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mercredi 22 juin 2011

Le Dragonnet du mont Pilate

Les Dragons classiques ne sont pas toujours de titanesques créatures. Les Dragonnets par exemple ne dépassent que rarement la taille d'un homme adulte (ils n'en sont pas moins mortellement dangereux). Il est à noter toutefois que dans le milieu rôliste, un Dragonnet est le terme qui désigne un bébé Dragon. Bref, je vais sans plus tarder vous conter la légende du Dragonnet du mont Pilate.


Durant le Moyen-âge (pas très précis je sais), le mont Pilate donc, abritait un Dragonnet terrifiant dont le sang était un poison mortel. La ville suisse de Wilser était régulièrement assiégée par cette créature, dont l'haleine brûlante carbonisait (comme d'hab) maisons, fermes, bétail et population. Wilser ne comptait malheureusement plus un seul citoyen sachant manier suffisamment l'épée pour affronter le Dragon.


Le seul encore capable d'accomplir cette prouesse martiale était un dénommé Winckelriedt, banni de la ville pour une légère tendance à mettre l'épée au clair (on parle bien d'une arme blanche...) trop souvent, ce qui lui avait valu d'être condamné pour meurtre tout en se faisant saisir ses terres. Les autorités de Wilser durent se rendre à l'évidence : il leur fallait l'aide de Winckelriedt afin de mettre fin au règne de terreur du Dragonnet. Après avoir obtenu la promesse qu'il serait gracié et que ses biens lui seraient restitués (s'il revenait victorieux), le champion de la cité leva sa lame en guise de salut et prit le chemin vers la tanière de la bête.


A l'issue d'une ascension plutôt pénible du mont Pilate, Winckelriedt déboucha sur une grotte naturelle, parsemée de hauts piliers rocheux et menant à la caverne du Dragonnet. Au moment où il s'engageait dans le boyau, il vit émerger de l'antre une créature ailée de petite taille et étonnamment gracieuse dont l'apparence l'étonna fortement.


Le souffle brûlant de la bête le ramena cependant bien vite à la réalité et le duel s'engagea aussitôt, fait d'écarts et de feintes incessantes. Au plus fort de la bataille, alors que Winckelriedt pensait finir en tas de cendres, le cou allongé du Dragon passa près de sa lame et cette dernière siffla, tranchant net la tête de l'infortunée créature.

Winckelriedt contre le Dragonnet.

La tête du Dragonnet roula au sol et ses yeux flamboyants s'éteignirent définitivement. Winckelriedt  leva son épée au-dessus de sa tête afin de commémorer sa victoire, scellant par la même occasion son destin : un jet de sang infect coula le long de sa main et de son poignet. Il mourut avant d'avoir eu le temps d'ouvrir la bouche pour hurler, tué par le sang de la bête qu'il venait d'occire...


En guise de petite conclusion, il semblerait que la légende du Dragonnet du mont Pilate ait été inspirée par la découverte sur le site, de plusieurs squelettes de ptérosaures (ordre désignant des reptiles volants géants ayant vécu principalement durant la période Jurassique et Crétacé). Je rajouterais également que l'on a déjà découvert une dent creuse (canal à venin) ayant appartenu probablement à un dinosaure.
Idraemir

mardi 21 juin 2011

La fin honteuse du Dragon de Wantley

Bon avant toute chose, vu que cet article sera mon 30ème traitant de folklore, je vais tenter spécialement de fêter ça en les publiant sur un fil de la toile (relié à ma fiche vous l'aurez parié), histoire d'en faire profiter les pauvrets qui ne sont pas tombés au bon moment, les nostalgiques éventuels, les acharnés aussi rares que du crin de Licorne et pour ulcérer les autres (ya pas de petits plaisirs).

Cela fait bien longtemps que je n'ai pas parlé de Dragons (pour ce sujet il sera dur de me faire taire). Je m'en vais donc prestement remettre les choses en place avec une légende anglaise
assez peu commune :"La fin honteuse du Dragon de Wantley".

Gravure représentant le duel de More et du Dragon.

Durant le règne d'Elisabeth I (Angleterre), le Dragon du domaine de Wantley terrorisait les habitants du petit village de Wortley (faut rester dans la tradition du "w"), dans le Yorkshire.

Ce Dragon donc, avait la mauvaise habitude de déraciner les arbres, boulotter les vaches laitières et maltraiter tous les humains qu'il rencontrait. Longtemps les habitants du village durent supporter ses méfaits, pour finalement se tourner en désespoir de cause vers More de More Hall, un grand chevalier local, un peu trop porté sur ce qui se cache sous le jupon des demoiselles.



