son crâne quasi fendu. Son visage, autrefois horrible était désormais un masque sanglant marqué par l'incompréhension. Il ne semblait même pas avoir remarqué qu'il avait parlé pour la première fois, sa gorge remise en place par les chocs et la souffrance.
- Pourquoi ? Pourquoi ?
Les meurtriers du dimanche auraient à cet instant donné leurs vies pour devenir sourds à leur tour et ne plus entendre les lamentations de ce vieillard... N'ayant jamais été à sa place nulle part, il pensait enfin avoir trouvé un accueil charitable et généreux dans ce village où il était chaque soir accueilli par une rasade d'eau-de-vie gratis, chose qu'il n'aurait jamais cru possible auparavant ...
- Pourquoi? ...
répétait-il faiblement, ne comprenant pas, lu qui avait été pris pour un de ceux de dessous tant il semblait déjà avoir un pied dans la tombe.
- Pour ... quoi ... a ... eu ... eu ...
Et, pour de bon, il se joignit à l'assemblée reposant six pieds sous terre."
- Cette légende bretonne à été réécrite par mes soins et s'intitule : "Celui Qui Avait Toujours Froid".
Le texte, dont la fin est assez tragique, montre que les parias, vagabonds et autres "originaux" étaient assez mal vus par la "bonne société". Pire, on les soupçonnait parfois de pratiquer la Sorcellerie ou d'avoir des accointances avec le Démon ...
Je vous trouverai pour la prochaine fois un texte un plus joyeux.
Bonne lecture et bonne soirée !
Troisième nuit :
Bonjour à toutes et tous !
Après avoir arpenté un petit village de Bretagne, je vous propose de vous rendre dans l'Empire du Milieu (la Chine) où le préfet local connaît quelques déboires domestiques.
"Au commencement de l'`Ère Yongwei (650 - 656), Zhang Cong était alors le Préfet de Nanyang. Alors qu'il dormait dans sa chambre, il entendit soudain des gémissements provenant de la bambouseraie devant son perron. Curieux, il s'approcha, mais ne trouva rien. Les nuits suivantes, ce tintamarre recommença et, voulant en avoir le cœur net, Zhang Cong fit une invocation :
"- S'il y a ici un Esprit, qu'il vienne me parler !"
La nuit suivante, un homme vêtu d'une tenue en loques et crasseuse surgit des bambous et se présenta en ces termes :
"Lors des troubles de Zhu Can, je servais dans l'armée, et j'ai été tué par Zhu Can. Mon cadavre et mon squelette se trouvent exactement devant la chambre de votre Excellence, et j'ai un œil endommagé par une racine de bambou, ce qui me cause des douleurs insupportables. Fort de la bonté éclairée de Votre Excellence, j'ai pris la liberté de vous en rendre compte et, si vous vouliez bien faire transférer ailleurs ma sépulture, ce serait un bienfait que je n'oublierai pas !"
Le Préfet répondit :
"S'il en est ainsi, que n'êtes-vous venu m'en avertir plus tôt !"
Et il promit de satisfaire sa demande. Le lendemain, il fit préparer un cercueil, et fit creuser le sol à l'endroit désigné par le Revenant. Effectivement, après mains coups de pelle et de pioche, on dégagea un cadavre dont l'œil gauche était percé d'une racine de bambou. On habilla le corps d'une tenue à la mode de son époque et l'on transporta bien vite ses restes hors des murs de la cité afin de les inhumer.
Une tombe improvisée illustrée par Anireal.
Par la suite, le Préfet dût rendre un jugement contre un vieillard et lui infligea la bastonnade. Ce traitement brutal provoqua le décès du pauvre vieux et la famille du défunt se résolut à le venger. Ils se concertèrent et convinrent d'attendre que le préfet sorte pour sa balade nocturne afin de le tuer.
Or, un terrible incendie se déclara dans la cité, s'étendant à plus d'une dizaine de maisons. Voulant enquêter, le Préfet s'apprêtait à sortir quand il vit surgir devant lui le Fantôme qu'il avait aidé naguère. Ce dernier retint son cheval et le mit en garde en disant :
"- Où Votre Excellence se rend-elle, au cœur de la nuit ? On trame un mauvais complot !
Le Préfet demanda aussitôt qui en était l'instigateur.
"- Ceux, dit le Spectre, qui ont l'autre fois offensé Votre Excellence !"
Prenant bonne note de cette révélation d'outre-tombe, le Préfet rentra chez lui et, le lendemain, il fit appréhender la famille incriminée ; l'interrogatoire confirma tous les dires du Fantôme, et l'affaire fut vite terminée.
La nuit même, le Préfet rendit hommage à son défunt bienfaiteur par une libation et il fit également ériger une nouvelle stèle sur laquelle étaient gravés ces mots :
"Son corps à la patrie a été sacrifié ;
Il garde même mort toute sa loyauté ;
Voici une âme pure, brave, magnifique,
Voici en vérité un Fantôme héroïque !"
- Texte légèrement réécrit par mes soins (je ne pouvais en rien modifier les dialogues) et provenant du "Guangyiji" (le "Répertoire des Étrangetés").
- Zhu Can était un célèbre hors-la-loi qui fit régner la terreur vers 605-615 (Dynastie Sui). Son petit plaisir était de capturer femmes et enfants pour ensuite les faire cuire et les manger ...
- Lors des procès, dans la Chine ancienne, la punition pour une légère offense (l'ivrognerie, l'insolence, les vols mineurs, ...), était d'infliger au coupable la bastonnade (des coups de bâton donc) avant de le renvoyer chez lui.
Le nombre de coups distribués dépendait du magistrat qui lançait au sol un certain nombre de baguettes. Chaque morceau de bois comptait pour cinq coups.
Le coupable était alors étendu face contre terre (maintenu par un officier, juché sur son dos) pendant qu'un exécutant lui appliquait sur le postérieur, le nombre de coups requis à l'aide d'un morceau épais de bambou fendu (également appelé : "Pan-Tsee").
En espérant que ces quelques informations supplémentaires ont pu vous faciliter la compréhension de ce texte. Je vous souhaite (comme toujours) une bonne lecture et vous donne rendez-vous pour la prochaine légende ou le prochain conte !
Quatrième nuit :
Bonjour à toutes et tous !
Dans un registre plus nordique (islandais pour être précis), voici un conte qui tend à prouver qu'il ne faut pas se moquer ou déranger les morts :
"Dans un lointain presbytère, vivaient un garçon et une petite fille. Le garçon avait la fâcheuse manie de terroriser la petiote, mais à force, elle s'y était habituée et ne craignait plus rien ; lorsqu'elle tombait sur un évènement ou une chose censée provoquer l'effroi, elle pensait que c'était son frère qui lui jouait encore un mauvais tour.
Un jour de lessive, les ménagères avaient nettoyé les draps blancs, les chemises blanches mais également les bonnets de nuits blancs (comme on en portait à l'époque) et avaient mis le tout à sécher sur les murs du cimetière.
Le soir venu, on demanda à la jeune fille d'aller rechercher le linge et cette dernière ne se fit pas prier. Sur place, elle ramassa les draps, chemises et bonnets. Alors qu'elle avait presque terminé, elle remarqua un Spectre blafard, muni d'un bonnet et juché sur une tombe. Elle pensa immédiatement qu'il s'agissait de son frère qui lui jouait un tour. Croyant que le prétendu farceur avait chipé un des bonnets qui avaient été mis à sécher, elle se précipita sur lui, lui arracha son couvre-chef, et lui dit :
"- Tu ne réussiras pas à me faire peur cette fois-ci."
Ensuite, elle rentra le linge pour constater que son frère était à la maison.
Une voleuse de Fantômes par Kim Sokol.
Les ménagères se mirent à trier le linge et trouvèrent dans la pile un bonnet de trop, taché de terre à l'intérieur. Voyant cela, la jeune fille commença à trembler de tous ses membres.
Le lendemain matin, on vit que le Spectre était toujours assis sur sa tombe mais personne n'osait aller lui rendre son bien. Les habitants cherchèrent conseil dans les environs. Un vieillard suggéra que la petite damoiselle aille rendre elle-même le bonnet au Spectre, qu'elle le remette en place sur sa tête, sans rien dire et que l'opération soit surveillée par les locaux ; sans quoi il y avait fort à parier que les choses se mettent à aller de mal en pis.
Soulagés de ne pas être désignés pour cette macabre corvée, les habitants forcèrent la fillette à aller rapporter le bonnet taché au Revenant. Elle y alla d'un pas hésitant, se présenta face au Mort-Vivant blafard, lui mit son bonnet sur la tête et dit :
"- Voilà. Tu es content ?"
Le Spectre réagit en un battement de cils : il la frappa et dit :
"- Oui. Et toi, tu es contente ?"
Sur ce, il plongea dans sa tombe et disparut. Sous la force du coup, la fillette tomba. Les gens accoururent pour la relever mais il était trop tard, elle était morte. Le garçon fut sévèrement puni pour lui avoir joué tout ce temps ces mauvais tours car on le jugea responsable de ce malheur et il arrêta de faire peur aux gens.
Ainsi s'achève cette histoire."
Ce texte islandais (remanié par mes soins) a été recueilli par Jon Bjarnason à Breiduvik. Ce petit texte pourrait être une sorte de leçon sur le fait de ne pas déranger les morts ou de les traiter avec respect, mais il possible que le thème de l'interdit à ne pas violer soit également présent (la fillette ne devait pas parler en présence du Spectre et elle a violé cette règle, le Spectre l'a donc punie pour avoir bravé l'interdiction).
Cinquième nuit :
Bonjour à toutes et tous !
Repartons vers l'Orient lointain (le Japon, pour être précis), où deux frères devront faire face à une menace bien tangible et brutale :
"C'est maintenant du passé.
Dans le district de "..." de la province de "...", vivaient deux frères qui vivaient de la chasse au daim et au sanglier. Chaque jour, ils s'armaient de leurs arcs et de leurs flèches et partaient ensemble dans la montagne traquer le gibier.
Ce soir-là, comme d'habitude, les deux frères avaient posé un piège - une longe perche tendue entre les fourches de deux arbres - et s'étaient perchés dans les branches, attendant qu'un daim passe pour lui décocher une flèche. À peine séparés par quelques mètres, ils se faisaient donc face.
C'était la fin de septembre, lorsque la lune ne brille plus, et l'obscurité était si dense qu'il était impossible de voir plus loin que le bout de son nez. Pour compenser ce handicap, les frères dressaient l'oreille pour tendre la corde au moindre bruit de sabot de daim mais, malgré leur vigilance, ils passèrent une bonne partie de la nuit sans "voir" passer le moindre gibier.
Lassé par l'attente, l'aîné commençait à somnoler, quand tout à coup, une main surgit de la cime de l'arbre où il s'était perché, agrippa son chignon et le tira vers le haut.
Surpris, l'aîné tenta de saisir la main et constata à son contact qu'elle était horriblement sèche et décharnée, pareille aux serres d'un rapace.
Un Oni par Disse86.
"Ce ne peut être qu'un Démon qui veut me soulever dans les airs pour me dévorer", pensa-t-il. "Il faut que j'avertisse mon frère là-bas, en face." Il cria, et son cadet ayant répondu à l'appel, il lui dit :
"- S'il y avait, à l'instant, une chose qui s'acharnait à me soulever par les cheveux, que ferais-tu ?
- Si c'était le cas, au bruit, j'essaierais de bien placer ma flèche.
- Eh bien, justement c'est le cas ! Une chose me tire là-haut par ce chignon !
- Bon, alors je vais viser en me guidant à ta voix.
- Oui, vas-y, tire !"
Vif comme l'éclair, le cadet se saisit d'une flèche empennée, banda son arc et décocha un trait. Dans le noir, il sentit que le projectile effleura le crâne de son aîné avant de se ficher - avec un bruit sourd - dans quelque chose. Alors il lança :
" - Je crois que j'ai fait mouche !"
L'aîné fouilla dans ses cheveux pour découvrir stupéfait une main, sectionnée au niveau du poignet dont les doigts griffus pendaient déjà mollement. Il la prit et cria :
"- Oui, tu l'as eue cette main qui m'agrippait, et elle appartient à quelqu'un ! Je la ramène avec nous. Bon, mais c'est assez pour ce soir, rentrons !"
Le cadet acquiesça, ils descendirent de leur perchoir et prirent le chemin du retour. Il était déjà plus de minuit lorsqu'ils arrivèrent à leur chaumière.
Or, ils partageaient leur modeste demeure avec leur mère, qui était si vieille qu'elle ne pouvait plus tenir sur ses jambes. Ils l'avaient donc installée dans une petite chambre close, coincée entre leurs deux chambres respectives.
En rentrant, ils entendirent leur mère gémir en émettant des sons étranges.
"- Pourquoi ces lamentations ?" demandèrent-ils à travers la porte en papier de riz de sa chambre. Mais ils n'obtinrent aucune réponse. Tenaillés par la peur, ils allumèrent une lanterne et examinèrent la main qu'ils avaient ramenée. Stupéfaits, ils virent qu'elle ressemblait à celle de leur génitrice et la détaillèrent sous toutes les coutures avant de comprendre qui était le propriétaire de ce membre tranché.
Ils emportèrent le morceau de chair et tentèrent d'entrer dans la chambre. Lorsque la porte glissa dans un bruit sec, la mère se leva d'un bon et hurla :
"- Vous allez me le payer cher, vous deux !"
Elle semblait prête à fondre sur eux et son expression féroce ne faisait aucun doute sur ses intentions. Les enfants jetèrent alors la main dans la pièce et dirent :
"- Mère, est-ce votre main ?" avant de rabattre vivement la porte et de s'enfuir loin de cette furie.
Après cela, la mère ne mit pas longtemps à expirer et lorsque les frères revinrent la voir ils constatèrent qu'il lui manquait une main, qui avait été sectionnée au niveau du poignet par une flèche. L'évidence s'imposa à leur esprit : leur mère étant devenue vieille, très vieille, avait perdu la raison et, s'étant changée en Démon, elle avait suivi ses enfants dans la montagne dans l'espoir de les dévorer.
Ainsi, les parents, lorsqu'ils atteignent un âge très avancé, deviennent immanquablement des Démons qui essaient de se repaître de leurs rejetons.
Malgré sa tentative pour les dévorer, les deux frères offrirent à leur mère des funérailles et honorèrent du mieux qu'ils purent sa mémoire et son souvenir."
Cette légende (retravaillée par mes soins) provient du "Konjaku Monogatari Shu" (plus ou moins : "Histoires Qui Sont Maintenant du passé"), un recueil japonais d'anecdotes (incomplet) qui aurait été rédigé vers le XIème siècle.
Les parties du texte indiquant le lieu où est située l'histoire ont été remplacé par des: "...". Ces éléments étaient présents dans le texte d'origine, je les ai donc laissés tels quels. Il est à supposer que ces fragments ont été effacés du texte recopié ou que l'auteur ne savait plus où l'histoire s'est déroulée mais a conservé la formule par convention.
