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samedi 21 mars 2020

Les trois jours de Beltaine - première année

Joyeuse Beltaine à toutes et à tous !

Étant donné que je fête habituellement avec vous la Samhain (fête celtique marquant le début de la saison sombre), je me suis dit qu’il serait également de bon ton de faire de même avec la Beltaine (qui marque donc le début de la saison claire).

Pour vous décrire brièvement l’évènement, il s’agit d’une fête de la lumière et du feu, se déroulant le 30 avril ou le 1er mai et célébrant le renouveau, le changement de rythme.

Il était notamment coutume de faire passer les troupeaux entre deux feux (les « Feux de Bel » - Belenos, le Dieu Celte du Feu et de la Lumière) pour les préserver des épidémies, de sauter par-dessus les flammes ou de danser autour d’un Mât de Mai.

"May-Day In the Time of Elisabeth".
Gravure intitulée : "May-Day In the Time of Elisabeth" ("Le Jour de Mai Au Temps d'Élisabeth") et réalisée par J. et G. P. Nicholls. Je précise que l'Ère Élisabéthaine s'est déroulée de 1558 à 1603).

Étant donné que je n’ai pas de ruminants sous la main, je vous propose (pour les jours prochains), 3 textes folkloriques issus de ma réserve personnelle. Ils seront (comme toujours) liés au folklore mais, contrairement à ceux de la Samhain, ils auront une thématique plus lumineuse, joyeuse et chaleureuse.

Je vous laisse donc profiter de cette journée ensoleillée et vous dis à très bientôt !

- Le Mât de Mai (tradition toujours pratiquée dans certains pays comme le Pays de Galles) est une sorte de danse où les participants se tiennent en cercle autour d’un poteau planté dans le sol, orné de longs rubans multicolores. Chaque participant prend un ruban pour tournoyer dans le sens des aiguilles d’une montre et faire en sorte que les divers rubans s’entrelacent.

Premier jour :

Pour démarrer, je vous propose un conte assez fleuri, provenant du Duché de Cornouailles :

« Il y a de cela fort longtemps, une vieille femme résidant sur une colline, à proximité d’un tumulus où venaient danser les Fairies (Fées), possédait un ravissant jardin dans lequel elle cultivait une belle corbeille de tulipes. Les Bonnes Dames se plaisaient tellement dans son jardinet qu’elles y amenaient parfois leurs nourrissons pour leur chanter des berceuses afin de les pousser dans les bras de Morphée. Souvent, lorsque la nuit drapait l’endroit de son obscur manteau, flottait dans l’air les accords d’une musique enchanteresse semblant venir des tulipes.

Dès que les nourrissons de l’Autre-Monde s’étaient endormis à ces mélodies, les Fairies regagnaient le champ voisin et passaient le reste de la nuit à danser pour laisser au matin des cercles sur le gazon, seule preuve de leur présence en ces lieux.

Leurs cabrioles achevées, les Bonnes Dames retournaient à la hâte se cacher dans les tulipes et s’occuper de leurs chérubins. Favorisés par les Faeries, les végétaux fleuris conservaient leur beauté plus longtemps qu’aucune autre fleur du jardin et, contrairement à leur nature, le souffle des Fées leur donnait le parfum suave des roses.

Fairy
Une Fée des Fleurs réalisée par EngKit.

La vieille dame chérissait tant ses tulipes qu’elle ne pouvait supporter que l’on en cueille une seule. Mais un jour, elle rendit son dernier soupir et son héritier – plus pragmatique – détruisit les fleurs féériques pour les remplacer par un plant de persil …

Chagrinées et humiliées par cet affront, les Fairies firent sécher le persil sur pied et rendirent le sol stérile.

Si les Fées punirent l’insolent qui avait osé détruire leur jardin secret, elles couvrirent de leurs attentions la dernière demeure de leur ancienne bienfaitrice. Près de la tombe où reposait la vieille dame, on pouvait entendre, la nuit venue, des chants et lamentations à sa mémoire (excepté lors de la pleine lune où le Petit Peuple honorait l’astre d’argent par des danses et autres réjouissances).