More accepta de débarrasser la région du Dragon mais, à la condition que la veille et le matin de la bataille, une demoiselle à la peau blanche et aux cheveux noirs, l'enduise d'huile et l'aide à s'habiller. Tandis que toutes les jeunes filles brunes à la peau claire de la région tentaient (traduisez : se crêpaient le chignon) de convaincre les anciens de leur confier cette "importante mission", More se rendit à Sheffield, où il fit confectionner par un maître armurier une armure métallique recouverte de pointes d'acier longues de quinze centimètres (je penche pour une sorte de harnois-plein clouté amélioré).

Dans la soirée, il rentra à Wortley avec son costume digne de la rencontre entre un cactus et la révolution industrielle et regagna son manoir, impatient de retrouver la demoiselle choisie par les villageois.

Le lendemain matin, il se leva très tard, l'air étonnamment fatigué (ben tiens). Aussi, pour lui redonner des forces, les paysans lui apportèrent-ils six pintes de bière (une bière c'est deux tartines comme on dit), qu'il avala d'un trait avant de partir en quête du Dragon. Connaissant le puit où celui-ci venait régulièrement s'abreuver, More s'y dissimula et, lorsque la bête arriva, bondit à l'extérieur et le frappa violemment à la mâchoire. Surpris par cette attaque en traître, la créature blessée réagit en répandant dans sa direction un tombereau d'excréments fumants (je vous passe les détails).


Peinture retraçant de manière personnelle le duel de More.

Le combat qui s'engagea ensuite dura deux jours et demi, à l'issue desquels aucun des deux adversaires ne réussit à blesser l'autre. More était aussi bien protégé par son armure que le Dragon l'était par ses grandes écailles vertes. Finalement, le chevalier saisit le monstre par les hanches et le fit tourner sur lui-même (après deux jours de combat et un Dragon qui doit bien faire au moins quinze fois son poids j'ai un léger doute de la chose...), de manière qu'il lui présente son arrière-train. Il avait entendu dire par les villageois que c'était le seul point vulnérable du Dragon (la honte de la famille Draconique), et il était justement temps de vérifier cela. Levant le pied droit, chaussé d'une botte métallique (un soleret ?) fort pointue, il frappa de toutes ses forces...


Poussant un hurlement de douleur (et de honte) , le "monstre" bondit en l'air, tourna six fois sur lui-même (origine peut-être du terme : faire six fois le tour de son slip ?), puis s'effondra sur le sol. Pendant quelques instants encore, il s'agita et geignit, puis il lâcha un dernier flot d'excréments et mourut. More put alors paisiblement regagner son manoir, où l'attendait sa masseuse aux cheveux noirs et une nouvelle jarre d'huile.

Idraemir
 

mercredi 15 juin 2011

Le Minotaure

Vu que cela fait longtemps que je ne vous ai pas pourri votre journée par un de mes pavé folklorique, je me permet de venir réparer ce manquement (en plus court, je vous ai manqué ?). Pour cette fois, on va revenir au folklore plus connu histoire de démarrer en douceur (je vous torturerais avec une bestiole chimérico-nébulo-héraldique une autre fois).


Qui n'a pas rêvé de parcourir un gigantesque Labyrinthe de buis après avoir lu les oeuvres de Lewis Carroll (je fracasse celui qui me parle de Burton) ou encore se perdre dans les délires de logique des Escaliers d'Escher. Le Labyrinthe, représenté dans de nombreuses cultures comme les Celtes ou les Grecs, possède une forte symbolique d'initiation et de cheminement vers son destin qui se façonne peu à peu sous ses nombreux méandres. Mais qu'est ce qu'un Labyrinthe sans son gardien ? Je présenterais donc le plus connu d'entre-eux à savoir : le Minotaure.


Le nom Minotaure signifie: le taureau de Minos (roi de Crête). Monstre hybride à corps d'homme et à tête de taureau de près de trois mètres de haut, né des amours interdits (que j'expliquerais plus en détail plus loin) entre un taureau immaculé du roi et l'épouse de ce dernier la bien nommée : Pasiphaé.


Pour parler du Minotaure, il me faudra raconter l'un des exploits du demi-frère d'Hercule : le sieur Thésée et, pour bien faire, commencer par le début (s'éclaircit la voix un brin).

Minos et sa famille :

Quelques années avant le retour de Thésée, Egée régnait déjà sur Athènes et le roi Minos gouvernait l'île de Crête. Il s'était marié très jeune à une femme (un bouc cela aurait été inquiétant) nommée Pasiphaé. Le mariage donna lieu à de nombreux sacrifices à la gloire des dieux et en particulier un superbe taureau blanc qui devait être offert à Neptune (dieu marin grand amateur de chevaux). Mais, Pasiphaé émue par le sort de l'infortunée créature, demanda à ce qu'il soit épargné et Minos y consentit.

On pourra dire que c'est le taureau de l'île de Crête en plus... bourrin.