- On peut voir dans le texte que la mère des chasseurs se change en "Démon". Le terme Démon n'est pas vraiment exact, il faut plutôt parler ici d'Oni (sorte d'incarnation de la force brute et incontrôlable), d'Hannya (Oni femelle dont le visage est rouge, doté d'une large bouche ornée de crocs et au front orné de cornes) ou éventuellement de Yama-Uba (Sorcière de montagne métamorphe, qui prend l'aspect d'une vieille femme hideuse aux cheveux blancs en bataille et à la large bouche).
- Le texte nous apprend également qu'à une époque, dans les régions rurales du Japon, les vieillards étaient abandonnés dans les montagnes ou les forêts pour qu'ils y passent leurs derniers instants. Cette tradition (appelée "Ubasute", que l'on peut traduire par : l' "Abandon d'un Parent") permettait - pragmatiquement - de se débarrasser des inactifs qui ne pouvaient plus aider la communauté. Pour ce faire, le fils portait son vieux parent sur son dos et le laissait dans un endroit abandonné loin de toute communauté. Une pratique que je ne vous recommande guère, comme vous le verrez dans le prochain conte...
Interlude folklorique :
Bonjour à toutes et tous !
Avant de passer au sixième extrait, je vous propose un petit interlude avec un conte germanique dont la morale ne devrait pas vous laisser de marbre :
"Il était une fois un vieillard, qui était presque aussi vieux qu'un chêne centenaire. Il ne voyait presque plus, n'entendait plus et ses pauvres genoux cagneux tremblaient de manière incontrôlable.
Un jour qu'il était assis à table et qu'il tentait - tant bien que mal - de tenir sa cuillère, il renversa quelques gouttes de soupe sur la nappe propre et en laissa couler un peu de sa bouche. Écœurés à la vue de ce triste spectacle, son fils et l'épouse de ce dernier décidèrent d'un commun accord d'envoyer "le vieux" prendre ses prochains repas dans le coin, près du poêle. On lui donna également une écuelle de terre pour manger et on ne prit même plus la peine de lui donner de quoi le nourrir à sa faim...
Attristé par la situation, le pauvre vieux regardait tristement en direction de la table, ses pauvres yeux fatigués étaient rougis par les larmes qu'il versait.
Une étrange création de Dave Whitlam.
Un autre jour, ses mains tremblantes ne purent tenir son écuelle, qui tomba au sol, se fracassant en mille morceaux. La jeune épouse, furieuse, le gronda, mais le vieux ne lui donna pour toute réponse qu'un pathétique soupir. Pour remplacer la vaisselle brisée, la jeune femme alla acheter pour quelques hellers, une assiette de bois grossière dans laquelle il dut manger désormais.
Un jour que la famille était en train de souper, le petit-fils, âgé de quatre ans, se mit à assembler par terre des morceaux de bois et copeaux qui traînaient.
"- Que fais-tu là ? lui demanda son père.
- Je fabrique une petite auge dans laquelle père et mère mangeront quand je serai grand."
Atterré par ces paroles, l'homme et sa femme se regardèrent un moment puis fondirent en larmes. Passé l'émoi, ils allèrent rechercher le vieux grand-père et le firent asseoir à table. À partir de ce jour-là, ils le firent toujours manger avec eux et ne lui firent plus jamais de reproches lorsqu'il lui arrivait de renverser un peu de soupe."
- Ce conte germanique (retravaillé partiellement par mes soins) a été collecté par les bien connus frères Grimm et fait partie des "Exempla" (un court récit censé donner une morale ou un code de conduite à suivre). Le message de ce conte ici est clair : traite tes aînés avec respect et égard au risque de subir plus tard le même sort.
- Dans les demeures allemandes de l'époque, la place près du poêle était surnommé "Hölle" (littéralement : "Enfer"). C'était l'endroit où l'on plaçait les personnes paresseuses, indolentes ou méprisées.
- Le "heller" (ou "haller") est une monnaie allemande qui devait son nom à la ville de Hall et qui fut produite à partir du XIIIème siècle.
Je vous laisse savourer ce court récit. En attendant que vienne la suite des textes liés aux Spectres, Revenants et autres créatures de l'Autre-Monde.
Sixième nuit :
Bon weekend à toutes et tous !
Pour cette fois nous ferons dans l'exotisme avec un conte d'Amérique du Sud aux accents macabres :
"Près de l'Ausangate vivait un homme, propriétaire de plusieurs alpagas. Il n'avait à ce jour qu'un seul fils : un bébé alors âgé de deux ans. Un jour, il alla faire une course au village, laissant sa femme seule avec son rejeton.
Affolée d'être laissée seule ainsi, la femme chercha partout son mari en disant :
"- Il va revenir, il va revenir, il arrive de suite." Comme pour se protéger de quelque malheur imminent.
Elle fixait sans cesse l'horizon, en quête de son époux, mais ce dernier ne se montrait point. Les heures défilèrent dans l'angoisse et bien vite, le soleil alla se cacher derrière une colline en dardant ses rayons crépusculaires.
Alors que l'astre solaire finissait de se coucher, surgit du côté du Chili, une femme vêtue d'une veste blanche. Elle courait dans les pentes, comme poursuivie par une bête sauvage.
Voyant cet étrange spectacle, la mère s'empressa de l'appeler :
"- Viens par ici !" lui dit-elle en lui faisant de grands signes de la main.
L'autre s'arrêta mais ne voulut pas lui prêter attention.
Alors l'épouse l'appela de nouveau :
"-Viens donc par ici !"
Semblant cette fois avoir entendu son appel, la femme vêtue de blanc se tourna dans sa direction et s'arrêta devant sa maison.
Rassurée de ne plus être seule, la mère déclara à la nouvelle arrivante :
"- Dormons ensemble. Mon mari est allé au village et il n'est pas revenu. Dormons tranquillement ici !"
Elle laissa entrer sa visiteuse et commença à s'affairer pour préparer le repas et mettre du bois sur le feu.
Sans doute réveillé par l'agitation ambiante, le bébé se mit à hurler. La femme vêtue de blanc dit alors :
"- Donne-moi ton bébé, je vais te le reprendre.
- Prends-le." lui répondit la mère en le lui tendant.
Voulant éclairer les ténèbres qui gagnaient la demeure, l'épouse tenta d'allumer une bougie, en vain ! De son côté le nourrisson ne voulait pas se calmer et il hurlait à pleins poumons. Agacée de ne pouvoir s'éclairer et d'entendre son petit brailler de la sorte, elle se tourna vers son invitée et dit :
"-Rends-le moi, je vais lui donner le sein."
La femme obéit et lui tendit le rejeton mais ce dernier - toujours en train de pleurer - ne voulait pas téter.
"- Laisse-le moi, dit l'autre, je vais le reprendre."
À peine le bébé fut dans les bras de la femme qu'il se tut.
Ayant enfin réussi à allumer sa bougie et à éclairer la pièce, elle se tourna soulagée vers sa voisine et dit :
"- Il s'est endormi ?
Ses dernières paroles s'étranglèrent dans sa gorge en voyant le spectacle d'horreur sous ses yeux : la femme en blanc avec la bouche pleine de sang et tenant la carcasse à demi dévorée de son bébé. La femme était un damné."
Illustration de Victor Lozada représentant Mictecacihuatl : la Déesse de la Mort de la Mythologie Inca (dont la tâche était de veiller sur les os des défunts).
- Ce texte quechua (remanié par mes soins) provient du livre : "Contes et Récits des Indiens Quechuas" de Joël Saugnieux.
- Vous remarquerez que les morts n'épargnent ni les jeunes, ni les vieux, ni même les enfants. Il est à supposer que la mère a amené le malheur chez elle en l'invitant de manière insistante dans son besoin d'apaiser ses craintes.
- La créature ne peut être définie avec précision, cependant elle appartient à la catégorie des "Affamés" : des Morts-Vivants qui déterrent et dévorent les cadavres ou dévorent les hommes.
- Les Quechuas ou Kichuas sont un groupe de peuples d'Amérique du Sud qui ont au XIIème siècle asservi les tribus rivales pour fonder l'Empire Inca.
En espérant que mon récit ne vous fera pas chasser à coups de fusil le prochain démarcheur qui se présentera à votre porte, je vous donne rendez-vous prochainement pour le septième et dernier récit de Samhain.
Septème nuit :
Pour achever cette série de textes en beauté, je vous propose de voir en détail ce que j'ai ramené du Nord de l'Angleterre. À savoir : la "Main de Gloire de Whitby".
Pour rappel, la Main de Gloire était un objet magique utilisé pour découvrir les trésors cachés, plonger les occupants d'une maison dans une sorte de coma afin de leur dérober leurs biens en toute quiétude. On l'associait également à la Plante Magique (ou le Démon Familier) appelée "Mandragore".
Le rituel de création d'un tel artefact peut varier d'une version à l'autre, mais en général il fallait la main tranchée d'un pendu, momifiée par un rituel spécifique, et une bougie faite (en partie) de graisse humaine (celle du défunt manchot ou d'un bébé) et de brins de chanvre (la corde du pendu).
Vous comprendrez qu'un tel objet de nos jours est rare et pourtant, il en existe encore un exemplaire dans la ville portuaire de Whitby.
La fameuse "Main de Gloire de Whitby", photographiée par mes soins.
"Le sinistre objet fut découvert par le Docteur J.E. Chalmers, lorsqu'il acheta un vieux chalet dans la localité de Danby.
En farfouillant, il trouva une main droite desséchée, pendue sur le linteau d'une porte.
La demeure avait auparavant appartenu à un homme de sinistre réputation (qui ne fut jamais arrêté, faute de preuves).
Malgré son côté macabre, Chalmers décida de conserver sa découverte. Les années passant, il songea parfois à enterrer la main dans le cimetière de Danby, mais finalement, avant de mourir, il en fit cadeau à l'historien Joseph Ford."
Le petit texte que vous venez de lire (entre guillemets) est une traduction partielle et arrangée (par mes soins) d'un article du site "Whitby Uncovered".
Les amateurs de bizarreries pourront aller voir la fameuse Main de Gloire - pour la modique somme de 5 livres - au "Whitby Museum". Un musée censé rassembler toutes les curiosités possibles et imaginables. Outre la fameuse main, vous y trouverez des fossiles de reptiles et reptiles marins (Sarcosuchus, Ichthyosaurus, Mosasaurus, ...), des défenses d'ivoire gravées, des reproductions de navires à l'échelle, des bijoux et jouets uniques, voire des curiosités telles que la fameuse Main de Gloire, une armure en fibre de noix de coco ou un étrange artefact censé prédire les tempêtes à l'aide de sangsues, ...
Pour celles et ceux qui veulent en savoir plus sur les Mains de Gloire ou se rafraîchir la mémoire. Je leur recommande d'aller jeter un œil sur l'article consacré aux Mandragores.
Vous y trouverez un chapitre détaillé sur les paluches de pendus.
Voilà que se termine les récits de Samhain pour cette année. J'espère que vous avez eu autant de plaisir à les lire que moi à les écrire.
Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter une bonne fin de weekend et à vous dire : à très bientôt !
Idraemir
Pour celles et ceux qui l'ignorent, Samhain se déroule pendant 7 jours (3 jours avant la pleine lune d'octobre, durant la pleine lune et trois jours après).
La fête (celtique) marque le début de la Période Sombre ou les portes de l'Autre Monde s'ouvrent, laissant passer les divinités, Esprits des défunts et autres Élémentaires divers et variés.
À cette occasion, il est devenu traditionnel pour moi de vous partager de courts récits liés à cette fête, à l'Autre-Monde ou a des thèmes similaires.
Je ne risque peut-être pas de le faire tous les jours en temps et en heure (mon calendrier est assez chargé pour le moment) mais vous aurez au final 7 courts récits remaniés par mes soins.
Un curieux petit Dragonnet créé par X-celebril-x.
N'hésitez pas à partager mes récits ou à conter les vôtres à vos proches et à votre famille.
À nouveau, Bonne Samhain et à très bientôt !
Première nuit :
Pour le premier texte, voici une légende bretonne, ma foi, assez atypique :
"Par une chaude soirée d'août, dans le village breton de Laudaduc, arriva du cimetière un bien étrange visiteur.
Village fantôme par Conor Burke.
Sa trogne et son corps décharnés portaient les traits de la vieillesse et pourtant pas un os ne craquait.
En voyant ce sinistre mais silencieux visiteur arpenter les rues de Laudaduc, les habitants s'interrogèrent sur l'identité du vieillard, mais personne ne se rappelait avoir jamais vu un tel énergumène dans la région.
Un villageois plus hardi tenta d'attirer l'attention du marcheur silencieux, mais ce dernier ne daigna même pas tourner sa tête dans sa direction.
Un sale garnement lui jeta une pierre : le projectile atteint sa cible avec un bruit sec mais le bonhomme ne broncha pas, comme insensible à la douleur.
Gagnés par la peur, les habitants le huèrent en cœur afin de l'effrayer... en vain.
Devinant le pire, une mère de famille fit rentrer sa progéniture à l'abri, en n'oubliant pas de se signer et de fermer la porte à clé.
Postée à chaque fenêtre du hameau, la populace put voir le rachitique vieillard gagner l'auberge, de sa démarche lente mais inexorable.
À peine arrivé, l'étranger s'installa dans un coin de la cheminée sans que les autres consommateurs ne lui prêtent attention.
Malgré le fait qu'il n'y ait pas de feu dans l'âtre - une folie par cette chaleur étouffante -, le vieillard tendait ses mains sèches vers le feu inexistant, comme pour réchauffer sa vieille carcasse.
En voyant ce manège, les habitués crurent que ce voyageur n'avait plus toute sa raison ...
L'assemblée remarqua qu'il était vêtu de plusieurs vestes superposées dont la coupe était passée de mode depuis belle lurette. Les vêtements s'ornaient de pièces, de trous et d'une bonne couche de moisissure. De la terre maculait également son dos, son séant et ses jambes, comme pour parfaire le sinistre tableau.
Une petite servante, venue s'enquérir de sa commande, pu le voir dans toute son horreur : un visage émacié où il ne restait qu'une peau cireuse tendue sur les os, des lèvres desséchées laissant voir des chicots qui auraient fait pâlir un dentiste, des yeux chassieux semblables à des billes. Sans oublier ses mains, pareilles à des serres ou à quelque plante noueuse, qui se tendaient vers la source de chaleur inexistante du foyer éteint. Sa carcasse ne cessait de grelotter d'un froid hors de propos par cette chaleur estivale.
Tremblante, la jeune femme vit le sac d'os, tourner la tête vers l'étagère à alcools du bar et lui désigner du menton une bouteille d'eau-de-vie à la cerise traînant dans un coin.
D'un pas hésitant, elle alla quérir la fiole, remplit un verre et le déposa pour filer sans demander son reste, de peur d'être agrippée par ce Spectre errant.
À peine servie, la vieille carcasse tendit son bras décharné, agrippa le verre et avala le breuvage, machinalement, comme s'il s'agissait d'eau claire.
Même l'alcool ne semblait pas le réchauffer, il grelottait de plus belle, à croire qu'il venait d'ingurgiter un seau de glace.
Son verre vidé, il farfouilla dans la poche d'une de ses vestes pour payer mais, voyant son geste, la servante refusa d'un signe de tête.