Le tertre de cette amie des Fées se couvrit rapidement d’un gazon éclatant, parsemé des plus ravissantes fleurs et jamais aucune mauvaise herbe ne put croître sur ce sol. Ce sanctuaire végétal demeura fleuri jusqu’au jour où l’enveloppe charnelle de la vieille dame fut complètement retournée en poussière. »

- Le texte que vous venez de lire (remanié par mes soins) provient des « Contes Populaires de la Grande Bretagne » de Loys Brueyre.

- Même si le conte suivant semble assez marqué par un romantisme un tantinet mièvre, on peut voir émerger dans le texte le côté « Génie du Lieu » des Fées qui veillent sur l’endroit où elles résident, offrant la prospérité à ceux qui respectent leur sanctuaire et punissant ceux qui le « souillent » ou l’abîment.

- La Cornouailles (ou Cornwall) est un duché du Royaume-Uni situé sur la pointe Sud-Ouest de l’île de Grande Bretagne.

- « Bonnes Dames » est un synonyme pour désigner les Fées, au même titre que « Bonnes Gens » ou « Petit Peuple » s’applique aux Élémentaires (dont font partie les Fées).

En espérant que ce premier texte vous a plu, je vous dis à très bientôt pour le second. Bonne lecture !

Deuxième jour :

En guise de « plat de résistance » (littéraire), voici un conte ardennais assez court mais dont l’issue reste divertissante :

« Il y a longtemps de cela - au temps où il était courant que les Nutons rendent de menus services aux habitants de la région, un maréchal-ferrant demanda au Petit Peuple de réparer le soc de sa charrue. Les menus travaux achevés, l’artisan, bouffi d’ingratitude eut le toupet de tempêter contre ses bienfaiteurs, les accusant d’avoir « cochonné » le travail …

Kabouter
Illustration de Rien Poortvliet, un peintre et illustrateur néerlandais représentant un Kabouter, un cousin hollandais du Nuton.

Sa femme – craignant une possible vengeance des petits êtres - tentait de calmer son époux en lui rappelant qu’il n’avait pas cher payé leurs services mais ce dernier ne décolérait point.

Le lendemain, la femme du maréchal-ferrant ne put retenir un cri d’effroi en constatant que son chérubin avait été enlevé du berceau et remplacé par une étrange créature grimaçante, à savoir un « Changelin ». Apprenant la nouvelle, le père hurla de plus belle, menaçant d’aller perdre le « morveux » dans le bois le plus proche mais son épouse s’y opposa fermement et garda auprès d’elle le rejeton contrefait qui passait son temps à pleurer sans jamais dire un mot.

Plusieurs jours passèrent et la mère, épuisée par la situation, alla consulter une guérisseuse. Cette dernière lui conseilla de le forcer à parler à tout prix et lui révéla une astuce pour délier la langue du Changelin.

Rassurée, la mère rentra et fit comme le lui avait dit la rebouteuse : elle prépara un grand nombre de coquilles d’œufs, fixa un petit bâtonnet dans chaque réceptacle et disposa le tout autour du berceau de l’imposteur. Une fois sa tâche accomplie, elle se retira sur la pointe des pieds, se cachant dans un coin et épiant son « enfant ».

Ouvrant les yeux après une sieste, le Changelin remarqua les coques vides et s’écria :

« Dj’a véyou Brâmint dès loces mahantes, mins tot l’minme may tant qu’çoula .»

« J’avais déjà vu beaucoup de louches pour mélanger, mais jamais autant que cela. »

À peine eut-il prononcé ces paroles qu’une nuée de Nutons fit irruption par la cheminée, emporta le faux moutard et replaça le véritable enfant dans son berceau, au grand bonheur de ses parents.

Peu de temps après, le curé local vint lire l’évangile de saint Jean à l’entrée de la grotte (où résidaient les petits êtres) et depuis, les Nutons ne sont jamais revenus ... »

- Cette légende (remaniée par mes soins) a été collectée par le folkloriste Louis Banneux (18691931).