Neptune irrité de se voir retirer son sacrifice, ensorcela Pasiphaé pour qu'elle tombe amoureuse du taureau. De leur union naquit un monstre bizarre au corps d'homme et à la tête de taureau, qui fut appelé le Minotaure. Minos, croyant voir son propre fils, décida de le garder tout en cachant aux yeux de tous son existence. Il fit venir un architecte génial nommé Dédale (je vous conseille au passage le livre : J'ai bien connu Icare) pour construire une prison dont personne une fois rentré ne peut sortir. Le Labyrinthe était né.

Constitué d'un réseau complexe de routes, détours, voies, impasses... dans lesquels il était impossible de s'y retrouver sans les plans. Minos demanda justement à Dédale de lui remettre ces derniers pour les brûler. Le Minotaure fut conduit dans sa nouvelle résidence d'été, offrant à Minos la garantie que personne ne pourra voir son “fils” avec en rab, l'assurance que les éventuels curieux ne pourront pas venir raconter ce qu'ils ont vu.


Minos vécut plusieurs années dans la paix et la joie aux côtés de son épouse
qui lui donna trois enfants : un fils, Androgée et deux filles Ariane et Phèdre. Lorsque son fils Androgée eut quinze ans, son père trouva bon de lui faire voir un peu du pays et l'envoya à Athènes muni d'une recommandation pour le roi Egée. Pour son plus grand malheur, le prince arriva au moment ou le roi Egée sortait pour aller à la chasse. Ne voulant pas gâcher sa sortie, le roi proposa à Androgée de l'accompagner... Le jeune-homme inexpérimenté et imprudent y fut tué par un lion.

Minos scandalisé de cet outrage aux lois de l'hospitalité (et peut-être aussi pour le fait d'avoir fait mourir son fils également), monta une expédition punitive contre Athènes. A la tête de son armée, il vainquit celle d'Egée et lui imposa de cruelles conditions :

"- Tous les neuf ans et à compter de ce jour, sept jeunes gens et sept jeunes filles de la noblesse athénienne me seront envoyés sur un navire aux voiles noires et je les donnerai en pâture au Minotaure."
  
Egée vaincu ne put que se résigner et envoyer la première cargaison vers leur funeste destin.


Le fil d'Ariane :

neuf ans après la signature de cet infâme traité, lorsque Thésée arrive à Athènes, il ne tarde pas à trouver le peuple en train de s'affairer aux préparatifs du second envoi vers la Crête. Après une longue discution avec son père (le roi), Thésée put le convaincre de le placer dans le prochain convoi à la seule promesse de tout faire pour exterminer le Minotaure et revenir sain et sauf de son expédition.


"- Si tu en réchappes lui dit son père, change les voiles noires du navire par des voiles blanches
afin que de loin j'apprenne la bonne nouvelle."
A peine Thésée et ses treize compagnons ont débarqué sur l'île, que le roi Minos leur annonce qu'ils seront livrés au Minotaure dès le lendemain, tout en ajoutant :
"- Mais comme je respecte, moi, les lois de l'hospitalité, je vous invite ce soir à un grand dîner dans mon palais (après-tout il y aura plus de viande à ronger sur les os)."
A ce dîner, Thésée se retrouva placé, en raison de son haut rang, entre les deux filles du roi. Il éprouva aussitôt une vive attirance pour Phèdre, qui pourtant, ne lui accordait guère son attention; Ariane au contraire, que Thésée avait à peine regardé, tomba follement amoureuse de lui. A la fin du repas, Ariane avait secrètement décidé de tout faire pour sauver Thésée de la mort. Pendant la nuit, elle se rendit chez Dédale et le supplia de lui remettre les plans du Labyrinthe.

"- Je ne les ai plus, lui répondit Dédale, mais je connais un autre moyen de retrouver la sortie. Et il lui confia ce secret."


Le lendemain à l'aube, Arianne entra dans la chambre de Thésée qui encore dans les bras de Morphée (dieu du sommeil) se voyait dans ceux de Phèdre. Elle le réveilla donc prestement :

"- Je suis prête à te donner le moyen de sortir du Labyrinthe à l'unique condition que tu me promettes de m'emmener avec toi à Athènes et m'y épouser."

N'ayant pas trop le choix, Thésée accepta cette offre et Ariane lui expliqua ce qu'il devait faire :
"- Voici une grosse pelote de fil. En entrant dans le Labyrinthe, attache un bout du fil à la grille d'entrée et déroule la pelote pendant ton trajet. Il te suffira pour retrouver ton chemin de suivre le fil en sens inverse."