Saisie d'étonnement, la relique semblait presque capable de ressentir une once d'émotion, mais il se garda de remercier la jeune femme et sortit aussi silencieusement qu'il était venu, sans prendre la peine de saluer les autres clients.
Passée la surprise, la petite servante clama à l'assemblée qu'elle venait de rencontrer un Spectre. Son refus de le voir payer sa commande était dû au fait qu'accepter l'argent d'un défunt était le plus sûr moyen de le rejoindre au tombeau.
Elle frissonna en repensant aux nombreux trous faits par les vers du cimetière qui constellaient la vieille trogne du défunt. Les autres clients ne purent retenir un cri de dégoût face à l'odeur tenace de résine qu'avait apporté avec lui le visiteur, un fumet d'après-vie que les vivants ne goûtent guère ..."
Vous aurez la suite de ce récit sous peu.
À vous de faire travailler votre imagination en attendant qu'arrive la conclusion.
Bonne lecture et bonne soirée !
Deuxième nuit :
Bonjour à toutes et tous !
Comme convenu, voici la suite de la légende bretonne introduite il y a peu :
"Le lendemain, on ne revit pas le Spectre de la journée. Aucun Fantôme ou Revenant ne ce serait risqué à sortir à la lumière du jour ! Mais le soir, à la même heure, il revint au village via la route du cimetière.
Il emprunta les rues - cette fois désertes - et entra dans l'auberge comme s'il était chez lui. Il s'assit au même endroit que la veille, toujours grelottant, et tendit à nouveau les mains vers l'âtre éteint.
L'aspect putride de son dos, malmené par le fond de son cercueil, suggéra aux habitués que ce pauvre hère devait être une Âme en Peine depuis au moins la Grande Révolution, donc oublié des familles les plus anciennes.
Dès l'instant où elle vit entrer son visiteur de la veille, la servante s'enfuit sans demander son reste. Avertie, la patronne prit - entre ses mains tremblantes - un verre et l'emplit d'eau-de-vie pour servir le Revenant revenu ...
Son verre vide, le vieillard montra à la tenancière qu'il désirait payer mais elle refusa d'un geste sec - qui lui coûtait, vu son amour pour le métal sonnant et trébuchant.
Se levant, le Spectre quitta l'auberge avec ce qui semblait être une grimace victorieuse et narquoise sur ses traits marqués. Les autres clients supposèrent que c'était ainsi que les morts montraient qu'ils étaient heureux...
Le recteur eut vite vent de cette histoire. Il sortit l'étole des grands jours et récita assez de prières pour la paroisse toute entière afin de garantir le salut des Âmes en Peine.
On lui demanda également de venir à l'auberge et de parler au vieux Spectre, mais il rétorqua que ça ne servirait à rien vu que dieu n'avait de puissance qu'en son église et en son cimetière.
Par précaution, l'homme d'église usa également sa réserve de cierges (empestant l'édifice d'une acre odeur de suif pour un bon bout de temps) et arrosa la terre des morts d'un tel déluge d'eau bénite qu'un passant aurait pu s'imaginer que le cimetière venait d'essuyer une pluie diluvienne.
Mais, malgré toutes ces mesures, la terreur s'insinua lentement mais sûrement dans le cœur des villageois, attisée par les histoires de Revenants que les familles se racontaient le soir coin du feu. Les aïeux du village crurent bon de partager leur expérience personnelle avec le surnaturel et l'on parla bientôt de suceur de sang, de dévoreur de chair et de moissonneur d'âmes ... Bref, dès la nuit tombée, l'intégralité du village se terrait dans leurs maisons en prenant bien soin de barrer les portes.
De son côté, le Spectre revenait chaque soir à l'auberge et il trouvait immanquablement - à sa place habituelle - une pleine bouteille d'eau-de-vie à la cerise et une bonne flambée pour réchauffer ses vieux os vermoulus.
Malgré toutes ces attentions, le froid ne semblait jamais vouloir quitter cette vieille carcasse grelottante, qui désormais avait la salle pour lui seul.
Les jours passant, la peur céda la place à une grogne générale. Les habitants en avaient assez de voir ce mort rôder dans leur village et les plus hardis scandèrent bientôt un : "Mort au Mort !" retentissant.
Les couards comme les braves joignirent leurs forces et s'armèrent pour donner une bonne leçon à ce Spectre qui terrorisait leurs mioches et faisait pleurer d'angoisse leurs femmes. Ils se dirent également que s'ils le laissaient aller et venir à sa guise, bientôt d'autres carcasses sortiraient de leurs tombes pour suivre son exemple. Peut-être que Landaduc finirait envahie par des milliers de morts, avides de se réchauffer et de vider les réserves d'eau-de-vie. Après tout, qui savait ?
Puisqu'il n'était pas possible de tuer ce qui était déjà mort, au moins pourraient-ils tenter de le décourager de revenir en lui brisant quelques os !
Le soir décidé, on laissa le vieux Spectre aller à l'auberge une dernière fois où il put boire son content d'alcool. On lui servit même une double dose afin qu'il comprenne qu'on ne lui reprochait pas son penchant pour la boisson mais sa présence malvenue.
Foule en colère par Kostja Schleger.
Une fois sorti, dix hommes le suivirent de loin, se rapprochant peu à peu, le laissant dépasser la dernière maison du village et gagner le chemin du cimetière.
À proximité des champs, quelques mètres avant sa demeure mortuaire, le plus hardi des villageois poussa un cri de guerre si retentissant qu'il aurait pu éveiller les morts... Pourtant, le principal intéressé ne se retourna même pas tant ses oreilles devaient être bouchées par la terre.
En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, les dix hommes frappèrent de leurs matraques le cadavre ambulant. Les coups tombèrent sur sa tête, son échine, son bras, ... pas un endroit ne fut épargné au Spectre qui s'était effondré dans la poussière au premier choc.
Malgré la rudesse de la leçon, il ne tomba pas en poussière, ni ne disparut. Non, il s'écroula comme une masse, geignant, soudain sensible à la douleur tel un vivant !
Alors, s'arrêtant net, les villageois l'écoutèrent, bouleversés par cette soudaine révélation.
- Pou... quoi ? ... Pou... quoi ? ...
gémissait et grelottait le vieux vagabond. Sourd et muet, en froid avec les humains à force d'être rejeté de chaque village du Morbihan. À cause de son aspect macabre et de son odeur de charnier, il faisait fuir les enfants ; un état contre lequel il ne pouvait rien puisque c'était sa façon d'être.
- Pou... quoi ? ...Pou... quoi ?
pleurnichait le vieillard agité de soubresauts, son sang giclant et s'échappant de son crâne quasi fendu. Son visage, autrefois horrible était désormais un masque sanglant marqué par l'incompréhension. Il ne semblait même pas avoir remarqué qu'il avait parlé pour la première fois, sa gorge remise en place par les chocs et la souffrance.
- Pourquoi ? Pourquoi ?
Les meurtriers du dimanche auraient à cet instant donné leurs vies pour devenir sourds à leur tour et ne plus entendre les lamentations de ce vieillard... N'ayant jamais été à sa place nulle part, il pensait enfin avoir trouvé un accueil charitable et généreux dans ce village où il était chaque soir accueilli par une rasade d'eau-de-vie gratis, chose qu'il n'aurait jamais cru possible auparavant ...
- Pourquoi? ...
répétait-il faiblement, ne comprenant pas, lu qui avait été pris pour un de ceux de dessous tant il semblait déjà avoir un pied dans la tombe.
- Pour ... quoi ... a ... eu ... eu ...
Et, pour de bon, il se joignit à l'assemblée reposant six pieds sous terre."
- Cette légende bretonne à été réécrite par mes soins et s'intitule : "Celui Qui Avait Toujours Froid".
Le texte, dont la fin est assez tragique, montre que les parias, vagabonds et autres "originaux" étaient assez mal vus par la "bonne société". Pire, on les soupçonnait parfois de pratiquer la Sorcellerie ou d'avoir des accointances avec le Démon ...
Je vous trouverai pour la prochaine fois un texte un plus joyeux.
Bonne lecture et bonne soirée !
Troisième nuit :
Bonjour à toutes et tous !
Après avoir arpenté un petit village de Bretagne, je vous propose de vous rendre dans l'Empire du Milieu (la Chine) où le préfet local connaît quelques déboires domestiques.
"Au commencement de l'`Ère Yongwei (650 - 656), Zhang Cong était alors le Préfet de Nanyang. Alors qu'il dormait dans sa chambre, il entendit soudain des gémissements provenant de la bambouseraie devant son perron. Curieux, il s'approcha, mais ne trouva rien. Les nuits suivantes, ce tintamarre recommença et, voulant en avoir le cœur net, Zhang Cong fit une invocation :
"- S'il y a ici un Esprit, qu'il vienne me parler !"
La nuit suivante, un homme vêtu d'une tenue en loques et crasseuse surgit des bambous et se présenta en ces termes :
"Lors des troubles de Zhu Can, je servais dans l'armée, et j'ai été tué par Zhu Can. Mon cadavre et mon squelette se trouvent exactement devant la chambre de votre Excellence, et j'ai un œil endommagé par une racine de bambou, ce qui me cause des douleurs insupportables. Fort de la bonté éclairée de Votre Excellence, j'ai pris la liberté de vous en rendre compte et, si vous vouliez bien faire transférer ailleurs ma sépulture, ce serait un bienfait que je n'oublierai pas !"
Le Préfet répondit :
"S'il en est ainsi, que n'êtes-vous venu m'en avertir plus tôt !"
Et il promit de satisfaire sa demande. Le lendemain, il fit préparer un cercueil, et fit creuser le sol à l'endroit désigné par le Revenant. Effectivement, après mains coups de pelle et de pioche, on dégagea un cadavre dont l'œil gauche était percé d'une racine de bambou. On habilla le corps d'une tenue à la mode de son époque et l'on transporta bien vite ses restes hors des murs de la cité afin de les inhumer.
Une tombe improvisée illustrée par Anireal.
Par la suite, le Préfet dût rendre un jugement contre un vieillard et lui infligea la bastonnade. Ce traitement brutal provoqua le décès du pauvre vieux et la famille du défunt se résolut à le venger. Ils se concertèrent et convinrent d'attendre que le préfet sorte pour sa balade nocturne afin de le tuer.
Or, un terrible incendie se déclara dans la cité, s'étendant à plus d'une dizaine de maisons. Voulant enquêter, le Préfet s'apprêtait à sortir quand il vit surgir devant lui le Fantôme qu'il avait aidé naguère. Ce dernier retint son cheval et le mit en garde en disant :
"- Où Votre Excellence se rend-elle, au cœur de la nuit ? On trame un mauvais complot !
Le Préfet demanda aussitôt qui en était l'instigateur.
"- Ceux, dit le Spectre, qui ont l'autre fois offensé Votre Excellence !"
Prenant bonne note de cette révélation d'outre-tombe, le Préfet rentra chez lui et, le lendemain, il fit appréhender la famille incriminée ; l'interrogatoire confirma tous les dires du Fantôme, et l'affaire fut vite terminée.
La nuit même, le Préfet rendit hommage à son défunt bienfaiteur par une libation et il fit également ériger une nouvelle stèle sur laquelle étaient gravés ces mots :
"Son corps à la patrie a été sacrifié ;
Il garde même mort toute sa loyauté ;
Voici une âme pure, brave, magnifique,
Voici en vérité un Fantôme héroïque !"
- Texte légèrement réécrit par mes soins (je ne pouvais en rien modifier les dialogues) et provenant du "Guangyiji" (le "Répertoire des Étrangetés").
- Zhu Can était un célèbre hors-la-loi qui fit régner la terreur vers 605-615 (Dynastie Sui). Son petit plaisir était de capturer femmes et enfants pour ensuite les faire cuire et les manger ...
- Lors des procès, dans la Chine ancienne, la punition pour une légère offense (l'ivrognerie, l'insolence, les vols mineurs, ...), était d'infliger au coupable la bastonnade (des coups de bâton donc) avant de le renvoyer chez lui.
Le nombre de coups distribués dépendait du magistrat qui lançait au sol un certain nombre de baguettes. Chaque morceau de bois comptait pour cinq coups.
Le coupable était alors étendu face contre terre (maintenu par un officier, juché sur son dos) pendant qu'un exécutant lui appliquait sur le postérieur, le nombre de coups requis à l'aide d'un morceau épais de bambou fendu (également appelé : "Pan-Tsee").
En espérant que ces quelques informations supplémentaires ont pu vous faciliter la compréhension de ce texte. Je vous souhaite (comme toujours) une bonne lecture et vous donne rendez-vous pour la prochaine légende ou le prochain conte !
Quatrième nuit :
Bonjour à toutes et tous !
Dans un registre plus nordique (islandais pour être précis), voici un conte qui tend à prouver qu'il ne faut pas se moquer ou déranger les morts :
"Dans un lointain presbytère, vivaient un garçon et une petite fille. Le garçon avait la fâcheuse manie de terroriser la petiote, mais à force, elle s'y était habituée et ne craignait plus rien ; lorsqu'elle tombait sur un évènement ou une chose censée provoquer l'effroi, elle pensait que c'était son frère qui lui jouait encore un mauvais tour.
Un jour de lessive, les ménagères avaient nettoyé les draps blancs, les chemises blanches mais également les bonnets de nuits blancs (comme on en portait à l'époque) et avaient mis le tout à sécher sur les murs du cimetière.
Le soir venu, on demanda à la jeune fille d'aller rechercher le linge et cette dernière ne se fit pas prier. Sur place, elle ramassa les draps, chemises et bonnets. Alors qu'elle avait presque terminé, elle remarqua un Spectre blafard, muni d'un bonnet et juché sur une tombe. Elle pensa immédiatement qu'il s'agissait de son frère qui lui jouait un tour. Croyant que le prétendu farceur avait chipé un des bonnets qui avaient été mis à sécher, elle se précipita sur lui, lui arracha son couvre-chef, et lui dit :
"- Tu ne réussiras pas à me faire peur cette fois-ci."
Ensuite, elle rentra le linge pour constater que son frère était à la maison.
Une voleuse de Fantômes par Kim Sokol.
Les ménagères se mirent à trier le linge et trouvèrent dans la pile un bonnet de trop, taché de terre à l'intérieur. Voyant cela, la jeune fille commença à trembler de tous ses membres.
Le lendemain matin, on vit que le Spectre était toujours assis sur sa tombe mais personne n'osait aller lui rendre son bien. Les habitants cherchèrent conseil dans les environs. Un vieillard suggéra que la petite damoiselle aille rendre elle-même le bonnet au Spectre, qu'elle le remette en place sur sa tête, sans rien dire et que l'opération soit surveillée par les locaux ; sans quoi il y avait fort à parier que les choses se mettent à aller de mal en pis.
Soulagés de ne pas être désignés pour cette macabre corvée, les habitants forcèrent la fillette à aller rapporter le bonnet taché au Revenant. Elle y alla d'un pas hésitant, se présenta face au Mort-Vivant blafard, lui mit son bonnet sur la tête et dit :
"- Voilà. Tu es content ?"
Le Spectre réagit en un battement de cils : il la frappa et dit :
"- Oui. Et toi, tu es contente ?"