- Les Nutons sont de petits Élémentaires de la Terre que l’on retrouve principalement dans les Ardennes Belges et Françaises. Par le passé il était courant d’aller déposer devant leurs cavernes des objets à réparer en échange d’un peu de nourriture.

- Le Changelin sert souvent de leurre afin de subtiliser le nourrisson d’une famille. Il peut s’agir d’un Elfe, d’une vieille Fée ou d’un autre membre de la famille des Élémentaires.

- Ce type de légende est assez courant et se retrouve sous différentes formes mais garde dans l’ensemble la même structure (hormis la créature qui remplace le bambin et la méthode pour le récupérer).

- On peut supposer que le curé a été envoyé pour « exorciser » la demeure des Nutons. Le Petit-Peuple ayant souvent été diabolisé par le clergé, il était courant de le voir associé au Démon

Voilà, en espérant vous avoir rassasié. Nous verrons le troisième et dernier texte (je l’espère) sous peu. En vous souhaitant une bonne lecture !

Troisième jour :

Pour terminer, je vous propose de faire un tour chez nos voisins nordiques avec le conte suivant :

« Thoms avait longtemps servi au village en tant que simple valet de ferme. Dans de nombreuses chambres de fileuses, il avait aidé à enrouler le fil et diverti l’assistance en racontant moult histoires. Fait étrange, il connaissait toutes les demeures où résidait un Nispuk et avait même travaillé dans l’une d’elle. Pourtant, et malgré tous ses efforts, il n’était jamais parvenu à en voir un…

L’automne venu, il changea de place et s’engagea dans une grande ferme.

Un jour, un des chevaux de la demeure fut pris de fourbure. Pour le soigner, il fallut donc le nourrir avec du son et de la paille hachée. Le fermier envoya Thoms au grenier et lui indiqua où il pourrait trouver rapidement le nécessaire pour traiter l’équidé.

En cherchant, Thoms trouva un vieux hachoir ébréché – sans savoir qu’il s’agissait de la couche du Nispuk de la demeure…

Son instrument au poing, Thoms plaça devant lui une botte de paille et, au moment où il allait commencer à la hacher, il sentit quelque chose remuer dans sa main.

Pensant qu’il s’agissait d’un Niss, il maintint sa pression et dit :

« Est-ce toi Niss ? - Oui, répondit l’autre. Ne me fais pas de mal et tu t’en porteras bien. »

Thoms le promit à la seule condition qu’il se montrât sous sa vraie forme, ce que le petit être lui accorda.

Méfiant, le valet lui redemanda :

« Tu ne mens pas ? - Je ne mens jamais, répliqua le Niss »

Nisse
Des Nisses selon Kiri Østergaard Leonard.

Rassuré, Thoms le libéra. Reconnaissant, le petit être lui dévoila son véritable aspect et le pria de ne jamais trahir son secret, lui assurant qu’il s’en porterait bien.

Thoms tint parole et ils devinrent les meilleurs amis du monde ! Le jeune homme soignait bien son étrange compagnon et quand, au bout d’un an, il épousa la fille du fermier, le Niss partit avec lui.

Tout ce qu’entreprit Thoms réussit et il mourut riche et prévôt du village. »

- Cette légende du début du XXème siècle (remaniée par mes soins) provient du Schleswig.

- Nispuk ou Niss est probablement un Nisse, un Élémentaire du folklore nordique que l’on peut associer aux Génies Domestiques (qui s’occupent de la demeure où ils résident en échange de nourriture ou de menues offrandes), Nains ou Lutins.

- La Fourbure est une maladie grave qui touche souvent les chevaux. Il s’agit d’une inflammation et congestion du pied qui empêche l’animal de rester debout.

- Le Schleswig est un ancien duché qui se trouvait à cheval entre le Danemark (dont il a été le vassal plusieurs siècles durant) et l’Allemagne.

Et voilà que se termine le troisième et dernier texte pour la Beltaine (qui fut assez long à venir). Il ne vous reste plus qu’à attendre le début de la saison sombre (Samhain) pour en découvrir de nouveaux.

Je vous souhaite un bon début de semaine et vous dit à très bientôt !

Idraemir

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