Thésée fit ce qu'Ariane lui avait conseillé. Après avoir longtemps erré dans le dédale de couloirs, il découvrit le Minotaure, le tua à l'aide de son épée et revint sain et sauf à la grille (excusez le récit épique en deux mots mais les sources sont assez mince sur le sujet) avec ses treize compagnons. Ariane les y attendait, et c'est avec elle qu'ils s'embarquèrent aussitôt sur leur navire.

 Le combat entre Thésée et le Minotaure.


La fuite de Dédale et Icare :

Lorsque le roi s'aperçut de la fuite de Thésée et de sa fille, Minos mena une enquête qui lui révéla la complicité de Dédale. Pour le punir, il enferma l'architecte et son fils dans sa propre création : le Labyrinthe, tout en s'assurant qu'il ne portait aucune pelote de ficelle afin de sortir de là (il existe une autre version où le roi enferme les deux héros dans une cage fabriquée par les soins de Dédale et perchée sur une falaise avec des gardes autour. Dédale se fera passer pour fou en se prenant pour un oiseau et demandera au roi des plumes et d'autres fournitures pour s'envoler dans les cieux. Minos croyant que son architecte a définitivement perdu l'esprit, lui accordera cette faveur non sans un certain humour. Pour finir par voir les deux prisonniers s'envoler dans les cieux et sous son nez).
Icare déclara :

"- Puisque la voie terrestre nous est barrée, nous prendrons celle des cieux."


Génie de l'aviation avant l'heure, Dédale construisit deux paires d'ailes articulées qu'il fixa sur ses épaules ainsi que celles de son fils à l'aide de cire d'abeille. Après quelques essais, ils prirent leur vol, s'élevèrent au-dessus du Labyrinthe pour gagner les flots. Dédale avait recommandé à son fils de ne pas s'approcher du char d'Apollon (dieu de la médecine, poésie et qui tire le soleil sur un char), mais ce dernier ivre de liberté, oublia les conseils de son père et les rayons du soleil firent fondre la cire qui retenait les ailes du malheureux. Icare tomba comme une pierre, se noya et son père fou de chagrin poursuivi son vol jusqu'en Sicile.

L'abandon d'Ariane :

Pendant ce temps, Thésée voguait vers le royaume de son père. Depuis leur départ, Ariane lui manifestait un amour brûlant, exclusif (collant), pendant que de son côté Thésée lui ne voyait qu'une froide (glaciale) reconnaissance à son égard... Sentiment qui se changea rapidement en irritation, puis en ingratitude. Il décida finalement d'abandonner Ariane d'une façon très lâche mais classique. Comme certains propriétaires d'animaux de compagnie (excusez les comparaison douteuse) encombrants, il décida de faire escale sur l'île de Naxos et profita du couvert de la nuit pour se tailler en vitesse toutes voiles dehors...


A son réveil, la pauvre erra seule et en pleurs sur la grève pour finir par tomber sur le dieu Bacchus (dieu de l'ivresse) qui passait par-là. Il lui offrit du vin, la consola, s'éprit d'elle et l'épousa (en passant d'un roitelet à un dieu de la picole, elle a gagné aux changes).

Mort d'Egée :

Thésée cependant, approchait des côtes d'Athènes. Il avait eu tant de problèmes et de soucis depuis son départ de Crête, qu'il avait complètement oublié de changer les voiles du navire. Son père aperçut au loin les voiles noires et ne douta pas un instant que la chair de sa chair était morte. Désespéré il se jeta dans la mer Egée (qui porte depuis son nom).



En petite conclusion, pour ceux qui s'intéressent au sort du taureau blanc. Ce dernier sera capturé plus tard par Hercule et offert à Eurysthée pour purger un crime (l'un des douze travaux).

Idraemir

mardi 14 juin 2011

La Banshee ou le funeste présage

L'Irlande est réputée pour être encore à ce jour fertile en contes traitant de spectres, apparitions et fantômes variés. L'un de ces esprits en particulier, semble retenir l'attention du profane par ses complaintes lancinantes... Je parle bien-sûr de la Banshee.

Gravure assez courante de la Banshee.

La Banshee (ou Banshie) est également appelée Bean-Nighe, Bean-Chaointe ou Bansid, qui peut se traduire par "Femme du Sid" (nom celto-irlandais de l'Autre-Monde, désigne également les tertres sous lequel se réfugièrent les Tuatha Dé Danann après avoir été vaincus par les actuels habitants de l'Irlande).


La Banshee (au risque de me répéter), est un esprit féminin de l'Irlande mais, également de l'Ecosse, qui accompagne l'infortuné défunt vers l'Autre-Monde. C'est également un esprit gardien qui s'attache à certaines familles de noble naissance afin de leur annoncer la mort prochaine de ses membres par de lugubres lamentations (on a connu plus joyeux comme faire-part de décès)...