Sur ce, il plongea dans sa tombe et disparut. Sous la force du coup, la fillette tomba. Les gens accoururent pour la relever mais il était trop tard, elle était morte. Le garçon fut sévèrement puni pour lui avoir joué tout ce temps ces mauvais tours car on le jugea responsable de ce malheur et il arrêta de faire peur aux gens.
Ainsi s'achève cette histoire."
Ce texte islandais (remanié par mes soins) a été recueilli par Jon Bjarnason à Breiduvik. Ce petit texte pourrait être une sorte de leçon sur le fait de ne pas déranger les morts ou de les traiter avec respect, mais il possible que le thème de l'interdit à ne pas violer soit également présent (la fillette ne devait pas parler en présence du Spectre et elle a violé cette règle, le Spectre l'a donc punie pour avoir bravé l'interdiction).
Cinquième nuit :
Bonjour à toutes et tous !
Repartons vers l'Orient lointain (le Japon, pour être précis), où deux frères devront faire face à une menace bien tangible et brutale :
"C'est maintenant du passé.
Dans le district de "..." de la province de "...", vivaient deux frères qui vivaient de la chasse au daim et au sanglier. Chaque jour, ils s'armaient de leurs arcs et de leurs flèches et partaient ensemble dans la montagne traquer le gibier.
Ce soir-là, comme d'habitude, les deux frères avaient posé un piège - une longe perche tendue entre les fourches de deux arbres - et s'étaient perchés dans les branches, attendant qu'un daim passe pour lui décocher une flèche. À peine séparés par quelques mètres, ils se faisaient donc face.
C'était la fin de septembre, lorsque la lune ne brille plus, et l'obscurité était si dense qu'il était impossible de voir plus loin que le bout de son nez. Pour compenser ce handicap, les frères dressaient l'oreille pour tendre la corde au moindre bruit de sabot de daim mais, malgré leur vigilance, ils passèrent une bonne partie de la nuit sans "voir" passer le moindre gibier.
Lassé par l'attente, l'aîné commençait à somnoler, quand tout à coup, une main surgit de la cime de l'arbre où il s'était perché, agrippa son chignon et le tira vers le haut.
Surpris, l'aîné tenta de saisir la main et constata à son contact qu'elle était horriblement sèche et décharnée, pareille aux serres d'un rapace.
Un Oni par Disse86.
"Ce ne peut être qu'un Démon qui veut me soulever dans les airs pour me dévorer", pensa-t-il. "Il faut que j'avertisse mon frère là-bas, en face." Il cria, et son cadet ayant répondu à l'appel, il lui dit :
"- S'il y avait, à l'instant, une chose qui s'acharnait à me soulever par les cheveux, que ferais-tu ?
- Si c'était le cas, au bruit, j'essaierais de bien placer ma flèche.
- Eh bien, justement c'est le cas ! Une chose me tire là-haut par ce chignon !
- Bon, alors je vais viser en me guidant à ta voix.
- Oui, vas-y, tire !"
Vif comme l'éclair, le cadet se saisit d'une flèche empennée, banda son arc et décocha un trait. Dans le noir, il sentit que le projectile effleura le crâne de son aîné avant de se ficher - avec un bruit sourd - dans quelque chose. Alors il lança :
" - Je crois que j'ai fait mouche !"
L'aîné fouilla dans ses cheveux pour découvrir stupéfait une main, sectionnée au niveau du poignet dont les doigts griffus pendaient déjà mollement. Il la prit et cria :
"- Oui, tu l'as eue cette main qui m'agrippait, et elle appartient à quelqu'un ! Je la ramène avec nous. Bon, mais c'est assez pour ce soir, rentrons !"
Le cadet acquiesça, ils descendirent de leur perchoir et prirent le chemin du retour. Il était déjà plus de minuit lorsqu'ils arrivèrent à leur chaumière.
Or, ils partageaient leur modeste demeure avec leur mère, qui était si vieille qu'elle ne pouvait plus tenir sur ses jambes. Ils l'avaient donc installée dans une petite chambre close, coincée entre leurs deux chambres respectives.
En rentrant, ils entendirent leur mère gémir en émettant des sons étranges.
"- Pourquoi ces lamentations ?" demandèrent-ils à travers la porte en papier de riz de sa chambre. Mais ils n'obtinrent aucune réponse. Tenaillés par la peur, ils allumèrent une lanterne et examinèrent la main qu'ils avaient ramenée. Stupéfaits, ils virent qu'elle ressemblait à celle de leur génitrice et la détaillèrent sous toutes les coutures avant de comprendre qui était le propriétaire de ce membre tranché.
Ils emportèrent le morceau de chair et tentèrent d'entrer dans la chambre. Lorsque la porte glissa dans un bruit sec, la mère se leva d'un bon et hurla :
"- Vous allez me le payer cher, vous deux !"
Elle semblait prête à fondre sur eux et son expression féroce ne faisait aucun doute sur ses intentions. Les enfants jetèrent alors la main dans la pièce et dirent :
"- Mère, est-ce votre main ?" avant de rabattre vivement la porte et de s'enfuir loin de cette furie.
Après cela, la mère ne mit pas longtemps à expirer et lorsque les frères revinrent la voir ils constatèrent qu'il lui manquait une main, qui avait été sectionnée au niveau du poignet par une flèche. L'évidence s'imposa à leur esprit : leur mère étant devenue vieille, très vieille, avait perdu la raison et, s'étant changée en Démon, elle avait suivi ses enfants dans la montagne dans l'espoir de les dévorer.
Ainsi, les parents, lorsqu'ils atteignent un âge très avancé, deviennent immanquablement des Démons qui essaient de se repaître de leurs rejetons.
Malgré sa tentative pour les dévorer, les deux frères offrirent à leur mère des funérailles et honorèrent du mieux qu'ils purent sa mémoire et son souvenir."
Cette légende (retravaillée par mes soins) provient du "Konjaku Monogatari Shu" (plus ou moins : "Histoires Qui Sont Maintenant du passé"), un recueil japonais d'anecdotes (incomplet) qui aurait été rédigé vers le XIème siècle.
Les parties du texte indiquant le lieu où est située l'histoire ont été remplacé par des: "...". Ces éléments étaient présents dans le texte d'origine, je les ai donc laissés tels quels. Il est à supposer que ces fragments ont été effacés du texte recopié ou que l'auteur ne savait plus où l'histoire s'est déroulée mais a conservé la formule par convention.
- On peut voir dans le texte que la mère des chasseurs se change en "Démon". Le terme Démon n'est pas vraiment exact, il faut plutôt parler ici d'Oni (sorte d'incarnation de la force brute et incontrôlable), d'Hannya (Oni femelle dont le visage est rouge, doté d'une large bouche ornée de crocs et au front orné de cornes) ou éventuellement de Yama-Uba (Sorcière de montagne métamorphe, qui prend l'aspect d'une vieille femme hideuse aux cheveux blancs en bataille et à la large bouche).
- Le texte nous apprend également qu'à une époque, dans les régions rurales du Japon, les vieillards étaient abandonnés dans les montagnes ou les forêts pour qu'ils y passent leurs derniers instants. Cette tradition (appelée "Ubasute", que l'on peut traduire par : l' "Abandon d'un Parent") permettait - pragmatiquement - de se débarrasser des inactifs qui ne pouvaient plus aider la communauté. Pour ce faire, le fils portait son vieux parent sur son dos et le laissait dans un endroit abandonné loin de toute communauté. Une pratique que je ne vous recommande guère, comme vous le verrez dans le prochain conte...
Interlude folklorique :
Bonjour à toutes et tous !
Avant de passer au sixième extrait, je vous propose un petit interlude avec un conte germanique dont la morale ne devrait pas vous laisser de marbre :
"Il était une fois un vieillard, qui était presque aussi vieux qu'un chêne centenaire. Il ne voyait presque plus, n'entendait plus et ses pauvres genoux cagneux tremblaient de manière incontrôlable.
Un jour qu'il était assis à table et qu'il tentait - tant bien que mal - de tenir sa cuillère, il renversa quelques gouttes de soupe sur la nappe propre et en laissa couler un peu de sa bouche. Écœurés à la vue de ce triste spectacle, son fils et l'épouse de ce dernier décidèrent d'un commun accord d'envoyer "le vieux" prendre ses prochains repas dans le coin, près du poêle. On lui donna également une écuelle de terre pour manger et on ne prit même plus la peine de lui donner de quoi le nourrir à sa faim...
Attristé par la situation, le pauvre vieux regardait tristement en direction de la table, ses pauvres yeux fatigués étaient rougis par les larmes qu'il versait.
Une étrange création de Dave Whitlam.
Un autre jour, ses mains tremblantes ne purent tenir son écuelle, qui tomba au sol, se fracassant en mille morceaux. La jeune épouse, furieuse, le gronda, mais le vieux ne lui donna pour toute réponse qu'un pathétique soupir. Pour remplacer la vaisselle brisée, la jeune femme alla acheter pour quelques hellers, une assiette de bois grossière dans laquelle il dut manger désormais.
Un jour que la famille était en train de souper, le petit-fils, âgé de quatre ans, se mit à assembler par terre des morceaux de bois et copeaux qui traînaient.
"- Que fais-tu là ? lui demanda son père.
- Je fabrique une petite auge dans laquelle père et mère mangeront quand je serai grand."
Atterré par ces paroles, l'homme et sa femme se regardèrent un moment puis fondirent en larmes. Passé l'émoi, ils allèrent rechercher le vieux grand-père et le firent asseoir à table. À partir de ce jour-là, ils le firent toujours manger avec eux et ne lui firent plus jamais de reproches lorsqu'il lui arrivait de renverser un peu de soupe."
- Ce conte germanique (retravaillé partiellement par mes soins) a été collecté par les bien connus frères Grimm et fait partie des "Exempla" (un court récit censé donner une morale ou un code de conduite à suivre). Le message de ce conte ici est clair : traite tes aînés avec respect et égard au risque de subir plus tard le même sort.
- Dans les demeures allemandes de l'époque, la place près du poêle était surnommé "Hölle" (littéralement : "Enfer"). C'était l'endroit où l'on plaçait les personnes paresseuses, indolentes ou méprisées.
- Le "heller" (ou "haller") est une monnaie allemande qui devait son nom à la ville de Hall et qui fut produite à partir du XIIIème siècle.
Je vous laisse savourer ce court récit. En attendant que vienne la suite des textes liés aux Spectres, Revenants et autres créatures de l'Autre-Monde.
Sixième nuit :
Bon weekend à toutes et tous !
Pour cette fois nous ferons dans l'exotisme avec un conte d'Amérique du Sud aux accents macabres :
"Près de l'Ausangate vivait un homme, propriétaire de plusieurs alpagas. Il n'avait à ce jour qu'un seul fils : un bébé alors âgé de deux ans. Un jour, il alla faire une course au village, laissant sa femme seule avec son rejeton.
Affolée d'être laissée seule ainsi, la femme chercha partout son mari en disant :
"- Il va revenir, il va revenir, il arrive de suite." Comme pour se protéger de quelque malheur imminent.
Elle fixait sans cesse l'horizon, en quête de son époux, mais ce dernier ne se montrait point. Les heures défilèrent dans l'angoisse et bien vite, le soleil alla se cacher derrière une colline en dardant ses rayons crépusculaires.
Alors que l'astre solaire finissait de se coucher, surgit du côté du Chili, une femme vêtue d'une veste blanche. Elle courait dans les pentes, comme poursuivie par une bête sauvage.
Voyant cet étrange spectacle, la mère s'empressa de l'appeler :
"- Viens par ici !" lui dit-elle en lui faisant de grands signes de la main.
L'autre s'arrêta mais ne voulut pas lui prêter attention.
Alors l'épouse l'appela de nouveau :
"-Viens donc par ici !"
Semblant cette fois avoir entendu son appel, la femme vêtue de blanc se tourna dans sa direction et s'arrêta devant sa maison.
Rassurée de ne plus être seule, la mère déclara à la nouvelle arrivante :
"- Dormons ensemble. Mon mari est allé au village et il n'est pas revenu. Dormons tranquillement ici !"
Elle laissa entrer sa visiteuse et commença à s'affairer pour préparer le repas et mettre du bois sur le feu.
Sans doute réveillé par l'agitation ambiante, le bébé se mit à hurler. La femme vêtue de blanc dit alors :
"- Donne-moi ton bébé, je vais te le reprendre.
- Prends-le." lui répondit la mère en le lui tendant.
Voulant éclairer les ténèbres qui gagnaient la demeure, l'épouse tenta d'allumer une bougie, en vain ! De son côté le nourrisson ne voulait pas se calmer et il hurlait à pleins poumons. Agacée de ne pouvoir s'éclairer et d'entendre son petit brailler de la sorte, elle se tourna vers son invitée et dit :
"-Rends-le moi, je vais lui donner le sein."
La femme obéit et lui tendit le rejeton mais ce dernier - toujours en train de pleurer - ne voulait pas téter.
"- Laisse-le moi, dit l'autre, je vais le reprendre."
À peine le bébé fut dans les bras de la femme qu'il se tut.
Ayant enfin réussi à allumer sa bougie et à éclairer la pièce, elle se tourna soulagée vers sa voisine et dit :
"- Il s'est endormi ?
Ses dernières paroles s'étranglèrent dans sa gorge en voyant le spectacle d'horreur sous ses yeux : la femme en blanc avec la bouche pleine de sang et tenant la carcasse à demi dévorée de son bébé. La femme était un damné."
Illustration de Victor Lozada représentant Mictecacihuatl : la Déesse de la Mort de la Mythologie Inca (dont la tâche était de veiller sur les os des défunts).
- Ce texte quechua (remanié par mes soins) provient du livre : "Contes et Récits des Indiens Quechuas" de Joël Saugnieux.
- Vous remarquerez que les morts n'épargnent ni les jeunes, ni les vieux, ni même les enfants. Il est à supposer que la mère a amené le malheur chez elle en l'invitant de manière insistante dans son besoin d'apaiser ses craintes.
- La créature ne peut être définie avec précision, cependant elle appartient à la catégorie des "Affamés" : des Morts-Vivants qui déterrent et dévorent les cadavres ou dévorent les hommes.
- Les Quechuas ou Kichuas sont un groupe de peuples d'Amérique du Sud qui ont au XIIème siècle asservi les tribus rivales pour fonder l'Empire Inca.
En espérant que mon récit ne vous fera pas chasser à coups de fusil le prochain démarcheur qui se présentera à votre porte, je vous donne rendez-vous prochainement pour le septième et dernier récit de Samhain.
Septème nuit :
Pour achever cette série de textes en beauté, je vous propose de voir en détail ce que j'ai ramené du Nord de l'Angleterre. À savoir : la "Main de Gloire de Whitby".
Pour rappel, la Main de Gloire était un objet magique utilisé pour découvrir les trésors cachés, plonger les occupants d'une maison dans une sorte de coma afin de leur dérober leurs biens en toute quiétude. On l'associait également à la Plante Magique (ou le Démon Familier) appelée "Mandragore".
Le rituel de création d'un tel artefact peut varier d'une version à l'autre, mais en général il fallait la main tranchée d'un pendu, momifiée par un rituel spécifique, et une bougie faite (en partie) de graisse humaine (celle du défunt manchot ou d'un bébé) et de brins de chanvre (la corde du pendu).
Vous comprendrez qu'un tel objet de nos jours est rare et pourtant, il en existe encore un exemplaire dans la ville portuaire de Whitby.
La fameuse "Main de Gloire de Whitby", photographiée par mes soins.
"Le sinistre objet fut découvert par le Docteur J.E. Chalmers, lorsqu'il acheta un vieux chalet dans la localité de Danby.
En farfouillant, il trouva une main droite desséchée, pendue sur le linteau d'une porte.
La demeure avait auparavant appartenu à un homme de sinistre réputation (qui ne fut jamais arrêté, faute de preuves).
Malgré son côté macabre, Chalmers décida de conserver sa découverte. Les années passant, il songea parfois à enterrer la main dans le cimetière de Danby, mais finalement, avant de mourir, il en fit cadeau à l'historien Joseph Ford."
Le petit texte que vous venez de lire (entre guillemets) est une traduction partielle et arrangée (par mes soins) d'un article du site "Whitby Uncovered".
Les amateurs de bizarreries pourront aller voir la fameuse Main de Gloire - pour la modique somme de 5 livres - au "Whitby Museum". Un musée censé rassembler toutes les curiosités possibles et imaginables. Outre la fameuse main, vous y trouverez des fossiles de reptiles et reptiles marins (Sarcosuchus, Ichthyosaurus, Mosasaurus, ...), des défenses d'ivoire gravées, des reproductions de navires à l'échelle, des bijoux et jouets uniques, voire des curiosités telles que la fameuse Main de Gloire, une armure en fibre de noix de coco ou un étrange artefact censé prédire les tempêtes à l'aide de sangsues, ...
Pour celles et ceux qui veulent en savoir plus sur les Mains de Gloire ou se rafraîchir la mémoire. Je leur recommande d'aller jeter un œil sur l'article consacré aux Mandragores.
Vous y trouverez un chapitre détaillé sur les paluches de pendus.
Voilà que se termine les récits de Samhain pour cette année. J'espère que vous avez eu autant de plaisir à les lire que moi à les écrire.
Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter une bonne fin de weekend et à vous dire : à très bientôt !
Idraemir
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vendredi 1 mars 2019
Les sept nuits de Samhain - deuxième année
Bonjour à toutes et à tous !
Vu que Samhain approche (fête celte marquant le passage de la saison lumineuse à la saison sombre), je vous propose - comme l'année passée - de fêter l'évènement comme il se doit.
Je publierai donc pendant sept jours (trois jours avant la pleine lune de novembre, durant la pleine lune et trois jours après) des textes issus de mes bibliothèques. Vous y trouverez : des histoires de Fantômes ou Non-Morts, des textes sur l'Autre-Monde et ses habitants, voire des traditions liées aux différentes fêtes des morts.
Une création assez particulière de Zach Bellisssimo.
En espérant que vous serez nombreux pour ce petit évènement. Je vous souhaite - avec un peu d'avance - une joyeuse Samhain !
Première nuit :
Pour commencer en douceur, je vous propose un conte nordique lié au Bon-Peuple (les Elfes). Bonne lecture !
"Juché sur son cheval, Olaf se hâte sur les routes, pressé de convier ses amis à sa noce.
En chemin, il tombe sur les Elfes qui dansent sur la lande. Apercevant Olaf, la fille du Roi des Elfes vient à sa rencontre et l'invite à danser avec elle.
Deuxième jour de Samhain (avec un brin de retard). Pour cette fois je vous offre un classique venant du Pays du Soleil Levant (le Japon) : une histoire de Yurei (Fantôme japonais) !
"Un homme abandonna un jour sa loyale épouse sans raison particulière. Peut-être parce qu'il s'était tout simplement lassé d'elle. Dans tous les cas, il quitta sa demeure pour partir à l'aventure, laissant la pauvre femme dépérir et mourir dans sa vieille maison.
Dans la mort, cependant, la femme bornée refusa de partir. Ses os restèrent soudés ensemble et ses longs cheveux noirs continuèrent à pousser. La nuit, d'étranges bruits et lumières venaient de la maison, obligeant les voisins à faire appel à un Maître de la Divination pour les aider. Le maître expliqua aux villageois que la morte attendait le retour de son époux.
Estampe de Tsukioka Yoshitoshi et représentant Okiku, l'un des trois Yurei les plus connus. Il existe de nombreuses variantes à cette légende, mais la plus populaire raconte qu'une servante - Okiku - refusant les avances de son maître, fut accusée à tort d'avoir brisé l'une des dix assiettes provenant du trésor de la famille. En punition, elle fut précipitée dans un puits pour y mourir. Depuis, son Fantôme apparaît chaque nuit et compte inlassablement jusqu'à neuf, tourmentée par la perte de la dixième assiette.
Pour la troisième nuit de Samhain, je vous propose de faire un tour en Belgique avec ce conte wallon :
"Par une nuit obscure, un paysan, ayant vidé maintes chopines sur la soirée, rentre en titubant. Ses pas maladroits le mènent à proximité du cimetière local.
Illustration réalisée par Chris Rosewarne.
La démarche mal assurée, il finit par percuter un objet rond qui s'en va rouler à quelques mètres de là. Pestant contre cet obstacle qui a failli le faire basculer cul par-dessus tête, il s'en approche pour l'examiner. Soulevant l'objet, il constate qu'il ne s'agit pas d'une pierre mais d'un crâne humain !
L'esprit noyé par les vapeurs d'alcool, il ne trouve rien de mieux à faire que de s'excuser auprès du crâne et de l'inviter à souper chez lui le lendemain... Qu'elle n'est pas sa surprise d'entendre une voix provenant du réceptacle osseux lui donner son accord.
Le lendemain, peu après le coucher du soleil, des coups résonnent à la porte de la demeure du pochard. En ouvrant, il découvre un squelette qui entre et s'installe sur l'une des chaises de la salle à manger. Essayant d'être un bon hôte, l'amateur de boisson tenta de faire boire et manger le sac d'os à plusieurs reprises, mais, chaque fois, il eut la même réponse : "Merci, dj'a bin fait, d'ja bin fait" (plus ou moins : "J'ai assez bu et mangé")..."
Ce conte a pour titre : "Un Squelette Au Souper" et a été recueilli par Joseph Defrecheux. On retrouve également cette histoire dans d'autres pays. La fin est d'ailleurs souvent accompagnée d'une morale expliquant que les vivants et les morts ne peuvent se fréquenter (ou qu'il est temps de laisser tomber la bouteille et d'aller s'inscrire aux alcooliques anonymes), mais cette version semble préférer de loin le côté "humour noir" de la scène.
Quatrième nuit :
Cinquième jour de Samhain avec cette fois une légende chinoise :
"Durant l'Ère Kaiyuan (713-741), un érudit nommé Cui Shang rédigea une dissertation censée prouver la non-existence des Fantômes. Lorsque sa rédaction fut achevée, il rassembla les documents et s'apprêta à aller présenter le tout à la Cour.
Soudain, on toqua à sa porte. Un taoïste se présenta sur le seuil et, voyant son texte fourré sous le bras, lui demanda l'autorisation de le lire.
Pour la sixième soirée de Samhain, nous allons revenir un peu aux classiques avec un conte germanique :
"Il était une fois une mère qui avait un enfant âgé de sept ans. Il était si beau et charmant que tous ceux qui croisaient son chemin ne pouvaient s'empêcher de le couvrir de cadeaux, et sa mère l'aimait plus que tout au monde.
Malheureusement, il tomba malade et succomba bientôt. Inconsolable, la mère pleurait, nuit et jour. Peu de temps après avoir été enterré, l'enfant se manifesta chaque nuit aux endroits où il avait l'habitude de s'asseoir et de jouer de son vivant. Lorsque sa génitrice pleurait, il fondait en larmes également.
Entendant cela, la mère prit peur et cessa de pleurer. Le lendemain soir, l'enfant entra de nouveau chez sa génitrice - un cierge à la main - et lui annonça, en souriant, que maintenant que son linceul était presque sec, il pouvait enfin reposer en paix.
La mère endura son chagrin en silence et l'enfant depuis repose dans sa couche de terre."
Ce conte germanique (remanié par mes soins) a été collecté par les frères Grimm et s'intitule : "Le Petit Linceul".
Septème nuit :
Pour le septième et dernier jour de Samhain, je vous propose un conte de Haute-Bretagne :
"Il était une fois un meunier à Kéralio que l'on nommait : "Hyaumit le meunier".
Adepte de la bouteille, il passait plus de temps à écumer les bars qu'à collecter le grain à moudre. Et il arrivait souvent que son cheval le ramène au moulin le soir, plein comme une outre, au grand désespoir de sa femme et de sa fille - nommées : Guillemette et Fanchette.
Un jour, Guillemette et Fanchette tombèrent subitement malades et trépassèrent toutes les deux peu après. Rongé par le chagrin, Hyaumit noya bien vite sa peine dans le cidre et le vin. Durant cette période sombre, les ailes du moulin ne tournaient plus guère...
Un soir, il traversa le village plein comme une barrique en chantant à tue-tête. Parvenu dans le vallon de Keralio, il se souvint qu'il lui faudrait traverser le ruisseau en passant sur un étroit pont. Ayant peur de se vautrer dans le cours d'eau, il promit à dieu de ne plus boire une goutte d'alcool s'il le laissait passer sans encombre. Une fois l'obstacle franchit, le meunier, "ivre de joie", entonna une chanson de son cru où il promettait de s'enivrer dès que possible...
Près du Château de Kéralio, quelle ne fût pas sa surprise de tomber sur deux lavandières, toutes vêtues de blanc, en train de nettoyer le linge au clair de lune. Enhardi par la boisson, il apostropha les deux femmes en leur faisant remarquer que ce n'était pas une heure pour travailler. Ses dernières paroles s'éteignirent dans sa gorge à l'instant où les dames tournèrent leur regard dans sa direction. Devant lui se tenaient son épouse et sa fille.
Huile sur toile de Yan' Dargent intitulée : "Les Lavandières de la Nuit".
D'un ton lugubre, sa défunte épouse lui demanda s'il ne voulait pas l'aider à tordre le linceul qu'elle tenait et qui devrait servir sous peu. Tremblant de tous ses membres, il tordit le drap de gauche à droite et sa femme le fit de droite à gauche. Furieuse, la lavandière tança son ex époux sur sa manière de s'occuper du linge et disparut d'un seul coup, laissant Hyaumit seul avec son bout de tissu.
À peine remis de sa frayeur, il entendit un bruit de charrette grinçante venant dans sa direction. Il eut juste le temps de se tourner qu'il tomba nez à nez avec un homme de haute taille, tout vêtu de noir, avec un chapeau à larges bords et tenant une faux sur son épaule. Le "faucheur tardif" - qui n'était autre que l'Ankou - demanda au pochard s'il n'avait pas croisé le meunier Hyaumit.
Rongé par la peur, l'infortuné amateur de boisson, s'écroula raide mort, son drap mortuaire entre les mains.
Le lendemain, la chambrière du Château de Kéralio, partie puiser de l'eau, tomba sur la dépouille. Elle courut aussitôt informer le châtelain qu'elle avait trouvé le meunier mort, son linceul dans les mains.
On garda le cadavre au sec dans les cryptes du castel et le lendemain, un attelage de bœufs fut envoyé pour ramener le mort à l'église. Le trajet se fit à une cadence infernale et les porteurs de croix finirent le trajet en soufflant comme des bovidés. La messe ne fut pas meilleure : on utilisa des ornements de dernier choix et le curé expédia la messe en un tournemain. Il faut dire que, de son vivant, Hyaumit avait plus fréquenté les chaises de l'auberge que les bancs de l'église...
Honoré par les vivants "à sa juste valeur", le meunier alla rejoindre sa femme et sa fille au cimetière."
Le conte suivant (fortement remanié par mes soins) a été collecté par Albert Poulain et conté par Claude Lecoz sous le nom de : "Les lavandières de nuit et le Fermier de Keralio".
La Lavandière de Nuit est une Revenante forcée à laver son linge de nuit, pour expier ses péchés ou annoncer le décès futur d'une personne (un Esprit Psychopompe, donc, comme la Banshee irlandaise).
L'Ankou est l'incarnation de La Mort en Bretagne. Il vient chercher l'âme des défunts sur une charrette grinçante et porte un chapeau à larges bords ainsi qu'une faux.
Et voilà que se clôture la dernière histoire pour Samhain. J'espère que vous aurez pris autant de plaisir à lire ces légendes que j'en ait pris pour les rédiger. N'hésitez pas à me dire laquelle vous avez préféré des sept. En attendant, je vous souhaite une dernière fois une joyeuse Samhain et je vous donne rendez-vous l'année prochaine pour une nouvelle série de textes. À la prochaine et "noswaith da" (bonsoir en gallois) !
Idraemir
Vu que Samhain approche (fête celte marquant le passage de la saison lumineuse à la saison sombre), je vous propose - comme l'année passée - de fêter l'évènement comme il se doit.
Je publierai donc pendant sept jours (trois jours avant la pleine lune de novembre, durant la pleine lune et trois jours après) des textes issus de mes bibliothèques. Vous y trouverez : des histoires de Fantômes ou Non-Morts, des textes sur l'Autre-Monde et ses habitants, voire des traditions liées aux différentes fêtes des morts.
Une création assez particulière de Zach Bellisssimo.
En espérant que vous serez nombreux pour ce petit évènement. Je vous souhaite - avec un peu d'avance - une joyeuse Samhain !
Pour commencer en douceur, je vous propose un conte nordique lié au Bon-Peuple (les Elfes). Bonne lecture !
"Juché sur son cheval, Olaf se hâte sur les routes, pressé de convier ses amis à sa noce.
En chemin, il tombe sur les Elfes qui dansent sur la lande. Apercevant Olaf, la fille du Roi des Elfes vient à sa rencontre et l'invite à danser avec elle.
Pressé, Olaf décline poliment l'invitation, prétextant qu'il doit célébrer son mariage le lendemain.
L'Elfe, désireuse de danser avec le jeune homme, répète son invitation et lui propose une paire de bottes en peau de bouc flambant neuves en guise de récompense.
Obstiné, Olaf refuse à nouveau.
La dame des landes l'invite à danser pour la troisième fois avec une promesse d'or à la clé.
Olaf - borné mais intéressé - accepte l'or de l'Elfe mais refuse toujours de danser avec elle...
Vexée par tant d'impudence, la dame lui annonce que la peste et la maladie le suivront et termine sa menace en le frappant de la main.
Illustration - créée par Julia Alekseeva - représentant Legolas (personnage clé du "Seigneur des Anneaux" de Tolkien).
Percuté par un coup terrible, Olaf vacille sur sa selle.
Le fixant droit dans les yeux, l'Elfe lui intime l'ordre de partir pour aller rejoindre sa fiancée.
Sans demander son reste, Olaf part au galop et, arrivé chez lui, sa mère l'accueille non sans lui faire remarquer la pâleur maladive de son teint.
Reprenant ses esprits, le fils conte son aventure à sa génitrice en lui recommandant de ne souffler mot de cette histoire à sa fiancée.