Lorsqu'un des membres de la famille qui est liée à elle va périr dans les jours qui suivent, la Banshee apparaît autour du manoir et erre tristement en poussant des cris et des gémissements à glacer le sang (que n'importe qui dans les environs peut-entendre).


Walter Scott rapporte une histoire qu'il a découvert dans les mémoires manuscrites
de lady Franshaw :  

"Son mari , sir Richard, alla un jour avec elle, visiter un de leurs amis qui habitait un vieux château féodal en Irlande. Ce château était entouré de fossés. A minuit, lady Franshaw fut réveillée par un cri affreux; elle regarda autour d'elle et aperçut, à la clarté de la lune, la figure et le haut du corps d'une femme penchée sur la croisée. L'élévation du bâtiment et la profondeur des fossés lui firent juger que l'être qu'elle apercevait ne pouvait pas appartenir à ce monde. Ses traits étaient ceux d'une jeune femme, belle mais très pâle, avec des cheveux d'un beau roux. Ils étaient en désordre et ses vêtements lui semblèrent antiques. Au bout de quelques instants, l'apparition disparut en poussant deux cris semblables au premier.



Le lendemain matin, lady Franshaw, encore tremblante, raconta à son hôte ce qu'elle avait vu; elle le trouva plus disposé à la croire qu'elle n'eût pu s'y attendre. Un proche parent de ma famille, lui dit-il, est mort cette nuit dans ce château. Nous vous avions caché cet évènement, pour ne pas troubler la bonne réception que nous voulions vous faire. Toute les fois qu'un pareil accident doit arriver dans notre famille ou dans ce château, l'esprit que vous avez aperçu se montre et fait retentir la maison de ses lugubres clameurs. On croit que c'est le spectre ou le fantôme d'une jeune fille, de condition humble, qu'un de nos ancêtres épousa et qu'il fit précipiter ensuite dans les fossés de ce château, voulant effacer ainsi ce qu'on lui reprochait comme un déshonneur pour la famille."


En analysant ce texte, on peut voir l'évolution de la plupart des mythes celto-irlandais passant de l'esprit de la nature (Elementaire) à celui d'âme errante. La Banshee est parfois associée à la Lavandière de nuit, qui apparaît à ceux qui vont bientôt mourir en lavant son linceul ensanglanté. La Banshee peut être vue sous trois apparences principales qui ne sont que les trois aspects de la Déesse-Mère des celtes : la jeune fille (Badhbh), la femme mûre (Macha) et la vieille femme (Mor-Rioghain). Il arrive plus rarement également qu'elle prenne l'apparence d'animaux variés : corneille, hermine, belette,...

Version un rien "romantique" (ou glauque au choix) et erronée de la Banshee.

Son aspect terrifiant lié à la mort n'en est pas moins dénué de malice : c'est un Elémentaire psychopompe. La description qui revient souvent est celle d'une femme au visage pâle et émacié avec de longs cheveux blancs qui tombent en cascade sur ses épaules ainsi que des yeux rouges flamboyants pour parfaire le tableau.

Selon certaines indications, le privilège de se voir accorder la protection d'une Banshee, n'est offert qu'aux famille de pure origine Milésienne (les Milésiens forment le peuple qui a vaincu les Tuatha Dé Danann). Pour d'autres, cet honneur est parfois donné aux musiciens talentueux. Walter Scott nous parle également d'un esprit fort semblable à la Banshee dont le rôle ne se bornait pas qu'à annoncer les trépas futurs... En effet, le clan pouvait lui demander tantôt, d'écarter la lame de l'enemi au cours d'une bataille, tantôt, de veiller sur l'enfant de la maisonnée, voire parfois aller jusqu'à aider le chef de clan au cours d'une partie d'échecs (le jeu d'échecs est très ancien au passage. On a pu retrouver des pièces sur l'île de Lewis en Ecosse, datant du XIIème siècle)...


Idraemir

Le Kelpie, cheval de cauchemar

Après une légère pause de ma part au niveau des écrits, je m'en reviens tranquillement avec un nouvel article de folklore qui nous fera faire un long voyage vers l'Ecosse : terre teintée de brume et de mystères insondables. Pour cette fois je sortirais la carte du Kelpie de ma manche.


Le Kelpie est un esprit associé à l'eau vivant dans les lochs (étendues d'eau, bien que les rivières soient leur domaine de prédilection) et à proximité. De très mauvaise réputation, le Kelpie est souvent fort dangereux pour l'homme (au mieux il sera malicieux comme le Noggle de Shetland mais, je pense que ça ne changera pas vraiment grand chose pour la victime qui se sera ramassé un tour de ce genre d'Elémentaire).

Noyade assurée pour le gamin.

"The noggle a mischievous creature in the British isles that isn't really a horse. It looks like a little gray horse with a saddle, but if someone gets on, it dashes into the water where it turns into a burning, blue cloud."
-Encyclopedia Mythica.