Le lendemain, la promise arrive de bon matin avec les invités.
Le vin et la bière coulent à flots mais aucune trace d'Olaf. La fiancée s'inquiète et demande des nouvelles de son promis. La mère lui apprend que ce dernier est allé flâner à cheval dans la lande et que la fatigue du voyage l'a obligé à s'aliter. Souhaitant tout de même saluer son amant, elle entre dans sa chambre, soulève sa couverture et découvre Olaf... mort !
Le jour suivant, ce n'est pas un cercueil qui sortit de la maison mais trois... Celui d'Olaf, celui de sa mère et celui de sa fiancée, toutes deux mortes de chagrin."
- Texte réécrit par mes soins et tiré du magazine français intitulé : "Le Magasin du Pittoresque". Il s'agit là d'une adaptation d'une ballade populaire intitulée : "Elwerskud" ("Le Trait de l'Elfe").
L'Elfshot est une affliction censée être provoquée par les Elfes. Lorsqu'une personne déplaisait au Bon-Peuple, ils décochaient une flèche - invisible - à tête de silex sur leur victime - ou sur leur bétail. Le trait ne laissait aucune marque visible mais il pouvait entraîner la mort de l'impudent (ou de ses bêtes).
Deuxième nuit :L'Elfe, désireuse de danser avec le jeune homme, répète son invitation et lui propose une paire de bottes en peau de bouc flambant neuves en guise de récompense.
Obstiné, Olaf refuse à nouveau.
La dame des landes l'invite à danser pour la troisième fois avec une promesse d'or à la clé.
Olaf - borné mais intéressé - accepte l'or de l'Elfe mais refuse toujours de danser avec elle...
Vexée par tant d'impudence, la dame lui annonce que la peste et la maladie le suivront et termine sa menace en le frappant de la main.
Illustration - créée par Julia Alekseeva - représentant Legolas (personnage clé du "Seigneur des Anneaux" de Tolkien).
Percuté par un coup terrible, Olaf vacille sur sa selle.
Le fixant droit dans les yeux, l'Elfe lui intime l'ordre de partir pour aller rejoindre sa fiancée.
Sans demander son reste, Olaf part au galop et, arrivé chez lui, sa mère l'accueille non sans lui faire remarquer la pâleur maladive de son teint.
Reprenant ses esprits, le fils conte son aventure à sa génitrice en lui recommandant de ne souffler mot de cette histoire à sa fiancée.
Le lendemain, la promise arrive de bon matin avec les invités.
Le vin et la bière coulent à flots mais aucune trace d'Olaf. La fiancée s'inquiète et demande des nouvelles de son promis. La mère lui apprend que ce dernier est allé flâner à cheval dans la lande et que la fatigue du voyage l'a obligé à s'aliter. Souhaitant tout de même saluer son amant, elle entre dans sa chambre, soulève sa couverture et découvre Olaf... mort !
Le jour suivant, ce n'est pas un cercueil qui sortit de la maison mais trois... Celui d'Olaf, celui de sa mère et celui de sa fiancée, toutes deux mortes de chagrin."
- Texte réécrit par mes soins et tiré du magazine français intitulé : "Le Magasin du Pittoresque". Il s'agit là d'une adaptation d'une ballade populaire intitulée : "Elwerskud" ("Le Trait de l'Elfe").
L'Elfshot est une affliction censée être provoquée par les Elfes. Lorsqu'une personne déplaisait au Bon-Peuple, ils décochaient une flèche - invisible - à tête de silex sur leur victime - ou sur leur bétail. Le trait ne laissait aucune marque visible mais il pouvait entraîner la mort de l'impudent (ou de ses bêtes).
Deuxième jour de Samhain (avec un brin de retard). Pour cette fois je vous offre un classique venant du Pays du Soleil Levant (le Japon) : une histoire de Yurei (Fantôme japonais) !
"Un homme abandonna un jour sa loyale épouse sans raison particulière. Peut-être parce qu'il s'était tout simplement lassé d'elle. Dans tous les cas, il quitta sa demeure pour partir à l'aventure, laissant la pauvre femme dépérir et mourir dans sa vieille maison.
Dans la mort, cependant, la femme bornée refusa de partir. Ses os restèrent soudés ensemble et ses longs cheveux noirs continuèrent à pousser. La nuit, d'étranges bruits et lumières venaient de la maison, obligeant les voisins à faire appel à un Maître de la Divination pour les aider. Le maître expliqua aux villageois que la morte attendait le retour de son époux.
Estampe de Tsukioka Yoshitoshi et représentant Okiku, l'un des trois Yurei les plus connus. Il existe de nombreuses variantes à cette légende, mais la plus populaire raconte qu'une servante - Okiku - refusant les avances de son maître, fut accusée à tort d'avoir brisé l'une des dix assiettes provenant du trésor de la famille. En punition, elle fut précipitée dans un puits pour y mourir. Depuis, son Fantôme apparaît chaque nuit et compte inlassablement jusqu'à neuf, tourmentée par la perte de la dixième assiette.
Aussi vite que possible, le mari fut ramené au village. {On lui
expliqua la situation et le Maître lui donna des consignes à suivre à la
lettre, au risque d'y perdre la vie.} Durant la journée, l'homme
pénétra dans la demeure, s'assit à califourchon - tel un cavalier - sur
le corps de sa femme et saisit ses cheveux en guise de rennes. À la nuit
tombée, le cadavre revint à la vie et tenta de renverser l'époux. Il
s'accrocha fermement, obligeant la morte à se jeter par la fenêtre.
Cette chevauchée furieuse dura toute la nuit. Lorsqu'enfin l'aube
arriva, l'époux se cramponnait toujours solidement. L'épouse, vaincue,
s'écroula et ses os se désintégrèrent en poussière, laissant le mari
sain et sauf.
Paraît-il."
Le texte suivant est une traduction - presque - littérale de la légende japonaise intitulée : "How A Man's Wife Became A Vengeful Spirit And How Her Malignity Was Diverted By A Master Of Divination" (littéralement : "Comment L'Épouse D'un Homme Devint Un Esprit Vengeur Et Comment Sa Malfaisance Fut Détournée Par Un Maître De La Divination"). Je me suis permis de rajouter une phrase entre crochets pour rendre la compréhension du texte plus aisée (il existe d'autres versions plus longues de cette légende où de tels détails sont présents).
Troisième nuit :Paraît-il."
Le texte suivant est une traduction - presque - littérale de la légende japonaise intitulée : "How A Man's Wife Became A Vengeful Spirit And How Her Malignity Was Diverted By A Master Of Divination" (littéralement : "Comment L'Épouse D'un Homme Devint Un Esprit Vengeur Et Comment Sa Malfaisance Fut Détournée Par Un Maître De La Divination"). Je me suis permis de rajouter une phrase entre crochets pour rendre la compréhension du texte plus aisée (il existe d'autres versions plus longues de cette légende où de tels détails sont présents).
Pour la troisième nuit de Samhain, je vous propose de faire un tour en Belgique avec ce conte wallon :
"Par une nuit obscure, un paysan, ayant vidé maintes chopines sur la soirée, rentre en titubant. Ses pas maladroits le mènent à proximité du cimetière local.
Illustration réalisée par Chris Rosewarne.
La démarche mal assurée, il finit par percuter un objet rond qui s'en va rouler à quelques mètres de là. Pestant contre cet obstacle qui a failli le faire basculer cul par-dessus tête, il s'en approche pour l'examiner. Soulevant l'objet, il constate qu'il ne s'agit pas d'une pierre mais d'un crâne humain !
L'esprit noyé par les vapeurs d'alcool, il ne trouve rien de mieux à faire que de s'excuser auprès du crâne et de l'inviter à souper chez lui le lendemain... Qu'elle n'est pas sa surprise d'entendre une voix provenant du réceptacle osseux lui donner son accord.
Le lendemain, peu après le coucher du soleil, des coups résonnent à la porte de la demeure du pochard. En ouvrant, il découvre un squelette qui entre et s'installe sur l'une des chaises de la salle à manger. Essayant d'être un bon hôte, l'amateur de boisson tenta de faire boire et manger le sac d'os à plusieurs reprises, mais, chaque fois, il eut la même réponse : "Merci, dj'a bin fait, d'ja bin fait" (plus ou moins : "J'ai assez bu et mangé")..."
Ce conte a pour titre : "Un Squelette Au Souper" et a été recueilli par Joseph Defrecheux. On retrouve également cette histoire dans d'autres pays. La fin est d'ailleurs souvent accompagnée d'une morale expliquant que les vivants et les morts ne peuvent se fréquenter (ou qu'il est temps de laisser tomber la bouteille et d'aller s'inscrire aux alcooliques anonymes), mais cette version semble préférer de loin le côté "humour noir" de la scène.
Quatrième nuit :
Voici pour le quatrième jour, une histoire venue d'Irlande :
"Un fermier avait trois fils. Courageux, vigoureux, on ne trouvait pas leurs pareils dans toute la contrée. L'aîné était le plus charmant du trio et il faisait battre le cœur de toutes les filles du comté.
Un soir, alors qu'il se promenait en compagnie de deux damoiselles, il croisa le chemin de sa voisine : une charmante jeune femme dont la famille était malheureusement fort démunie. Secrètement amoureuse du damoiseau, elle ne pouvait hélas lui avouer ses sentiments car elle savait pertinemment que le père du jeune homme ne laisserait l'un de ses fils que contre une bourse bien remplie d'écus sonnants.
Ils se saluèrent l'un l'autre et marchèrent ensemble jusqu'à ce qu'ils passent près d'un grand cimetière.
Pris d'une inspiration soudaine, le jeune homme s'approcha du mur du "champ du repos", prit son bâton sculpté et le lança au milieu des tombes. Sous le regard médusé des trois jeunes filles, il déclara qu'il épouserait celle qui lui rapporterait son bien.
La première refusa tout net, la seconde, en tremblant, donna une réponse similaire mais la troisième, résolue, se dirigea vers les grilles du cimetière. Le rire de ses deux rivales résonnant encore à ses oreilles, elle pénétra dans un véritable labyrinthe de cryptes et de tombes. Il aurait déjà été complexe de retrouver le bâton en plein jour mais dans cette nuit noire, c'était comme de chercher une aiguille dans une botte de foin !
Elle chercha en vain pendant une bonne partie de la nuit et, la mort dans l'âme, elle rebroussa chemin. Alors qu'elle allait atteindre les grilles, elle tomba sur un grand Pûca à l'aspect peu engageant... Apeurée, elle tourna les talons pour tenter de semer l'Esprit follet, mais chaque fois qu'elle pensait l'avoir semé, il se tenait face à elle le sourire aux lèvres.
Un Pûca (création de Kaya Oldaker).
Alors qu'elle reprenait son souffle, le Pûca lui conseilla de rester tranquille car il ne comptait pas la laisser partir avant le chant du coq. Il lui demanda ensuite la raison pour laquelle elle était venue dans son antre, et de nuit par-dessus le marché.
Entre deux respirations haletantes, la pauvresse lui raconta son histoire que la créature écouta jusqu'au bout. Sa curiosité satisfaite, il lui apprit que le jeune homme l'avait abandonnée sur place depuis un moment déjà et, n'appréciant pas un tel comportement, il promit qu'il ne le ferait pas deux fois.
Fixant la jeune femme, il lui ordonna de le prendre sur son dos pour l'emmener jusqu'à la demeure du fils de fermier. N'ayant guère le choix, elle emporta l'Esprit avec elle.
Étrangement, le Pûca, malgré son aspect décharné, était lourd, si lourd qu'il arrivait que la pauvresse le laisse tomber... Chaque fois que l'Esprit glissait de son perchoir, il ordonnait avec courroux qu'elle le remonte.
Ce pénible trajet terminé, ils arrivèrent à la demeure du fermier, porte close et lumières éteintes. Le Pûca lui demanda d'ouvrir la porte (qui s'ouvrit d'elle-même) et de l'asseoir près du foyer (qu'elle dût ranimer avec quelques bûches).
Confortablement installé, il lui ordonna ensuite d'aller chercher un pot qu'elle remplirait de farine d'avoine. Sa tâche finie, il lui commanda d'aller le porter près du lit du jeune homme - qui dormait à poings fermés - et de lui donner le pot de farine. Sur place, il extirpa de sa poche un couteau aiguisé, trancha la gorge du jeunot et tint sa tête jusqu'à ce que tout son sang ait été recueilli dans le pot.
Sa sinistre besogne achevée, il demanda à la jeune fille de le ramener - lui et le pot - près du foyer crépitant et de lui amener deux cuillères. Son ustensile en "main", il l'invita à s'asseoir et à partager le potage sanglant. Ne voulant pas goûter un tel brouet, la donzelle ouvrit sa bourse - cachée par son foulard - et versa dedans chaque cuillère. Le Pûca - occupé à manger comme s'il n'avait rien avalé depuis des jours - ne remarqua rien. Il vida le pot et passa même sa langue à l'intérieur en quête de miettes à ramasser.
Repu, la créature confia à la jeune femme que si elle avait refusé de le porter il l'aurait proprement décapitée. Mais, reconnaissant de son obéissance, il lui accorderait la chose de son choix.
Elle demanda aussitôt que le jeune homme soit ramené d'entre les morts. Navré, le Pûca lui apprit qu'une telle chose n'était pas en son pouvoir. Le seul moyen de le guérir aurait été d'appliquer le brouet sur le cou de la victime. En compensation, il lui indiqua l'emplacement d'une pierre en dessous de laquelle était caché une grande quantité d'argent. Ayant payé sa dette, il la salua et disparut.
Le lendemain, la donzelle partit en quête de la pierre et trouva - comme prévu - une véritable fortune. Ensuite, elle se rendit à la demeure du garçon et demanda aux parents en pleurs ce qu'elle gagnerait si elle parvenait à ramener leur aîné du monde des morts. Ils lui promirent tout ce qu'ils avaient sur terre. Satisfaite, elle entra dans la chambre, enduisit de potage la gorge du cadavre, qui très vite ouvrit les yeux pour le plus grand bonheur des parents.
Peu de temps après, les jeunes gens se marièrent et ils menèrent une longue vie prospère."
Le texte suivant (remanié par mes soins) est une légende irlandaise intitulée : "Le Lutin des Tombes".
Il existe une variante de ce texte (provenant des Pays de l'Est) où la jeune femme rencontre cette fois un Vampire.
Un Pûca ou Phooka est un Élémentaire d'Irlande capable de changer de forme à volonté. Il peut se métamorphoser en divers animaux (chat, cheval, renard, lapin, ...) ou en humain (souvent avec une partie animale comme des oreilles couvertes de fourrure ou une queue). Il apprécie particulièrement de se changer en un cheval à la robe sombre, doté d'yeux dorés luminescents. L'Esprit est autant un sujet de crainte que d'émerveillement puisqu'il peut aussi bien vous nuire que vous aider...
Cinquième nuit :"Un fermier avait trois fils. Courageux, vigoureux, on ne trouvait pas leurs pareils dans toute la contrée. L'aîné était le plus charmant du trio et il faisait battre le cœur de toutes les filles du comté.
Un soir, alors qu'il se promenait en compagnie de deux damoiselles, il croisa le chemin de sa voisine : une charmante jeune femme dont la famille était malheureusement fort démunie. Secrètement amoureuse du damoiseau, elle ne pouvait hélas lui avouer ses sentiments car elle savait pertinemment que le père du jeune homme ne laisserait l'un de ses fils que contre une bourse bien remplie d'écus sonnants.
Ils se saluèrent l'un l'autre et marchèrent ensemble jusqu'à ce qu'ils passent près d'un grand cimetière.
Pris d'une inspiration soudaine, le jeune homme s'approcha du mur du "champ du repos", prit son bâton sculpté et le lança au milieu des tombes. Sous le regard médusé des trois jeunes filles, il déclara qu'il épouserait celle qui lui rapporterait son bien.
La première refusa tout net, la seconde, en tremblant, donna une réponse similaire mais la troisième, résolue, se dirigea vers les grilles du cimetière. Le rire de ses deux rivales résonnant encore à ses oreilles, elle pénétra dans un véritable labyrinthe de cryptes et de tombes. Il aurait déjà été complexe de retrouver le bâton en plein jour mais dans cette nuit noire, c'était comme de chercher une aiguille dans une botte de foin !
Elle chercha en vain pendant une bonne partie de la nuit et, la mort dans l'âme, elle rebroussa chemin. Alors qu'elle allait atteindre les grilles, elle tomba sur un grand Pûca à l'aspect peu engageant... Apeurée, elle tourna les talons pour tenter de semer l'Esprit follet, mais chaque fois qu'elle pensait l'avoir semé, il se tenait face à elle le sourire aux lèvres.
Un Pûca (création de Kaya Oldaker).
Alors qu'elle reprenait son souffle, le Pûca lui conseilla de rester tranquille car il ne comptait pas la laisser partir avant le chant du coq. Il lui demanda ensuite la raison pour laquelle elle était venue dans son antre, et de nuit par-dessus le marché.
Entre deux respirations haletantes, la pauvresse lui raconta son histoire que la créature écouta jusqu'au bout. Sa curiosité satisfaite, il lui apprit que le jeune homme l'avait abandonnée sur place depuis un moment déjà et, n'appréciant pas un tel comportement, il promit qu'il ne le ferait pas deux fois.
Fixant la jeune femme, il lui ordonna de le prendre sur son dos pour l'emmener jusqu'à la demeure du fils de fermier. N'ayant guère le choix, elle emporta l'Esprit avec elle.
Étrangement, le Pûca, malgré son aspect décharné, était lourd, si lourd qu'il arrivait que la pauvresse le laisse tomber... Chaque fois que l'Esprit glissait de son perchoir, il ordonnait avec courroux qu'elle le remonte.
Ce pénible trajet terminé, ils arrivèrent à la demeure du fermier, porte close et lumières éteintes. Le Pûca lui demanda d'ouvrir la porte (qui s'ouvrit d'elle-même) et de l'asseoir près du foyer (qu'elle dût ranimer avec quelques bûches).
Confortablement installé, il lui ordonna ensuite d'aller chercher un pot qu'elle remplirait de farine d'avoine. Sa tâche finie, il lui commanda d'aller le porter près du lit du jeune homme - qui dormait à poings fermés - et de lui donner le pot de farine. Sur place, il extirpa de sa poche un couteau aiguisé, trancha la gorge du jeunot et tint sa tête jusqu'à ce que tout son sang ait été recueilli dans le pot.
Sa sinistre besogne achevée, il demanda à la jeune fille de le ramener - lui et le pot - près du foyer crépitant et de lui amener deux cuillères. Son ustensile en "main", il l'invita à s'asseoir et à partager le potage sanglant. Ne voulant pas goûter un tel brouet, la donzelle ouvrit sa bourse - cachée par son foulard - et versa dedans chaque cuillère. Le Pûca - occupé à manger comme s'il n'avait rien avalé depuis des jours - ne remarqua rien. Il vida le pot et passa même sa langue à l'intérieur en quête de miettes à ramasser.
Repu, la créature confia à la jeune femme que si elle avait refusé de le porter il l'aurait proprement décapitée. Mais, reconnaissant de son obéissance, il lui accorderait la chose de son choix.
Elle demanda aussitôt que le jeune homme soit ramené d'entre les morts. Navré, le Pûca lui apprit qu'une telle chose n'était pas en son pouvoir. Le seul moyen de le guérir aurait été d'appliquer le brouet sur le cou de la victime. En compensation, il lui indiqua l'emplacement d'une pierre en dessous de laquelle était caché une grande quantité d'argent. Ayant payé sa dette, il la salua et disparut.
Le lendemain, la donzelle partit en quête de la pierre et trouva - comme prévu - une véritable fortune. Ensuite, elle se rendit à la demeure du garçon et demanda aux parents en pleurs ce qu'elle gagnerait si elle parvenait à ramener leur aîné du monde des morts. Ils lui promirent tout ce qu'ils avaient sur terre. Satisfaite, elle entra dans la chambre, enduisit de potage la gorge du cadavre, qui très vite ouvrit les yeux pour le plus grand bonheur des parents.
Peu de temps après, les jeunes gens se marièrent et ils menèrent une longue vie prospère."
Le texte suivant (remanié par mes soins) est une légende irlandaise intitulée : "Le Lutin des Tombes".
Il existe une variante de ce texte (provenant des Pays de l'Est) où la jeune femme rencontre cette fois un Vampire.
Un Pûca ou Phooka est un Élémentaire d'Irlande capable de changer de forme à volonté. Il peut se métamorphoser en divers animaux (chat, cheval, renard, lapin, ...) ou en humain (souvent avec une partie animale comme des oreilles couvertes de fourrure ou une queue). Il apprécie particulièrement de se changer en un cheval à la robe sombre, doté d'yeux dorés luminescents. L'Esprit est autant un sujet de crainte que d'émerveillement puisqu'il peut aussi bien vous nuire que vous aider...
Cinquième jour de Samhain avec cette fois une légende chinoise :
"Durant l'Ère Kaiyuan (713-741), un érudit nommé Cui Shang rédigea une dissertation censée prouver la non-existence des Fantômes. Lorsque sa rédaction fut achevée, il rassembla les documents et s'apprêta à aller présenter le tout à la Cour.
Soudain, on toqua à sa porte. Un taoïste se présenta sur le seuil et, voyant son texte fourré sous le bras, lui demanda l'autorisation de le lire.
Lorsqu'il eut achevé sa lecture, il le complimenta pour son style
travaillé, mais lui expliqua qu'il désapprouvait ce texte voulant
prouver qu'il n'existait aucun Fantôme entre le ciel et la terre.
Intrigué, Cui Shang lui demanda la raison de son mécontentement. Le taoïste lui rétorqua qu'étant lui-même un Fantôme, il n'appréciait d'être considéré comme inexistant. Il lui recommanda d'ailleurs d'aller brûler son texte car, en présentant un tel brûlot à la Cour, il risquait fort de se faire déchiqueter par l'ensemble des Spectres et Esprits !
À l'instant où il eut terminé de prodiguer ses conseils, le taoïste spectral disparu sans laisser de traces, et la dissertation de Cui Shang disparut également peu de temps après..."
Illustration réalisée par Danielle Storey.
Le texte précédent (légèrement remanié par mes soins) provient du "Xuanguailu" (les "Mystérieuses Bizarreries") et s'intitule : "Les Fantômes N'Existent Pas".
Le Taoïsme est un des fondements de la pensée chinoise inspiré des croyances anciennes, textes, évènements historiques, ...
Sixième nuit :
Intrigué, Cui Shang lui demanda la raison de son mécontentement. Le taoïste lui rétorqua qu'étant lui-même un Fantôme, il n'appréciait d'être considéré comme inexistant. Il lui recommanda d'ailleurs d'aller brûler son texte car, en présentant un tel brûlot à la Cour, il risquait fort de se faire déchiqueter par l'ensemble des Spectres et Esprits !
À l'instant où il eut terminé de prodiguer ses conseils, le taoïste spectral disparu sans laisser de traces, et la dissertation de Cui Shang disparut également peu de temps après..."
Illustration réalisée par Danielle Storey.
Le texte précédent (légèrement remanié par mes soins) provient du "Xuanguailu" (les "Mystérieuses Bizarreries") et s'intitule : "Les Fantômes N'Existent Pas".
Le Taoïsme est un des fondements de la pensée chinoise inspiré des croyances anciennes, textes, évènements historiques, ...
Sixième nuit :
Pour la sixième soirée de Samhain, nous allons revenir un peu aux classiques avec un conte germanique :
"Il était une fois une mère qui avait un enfant âgé de sept ans. Il était si beau et charmant que tous ceux qui croisaient son chemin ne pouvaient s'empêcher de le couvrir de cadeaux, et sa mère l'aimait plus que tout au monde.
Malheureusement, il tomba malade et succomba bientôt. Inconsolable, la mère pleurait, nuit et jour. Peu de temps après avoir été enterré, l'enfant se manifesta chaque nuit aux endroits où il avait l'habitude de s'asseoir et de jouer de son vivant. Lorsque sa génitrice pleurait, il fondait en larmes également.
Au fil
des jours, le chagrin maternel ne semblait pas s'estomper. Une nuit,
l'enfant revint, vêtu de son linceul et portant sa couronne mortuaire
sur la tête. Il pénétra dans la maison, s'assit au pied du lit de sa
mère et lui demanda de cesser de pleurer car ses cris l'empêchaient de
dormir et les larmes qui inondaient son drap mortuaire l'empêchaient de
sécher.
Illustration de Lin, Peter.
Illustration de Lin, Peter.
Entendant cela, la mère prit peur et cessa de pleurer. Le lendemain soir, l'enfant entra de nouveau chez sa génitrice - un cierge à la main - et lui annonça, en souriant, que maintenant que son linceul était presque sec, il pouvait enfin reposer en paix.
La mère endura son chagrin en silence et l'enfant depuis repose dans sa couche de terre."
Ce conte germanique (remanié par mes soins) a été collecté par les frères Grimm et s'intitule : "Le Petit Linceul".
Pour le septième et dernier jour de Samhain, je vous propose un conte de Haute-Bretagne :
"Il était une fois un meunier à Kéralio que l'on nommait : "Hyaumit le meunier".
Adepte de la bouteille, il passait plus de temps à écumer les bars qu'à collecter le grain à moudre. Et il arrivait souvent que son cheval le ramène au moulin le soir, plein comme une outre, au grand désespoir de sa femme et de sa fille - nommées : Guillemette et Fanchette.
Un jour, Guillemette et Fanchette tombèrent subitement malades et trépassèrent toutes les deux peu après. Rongé par le chagrin, Hyaumit noya bien vite sa peine dans le cidre et le vin. Durant cette période sombre, les ailes du moulin ne tournaient plus guère...
Un soir, il traversa le village plein comme une barrique en chantant à tue-tête. Parvenu dans le vallon de Keralio, il se souvint qu'il lui faudrait traverser le ruisseau en passant sur un étroit pont. Ayant peur de se vautrer dans le cours d'eau, il promit à dieu de ne plus boire une goutte d'alcool s'il le laissait passer sans encombre. Une fois l'obstacle franchit, le meunier, "ivre de joie", entonna une chanson de son cru où il promettait de s'enivrer dès que possible...
Près du Château de Kéralio, quelle ne fût pas sa surprise de tomber sur deux lavandières, toutes vêtues de blanc, en train de nettoyer le linge au clair de lune. Enhardi par la boisson, il apostropha les deux femmes en leur faisant remarquer que ce n'était pas une heure pour travailler. Ses dernières paroles s'éteignirent dans sa gorge à l'instant où les dames tournèrent leur regard dans sa direction. Devant lui se tenaient son épouse et sa fille.
Huile sur toile de Yan' Dargent intitulée : "Les Lavandières de la Nuit".
D'un ton lugubre, sa défunte épouse lui demanda s'il ne voulait pas l'aider à tordre le linceul qu'elle tenait et qui devrait servir sous peu. Tremblant de tous ses membres, il tordit le drap de gauche à droite et sa femme le fit de droite à gauche. Furieuse, la lavandière tança son ex époux sur sa manière de s'occuper du linge et disparut d'un seul coup, laissant Hyaumit seul avec son bout de tissu.
À peine remis de sa frayeur, il entendit un bruit de charrette grinçante venant dans sa direction. Il eut juste le temps de se tourner qu'il tomba nez à nez avec un homme de haute taille, tout vêtu de noir, avec un chapeau à larges bords et tenant une faux sur son épaule. Le "faucheur tardif" - qui n'était autre que l'Ankou - demanda au pochard s'il n'avait pas croisé le meunier Hyaumit.
Rongé par la peur, l'infortuné amateur de boisson, s'écroula raide mort, son drap mortuaire entre les mains.
Le lendemain, la chambrière du Château de Kéralio, partie puiser de l'eau, tomba sur la dépouille. Elle courut aussitôt informer le châtelain qu'elle avait trouvé le meunier mort, son linceul dans les mains.
On garda le cadavre au sec dans les cryptes du castel et le lendemain, un attelage de bœufs fut envoyé pour ramener le mort à l'église. Le trajet se fit à une cadence infernale et les porteurs de croix finirent le trajet en soufflant comme des bovidés. La messe ne fut pas meilleure : on utilisa des ornements de dernier choix et le curé expédia la messe en un tournemain. Il faut dire que, de son vivant, Hyaumit avait plus fréquenté les chaises de l'auberge que les bancs de l'église...
Honoré par les vivants "à sa juste valeur", le meunier alla rejoindre sa femme et sa fille au cimetière."
Le conte suivant (fortement remanié par mes soins) a été collecté par Albert Poulain et conté par Claude Lecoz sous le nom de : "Les lavandières de nuit et le Fermier de Keralio".
La Lavandière de Nuit est une Revenante forcée à laver son linge de nuit, pour expier ses péchés ou annoncer le décès futur d'une personne (un Esprit Psychopompe, donc, comme la Banshee irlandaise).
L'Ankou est l'incarnation de La Mort en Bretagne. Il vient chercher l'âme des défunts sur une charrette grinçante et porte un chapeau à larges bords ainsi qu'une faux.
Et voilà que se clôture la dernière histoire pour Samhain. J'espère que vous aurez pris autant de plaisir à lire ces légendes que j'en ait pris pour les rédiger. N'hésitez pas à me dire laquelle vous avez préféré des sept. En attendant, je vous souhaite une dernière fois une joyeuse Samhain et je vous donne rendez-vous l'année prochaine pour une nouvelle série de textes. À la prochaine et "noswaith da" (bonsoir en gallois) !
Idraemir
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vendredi 21 décembre 2018
Les sept nuits de Samhain - première année
Pour fêter dignement Samhain (fête celtique marquant le début de la Période Sombre et où les Celtes honoraient les défunts par des banquets rituels en leur mémoire), je vous propose une série de contes, légendes et anecdotes (provenant de multiples cultures).
Étant donné que Samhain est une période où les frontières entre notre monde et l'Autre Monde sont minces, il n'est pas rare de croiser des Revenants, des Élémentaires ou même des divinités des temps passés.