Traduction approximative (personne n'est parfait) : "Le Noggle est une malfaisante créature dans les îles Britanniques qui n'est pas vraiment un cheval. Il ressemble à un petit cheval gris avec une selle, mais si quelqu'un s'assied dessus, il foncera dans l'eau en se changeant en un brûlant nuage bleu.


Comme vous avez pu le constater (si vous avez fait l'effort de lire jusque là), le Kelpie possède l'apparence d'un cheval grisâtre (son nom vient du terme gaélique : Each-uisge : cheval d'eau) souvent représenté avec des yeux rouges sinistres et de la végétation aquatique collée à sa crinière. Son but principal étant de faire en sorte qu'un cavalier le monte, si ce dernier a la bêtise de se plier au désir du funeste équidé, il restera collé à la selle (ou son dos) et le Kelpie s'élancera vers le point d'eau le plus proche afin de le noyer proprement.


Il lui arrive aussi de se changer en un beau jeune-homme pour attirer les demoiselles afin de les noyer (reconnaissable aux coquillages et au cresson de fontaine qui ornent sa chevelure), voire encore en homme sauvage velu qui sautera dans le dos des cavaliers afin de les broyer dans son étreinte.


Créature crainte, elle est souvent surnommée Na beiste (la bête) afin d'éviter d'avoir à mentionner son nom. On peut souvent l'entendre gémir avant l'arrivée des tempêtes, le voir est un présage de mort.


Selon certaines versions, placer une bride ordinaire sur le Kelpie (pour ceux assez fous ou désespérés pour tenter le coup) permet de le contrôler et de le faire obéir docilement. Graham de Morphie avait réussi l'exploit de brider un Kelpie afin de transporter des pierres pour construire son château. La bête enfin libre bien que contusionnée et meurtrie, galopa aussi vite que possible vers le fleuve, ne s'arrêtant que pour maudire Graham et son clan. Le clan des Morphies ne s'est d'ailleurs jamais senti à l'aise dans sa nouvelle résidence et il n'a connu que des malheurs...


Le Kelpie véhicule l'idée que la nature à un côté sauvage (parfois cruel) et se doit d'être respectée. Le cheval symbolise également le "voyage entre les mondes" voire une épreuve qui mènera au savoir.


Idraemir

lundi 13 juin 2011

Cernunnos l'indomptable

Dans l'Inde des premiers jours, une entité s'extirpe du néant, gagnant un statut divin et s'unifiant avec les déités primordiales. Au coeur des royaumes de la Grèce antique, les collines résonnent au doux son d'une flûte aux accents étranges qui bercent bergers et troupeaux. Dans les tréfonds de la Gaule encore vierge de toute occupation romaine, les prêtres semblent rendre gloire à un puissant Élémentaire qui arbore triomphalement sa ramure de cervidé, sous le regard bienveillant des druides. Au sein de la verte Irlande, le peuple-cerf dirigé par le vaillant Nemed se prépare à faire face aux légions de Fomoires pour la sauvegarde de leurs terres. Dans les parties encore vierges de la Hongrie profonde, deux frères n'ont de cesse de traquer leur proie : un cerf à la toison immaculée qui semble se jouer de leurs efforts pour les pousser toujours plus avant vers leur glorieux destin. Aux frontières les plus sombres d'une bibliothèque oubliée, nichée aux abords du Pays de Galles, une entité psychopompe s'est glissée entre les pages d'augustes volumes, survivant malgré tous les efforts du clergé pour l'éradiquer. Dans les plus profond bois de la Belgique, saint Hubert ploie le genoux devant un cerf dont le chef s'orne d'une croix auréolée d'un halo lumineux... Chacun de ces évènements est lié, chaque fil que le destin agite se regroupe, pour former une monumentale tapisserie épaissie par les siècles... à la gloire d'une auguste entité, devenue l'origine de bien des mythes, certes rares, mais encore bien présents de par le monde.

Cernunnos

Il existe bien des Élémentaires, certains sont charmants, d'autres horribles, d'autres encore "amusants" (s'il vous prend l'envie de rire un peu trop ouvertement, ce sera peut-être le dernier son qui s'échappera de vos lèvres glacées... hormis peut-être un râle d'agonie). Il n'est pas rare également qu'ils possèdent plusieurs noms voire plusieurs formes... Mais bien peu d'entités peuvent se vanter d'avoir revêtu autant de formes, pris autant de noms que l' Élémentaire noble (supérieurs dans leur caste, ces puissantes incarnations de la nature, de par leur haut rang, deviennent parfois des divinités) qui sera détaillé avec soin entre ces lignes. Je parle bien entendu de Cernunnos. 