Vous comprendrez donc que la thématique de ces textes tournera autour : de la mort, des Fantômes, des Spectres, des Élémentaires - de sinistre réputation de préférence - et autres créatures peuplant les cimetières vétustes, les ruines, les marais et autres lieux considérés comme néfastes.
La fête se déroulant pendant sept jours (trois jours avant la pleine lune d'octobre, durant la pleine lune et trois jours après), vous aurez donc sept récits à lire.
Je vous encourage à les partager sans retenue pour en faire profiter votre entourage ou votre famille. Vous raviverez ainsi un peu l'antique tradition où les familles et le voisinage se rassemblaient bien au chaud près du feu, pour écouter les récits terrifiants de l'aïeul ou du conteur local.
Bonne lecture et joyeuse Samhain à toutes et tous !
Première nuit :
Étant donné que Samhain est une période où les frontières entre notre monde et l'Autre Monde sont minces, il n'est pas rare de croiser des Revenants, des Élémentaires ou même des divinités des temps passés.
Vous comprendrez donc que la thématique de ces textes tournera autour : de la mort, des Fantômes, des Spectres, des Élémentaires - de sinistre réputation de préférence - et autres créatures peuplant les cimetières vétustes, les ruines, les marais et autres lieux considérés comme néfastes.
La fête se déroulant pendant sept jours (trois jours avant la pleine lune d'octobre, durant la pleine lune et trois jours après), vous aurez donc sept récits à lire.
Je vous encourage à les partager sans retenue pour en faire profiter votre entourage ou votre famille. Vous raviverez ainsi un peu l'antique tradition où les familles et le voisinage se rassemblaient bien au chaud près du feu, pour écouter les récits terrifiants de l'aïeul ou du conteur local.
Bonne lecture et joyeuse Samhain à toutes et tous !
Première nuit :
Joyeuse Samhain à toutes et à tous !
Pour fêter le premier jour de la fête dédiée au
début de la saison sombre, je vous offre l'extrait d'un texte
parlant d'une créature que beaucoup connaissent : le Loup-Garou
(personne capable ou obligée de se métamorphoser en loup - de
manière partielle ou complète). L'extrait montre la cruauté des
jugements concernant les personnes ayant été accusées d'être des
Loups-Garous. Évitez de manger en lisant :
Gravure épinglée datée de 1685 et représentant le Loup d'Eschenbach (Allemagne), piégé dans un puits.
Gravure épinglée datée de 1685 et représentant le Loup d'Eschenbach (Allemagne), piégé dans un puits.
"Les techniques d'exécutions présentent des
constantes, le bûcher, parfois après étranglement, le
bannissement, mais aussi des particularismes. En Moyenne
Allemagne, une certaine Veronika est passée par l'épée
puis incinérée, et en 1650 un homme subit le même sort. À
Paderborn {ville d'Allemagne Centrale}, en 1598,
un Loup-Garou reçoit un horrible traitement : on lui arrache
le cœur et on le lui place dans la bouche, puis on coupe le corps en
quatre et on brûle les morceaux sauf la tête qui est passée par le
feu et roussie et, enfin, plantée sur un pieu de fer fixé sur une
roue avec un loup en bois au-dessus."
- Extrait du livre : "Elle courait le Garou - Lycanthropes, hommes-ours, hommes-tigres Une anthologie" de Claude Lecouteux.
- Extrait du livre : "Elle courait le Garou - Lycanthropes, hommes-ours, hommes-tigres Une anthologie" de Claude Lecouteux.
Il n'était pas conseillé à l'époque d'être réputé
velu...
Deuxième nuit :
Pour le deuxième jour de Samhain, voici un
conte japonais (condensé par mes soins) datant probablement de l'Ère
Edo (1600 - 1868) :
Un marchand d'étoffes s'en vint à Edo
{ancien nom de Tokyo} pour vendre ses marchandises.
Malheureusement, les affaires furent mauvaises et il décida de
regagner sa province au plus vite.
Pour épargner un peu sa bourse et échapper à
l'orage, il gagna une maison abandonnée et s'y abrita. Dans une
pièce délabrée aux cloisons de papier déchirées, il posa
son paquetage et s'étendit sur une vieille natte, se servant de son
manteau comme d'une couverture.
Réveillé par les grondements du ciel, il eut la
désagréable sensation d'être observé. Scrutant la pièce à
chaque nouvel éclair, il crut voir briller quelque chose entre les
croisillons de papier déchiqueté. À première vue, ça ressemblait
à des pierres rondes cerclées de blanc, mais en s'approchant, il eut
un mouvement de recul en constatant qu'il s'agissait d'yeux qui le
fixaient.
Illustration d'auteur inconnu représentant Mokumokuren en train de se déchaîner.
Illustration d'auteur inconnu représentant Mokumokuren en train de se déchaîner.
Terrifié, le marchand se cacha sous sa couverture
improvisée, recroquevillé, les yeux clos et priant pour que le
Yokai le laisse en paix. L'attente, le stress et la fatigue
aidant, le pauvre homme finit par s'endormir. Lorsqu'il se réveilla,
il faisait toujours nuit mais les yeux avaient disparu. Il eut beau
chercher dans les moindres recoins de la masure, les globes oculaires
s'étaient bel et bien volatilisés.
- Ce texte est une version modifiée (par mes soins) et tirée du livre intitulé : "Contes d'une Grand-Mère Japonaise" d'Yveline Féray.
- Ce texte est une version modifiée (par mes soins) et tirée du livre intitulé : "Contes d'une Grand-Mère Japonaise" d'Yveline Féray.
Il existe une suite à ce conte que je réserve pour
une autre fois. Le Yokai de cette histoire se nomme
Mukomokuren ("Nombreux Yeux").
Troisième nuit :
Troisième jour, troisième histoire. Cette fois elle
nous vient d'Islande :
"C'est amusant, l'obscurité :
Jadis, et jusqu'à nos jours, on avait coutume en
Islande, de veiller les morts et le plus souvent on disposait d'une
bougie si la nuit n'était pas tout à fait claire. Un jour, un Sorcier peu ordinaire vint à mourir. Personne n'avait vraiment envie
de veiller son corps. Cependant on trouva pour le faire un homme
aussi courageux qu'il était fort. Veiller ne lui déplaisait pas. la
nuit qui précéda la mise en bière, la bougie s'éteignit peu avant
l'aube. Alors le mort se leva et dit "C'est amusant,
l'obscurité." Le veilleur répondit : "Tu n'en profiteras
guère." Puis il déclama ce poème :
"Le monde s'éclaire à présent,
la nuit a touché à sa fin.
C'était une bougie, mais tu es poussière,
alors tais-toi maintenant !"
Huile sur toile intitulée : "La Danse de la Mort" et réalisée par le peintre hollandais Adriaen Pietersz van de Venne.
Ensuite il se jeta sur le mort et le maîtrisa. Le
cadavre ne bougea plus le restant de la nuit."
- Conté par Einar Bjarnason et rapporté par Jon Arnason.
- Conté par Einar Bjarnason et rapporté par Jon Arnason.
Quatrième et cinquième nuit :
Voici le quatrième extrait (venu du Pays de Galles), consacré
cette fois à l'Autre-Monde :
"Le harpeur et les Fées :
Il y avait une fois, dans un endroit très reculé du
Denbighshire {dans le Nord du Pays de Galles},
dans la paroisse de Hafod Elwyt, un vieil harpeur {harpiste}
nommé Shon Robert, qui était souvent invité à jouer pour
les danseurs lors des différentes fêtes, ou à accompagner les
chanteurs.
Un soir, il alla à Llechwedd Llyfn, près de
Cefn Brith, pour une jolie fête, et la soirée s'acheva bien
tard. Enfin le harpeur prit le chemin du retour. Ce chemin passait
par la montagne chauve. En passant près d'un lac appelé
Llyndau-Ychain, grande fut sa surprise de voir sur les berges
un véritable palais brillamment illuminé, là où il n'avait jamais
rien vu auparavant. Il continua de marcher et, arrivé à la hauteur
de ce merveilleux château, il fut hélé par un serviteur qui
l'invita à y entrer. Il accepta de bon gré l'invitation, et fut
introduit dans un magnifique salon où se tenait un bal fastueux.
Aussitôt, les invités entourèrent le vieux harpeur, se firent très
amicaux et, à son grand étonnement, s'adressèrent à lui par son
prénom...
La salle était incomparablement meublée et
décorée de riches tapisseries ; nombre d'objets étaient même en
or massif. Un échanson proposa au musicien un gobelet de vin
pétillant, que celui-ci sut apprécier. On demanda alors au harpeur
de jouer pour l'assemblée, à la plus grande satisfaction des
invités. Puis l'un des hôtes prit son chapeau et fit la quête pour
le musicien, le ramenant plein de pièces d'or et d'argent. La fête
continua avec beaucoup de gaieté et de magnificence jusqu'à l'aube.
Mais, au premier chant du coq, les convives disparurent, laissant
Shon tout seul.
Avisant un magnifique canapé, il s'y allongea et
s'endormit aussitôt. Lorsqu'il s'éveilla, il était déjà midi et,
à son grand désappointement, il se retrouvait sur un tas de
bruyère. Le palais magnifique s'était évanoui. Quant à l'argent
de la quête, qu'il avait transféré de son chapeau à sa besace, il
n'en restait plus qu'un tas de feuilles sèches."
- Conte provenant du livre "Welsh Folklore" ("Folklore gallois"), traduit par Mike James et remanié par Gérard Lomenec'h dans l'ouvrage intitulé : "Contes Populaires des Pays Celtiques". Je l'ai laissé tel quel hormis les annotations afin de faciliter votre compréhension du texte.
Illustration un brin romantico-gnangnan réalisée par Richard Doyle en 1870.
- Conte provenant du livre "Welsh Folklore" ("Folklore gallois"), traduit par Mike James et remanié par Gérard Lomenec'h dans l'ouvrage intitulé : "Contes Populaires des Pays Celtiques". Je l'ai laissé tel quel hormis les annotations afin de faciliter votre compréhension du texte.
Illustration un brin romantico-gnangnan réalisée par Richard Doyle en 1870.
Sixième nuit :
Sixième extrait. Cette fois il s'agira d'un Non-Mort
fort complexe que je n'ai pas encore eu le temps de voir avec vous. À
savoir le Vampire (et le Cauchemar puisque la créature
a les caractéristiques de ces deux êtres) :
Gravure - d'Auteur Inconnu - représentant soit un Vampire ("modernisé") soit un Démon sous forme humaine.
Gravure - d'Auteur Inconnu - représentant soit un Vampire ("modernisé") soit un Démon sous forme humaine.
"En 1591, un cordonnier se tranche la gorge
dans une célèbre ville silésienne. On ignore la cause du suicide.
Sa femme raconte qu'il a succombé à une attaque. Au bout de six
semaines, un bruit court dans la ville : un Fantôme
ressemblant au cordonnier afflige et écrase les dormeurs. En même
temps, une rumeur se répand, disant que le cordonnier s'est suicidé.
Les parents du mort s'opposent à l'exhumation du corps, mais le
défunt se jette sur le lit des dormeurs, s'agrippe à eux et tente
de les étrangler, pèse si fort qu'on voit sur leur corps des
marques blêmes le lendemain matin, et même des traces de doigts
plusieurs heures après. Finalement, le peuple effrayé fait exhumer
le corps qui a reposé en terre du 22 septembre 1591 au 18
avril 1592. On découvre que le cadavre est intact, très gonflé,
que la peau des pieds est tombée et qu'une autre a repoussé. Au
bout de vingt-quatre heures, on l'ensevelit de nouveau, mais en une
place infamante. Pourtant, le mort continue ses méfaits jusqu'à ce
qu'on lui tranche la tête, les membres, les mains et les pieds le 7
mai 1592 et qu'on lui ouvre le dos. On trouve son cœur intact,
comme celui d'un veau que l'on vient d'abattre. On dresse un bûcher
et on incinère le corps. On surveille les cendres durant la nuit
afin que les gens ne s'en emparent pas pour agir de façon criminelle
; le lendemain, on les place dans un sac que l'on jette dans la
rivière. Désormais, on connut la paix."
- Traduit de l'ouvrage intitulé "Schlesisches historisches Labyrinth" par Claude Lecouteux.
- Traduit de l'ouvrage intitulé "Schlesisches historisches Labyrinth" par Claude Lecouteux.
Septième nuit :
Septième extrait tout frais :
À proximité de la Préfecture de Yang-hsin
{une préfecture chinoise qui m'est inconnue} se trouvait une auberge
tenue par un vieillard et son fils. Un soir, quatre voyageurs fourbus
demandèrent à y loger. Malheureusement, toutes les chambres étaient
occupées. Devant l'insistance du quatuor, l'aubergiste céda et les
envoya dans une chambre où reposait le cadavre de la belle-fille de
l'aubergiste (décédée il y a peu).
Fourbus, les voyageurs s'endormirent aussitôt à
l'exception d'un seul, mal à l'aise à l'idée de coucher près
d'une morte.
Alerté par un craquement, le voyageur écarquilla les
yeux de terreur en voyant le cadavre se dresser et se diriger vers
les couchettes de ses compères. Voyant que la morte se penchait et
soufflait son haleine méphitique au visage des dormeurs, il cacha
discrètement sa tête sous les draps, et bloqua sa respiration
lorsque le cadavre ambulant s'approcha pour lui souffler au visage.
Passé ce désagréable moment, il souleva un coin de
drap et constata que la morte avait regagné sa place. Pressé de
quitter cet endroit, il s'habilla à la hâte et courut vers la
sortie. Alertée par le bruit, la morte se dressa et se jeta à sa
poursuite.
Illustration créée par Clementmeriguet.
Illustration créée par Clementmeriguet.
Parvenu sur le seuil d'un monastère, le voyageur
tambourina à la porte mais le portier, trouvant son histoire trop
farfelue, refusa de le laisser entrer...
Acculé et voyant surgir le cadavre ambulant, il n'eut
d'autre choix que de s'abriter derrière un arbre et de tourner
autour pour éviter les assauts de son adversaire. Agacée par ce
manège, la morte bondit griffes en avant, manqua de peu le voyageur
et se retrouva les mains encastrées dans le tronc de l'arbre...
Le lendemain, le portier du monastère eut la surprise
de trouver le farfelu d'hier évanoui accompagné du corps d'une
jeune fille planté dans un arbre...
- Texte de Yuan Mei, tiré du livre : "Ce que Confucius n'a pas dit" et remanié par mes soins.
- Texte de Yuan Mei, tiré du livre : "Ce que Confucius n'a pas dit" et remanié par mes soins.
Et c'était le dernier extrait. J'espère que ce petit
extra vous aura plu. N'hésitez pas à me donner votre avis pour voir
si vous souhaitez à nouveau que je farfouille une prochaine fois
dans mes livres pour commémorer de temps à autre l'une ou l'autre
fête.
Remerciements :
Pour la rédaction de ce court article, je remercie :
- Les différents artistes (cités sur chaque illustration) dont les créations ont pu égayer cet article.
- Mel pour son aide dans la correction.
Remerciements :
Pour la rédaction de ce court article, je remercie :
- Les différents artistes (cités sur chaque illustration) dont les créations ont pu égayer cet article.
- Mel pour son aide dans la correction.
- Idraemir
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