Cernunnos, seigneur sylvestre :

"Le vieux dieu dort dans les sous-bois
Obscurs, humides, odorants,
Attendant que nous y enfoncions nos racines."
- Hue Walker.

Maître incontesté de la forêt (bien plus qu'un simple gardien), dont la traduction du nom pourrait signifier "dieu cornu" ou "qui porte des cornes" (cette donnée n'est pas certaine, donc ne prenez pas cette information pour argent comptant). Doté d'un nombre incroyable de titres (Carnunnos, Cernénos, Cernunnus pour ne citer que ceux-là), il était considéré comme le dieu-père souverain en Gaule. Son apparence la plus connue (attestée dans divers documents) est celle d'un homme dont le front est orné de magnifiques bois de cerf (plus rarement des cornes de bélier) et portant un torque - le torque est un bijou celtique formé de plusieurs brins de métal entrelacés (de l'or ou du bronze même si la plupart étaient en argent) qui se terminent souvent par une boule à chaque extrémité (les plus travaillés peuvent présenter des têtes d'animaux ou plus rarement des têtes humaines) qui se mettait autour du cou. Souvent porté par les personnes ayant un haut-rang social ou les guerriers, le torque est reconnu comme symbole de sagesse et de maîtrise du commandement. Souvent accompagné par un cerf ainsi qu'un serpent à tête de bélier.

Cernunnos
Superbe représentation de Cernunnos par John Howe (on peut y voir sa version du serpent-bélier).

Les visages multiples :

Il est parfois dépeint sous les traits d'un jeune-homme imberbe ou ceux d'un vieillard chenu à la barbe fournie (dans des versions plus rares, ses jambes sont remplacées par des serpents). Par extension, il est facile d'imaginer qu'il s'agit d'une trinité de la masculinité (jeune-homme, adulte, vieillard) qui représente chaque aspect de l'existence de l'homme. Il existe d'ailleurs des représentations d'un Cernunnos à trois visages (la plus connue ayant été découverte à la Côte-d'Or en France), à la semblance des trois aspects de la Déesse-Mère, son épouse (la jeune-fille, la mère et la vieille femme). Ces trinités semblent symboliser bien des choses. Les phases principales de la vie humaine (naissance, reproduction, déclin), le temps (passé, présent et futur) ne sont que des exemples parmi tant d'autres. Ce fameux concept triple populaire depuis l'Inde, a été d'ailleurs honteusement dérobé par le catholicisme pour créer une trinité fondamentalement patriarcale (organisation sociale, juridique fondée et dirigée par les hommes)... Mais je m'égare sur des routes peu sûres, il est plus que temps de nous replonger dans la fraicheur revigorante des bois et forêts.

Le dualisme incarné :

Bien que doté d'un statut divin non-négligeable, Cernunnos reste cependant un Élémentaire en bonne et due forme. Étroitement lié à la nature il est imprévisible, indomptable et il jouit de tout ce que l'existence peut lui apporter (en bien comme en mal). Sa nature "chaotique" exceptée (propre à tout Élémentaire qui se respecte), cette entité sylvestre semble s'être spécialisée dans la dualité. En effet, s'il est le protecteur de toutes les créatures de la forêt et le seigneur des animaux, il est également celui des chasseurs (ces derniers d'ailleurs, devaient très certainement l'invoquer durant la traque du gibier, afin de s'identifier à leur proie, pour en quelque sorte l'honorer).

Ses autres attributions ciblent la virilité, l'abondance des ressources en milieu forestier (fertilité), l'harmonie entre tous les êtres mais il veille avant tout sur la régénération de la vie, tout en étant le gardien des portes de l'Autre-Monde (Annwn). Cette dualité peut sembler étrange et pourtant, elle forme un cycle parfait entre la vie et la mort qui se succèdent l'un à l'autre dans un ballet cadencé et ordonné par le temps lui-même. Herne le Chasseur, une autre incarnation de Cernunnos, était d'ailleurs celui qui menait la fameuse Chasse Sauvage (en résumé, une horde de cavaliers Fantômes ou de chiens affamés, suivant les versions, qui ont souvent été vus à certaines périodes, pour des raisons précises, et qui offrent une funeste fin pour l'imprudent qui aurait le malheur de s'approcher de trop près. Mais tout cela fera l'objet d'un article futur), nous aurons d'ailleurs l'occasion de reparler de lui très bientôt.

Cernunnos
Une rare représentation de Cernunnos avec des cornes de bouc par Christopher Reach.

En tant que divinité (ou Élémentaire) de la nature, Cernunnos voit son existence se dérouler de façon cyclique : il apparaît au Soltice d'hiver (où se déroule la fête d'Alban Arthan, qui marque le triomphe de la lumière sur les ténèbres et incarne le renaissance de la vie sur la mort), se marie à Beltaine (appelée aussi Beltan, cette fête qui débute le premier mai représente la fertilité, le feu, qui y joue un rôle symbolique et le début de la période lumineuse qui durera jusqu'à Samhain) avec la Déesse-Mère et meurt au solstice d'été (Alban Hefin, moment où la lumière solaire est à son paroxysme). Ce sera au début de Samhain (se déroulant au premier novembre, cette fête celte marque le début de la période obscure. Nouvel-an celtique où le Bon-Peuple de Faerie, sans oublier les esprits des disparus, se mêlent aux vivants), qu'il sortira de l'Autre-Monde pour se lancer dans sa Chasse Sauvage.

En vertu de son statut important dans la hiérarchie divine, on ne peut qu'affirmer qu'il était fort populaire parmi le peuple celte. Certains iront même jusqu'à dire que les druides avaient largement encouragé l'adoration de Cernunnos, qui serait devenu un obstacle sérieux à la diffusion du christianisme (ce qui n'est pas pour me déplaire, même si je pense que cette "guerre de dogmes" s'est déroulée en Albion et non dans la vieille Europe). Mais pourquoi alors peu de gens se souviennent encore vraiment de qui est Cernunnos ? A t-il disparu sans rien laisser derrière-lui ? Et bien pas tout à fait...

L'archéologie au service du mythe :

Cernunnos est une entité dont on ne trouve presque aucune trace dans nos contrées (il ne semble pas exister d'écrits à son sujet hormis quelques textes romains qui attestent de son existence)... et pourtant, en grattant la surface, il est possible de dénicher ici ou là des vestiges archéologiques qui prouvent son existence. En Haute-Loire (France) par exemple, une sculpture antique a été découverte dans une paroi. Elle semble représenter un être humanoïde assis tenant une corbeille de fruits (probablement une équivalence de la corne d'abondance appelée aussi "cornucopia"), accompagné d'un cerf, d'un taureau, sans oublier un serpent à tête de bélier, enroulé autour de la taille du personnage central. La présence des trois animaux (dont le serpent bélier ou serpent criocéphale qui accompagne souvent Cernunnos) qui forment une triade ne font que renforcer la théorie selon laquelle la statue n'est autre qu'une représentation du seigneur sylvestre.

Cernunnos
Splendide illustration de Michal Ivan.

Autre vestige archéologique : le "pilier des Nautes". Découvert sous le coeur de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Ce pilier est orné de bas-reliefs sur ses quatre faces et l'on peut y voir notamment le dieu cornu aux côtés d'autres dieux celtes (vous pouvez d'ailleurs admirer cette pièce au Musée National du Moyen-âge à Cluny).

L'Italie semble également abriter des trésors archéologiques. Au coeur de la région de Lombardie, dans le parc national de la Naquane, Cernunnos serait représenté sur certaines parois de roche, sous la forme de peintures rupestres.

Mais le plus célèbre témoignage du passé à la gloire du dieu cornu reste le splendide Chaudron de Gundestrup. Chaudron celtique extirpé des tourbières du Jutland (péninsule du Danemark). Constitué d'un assemblage de treize plaques d'argent (dont douze sont décorées avec force détails), ce bijou de l'orfèvrerie dépeint une foule de dieux de la mythologie celte dont Cernunnos. Sur la première plaque, nous pouvons d'ailleurs le voir assis en tailleur (posture caractéristique des dieux et héros celtiques) et arborant sa traditionnelle ramure de cerf, il tient dans la main droite le torque et dans la gauche le serpent à tête de bélier. On peut également voir (sur l'illustration ci-dessous) qu'il est accompagné de plusieurs animaux emblématiques dont le cerf et les chiens.

Chaudron de Gundestrup
Première plaque de l'illustre Chaudron de Gundestrup (exposé au Musée du Danemark).

Sur la deuxième plaque présente dans les images (voir ci-dessous), on peut y voir quatre cavaliers dont le chef de chacun est orné d'un symbole (de gauche à droite : l'arc-en-ciel, les ramures du cerf, le sanglier et le corbeau). Si certains dieux sont reconnaissables du premier coup-d'oeil, d'autres sont cependant beaucoup moins évidents à identifier... Le premier pourrait désigner le dieu Lucetios (dont la traduction du nom signifie probablement "le brillant" ou "l'éblouissant"), dieu de la lumière, le second Cernunnos (ce n'était pas trop difficile à deviner), le troisième Teutatès (le "père de la nation"), dieu protecteur et guérisseur (il s'agit selon certains auteurs d'un autre nom pour désigner Cernunnos) et enfin le quatrième, Bélénos, dieu lumineux (encore un), de la guérison et de l'harmonie. Une théorie assez maladroite à mon goût (elle ne semble pas tenir la route au vu des attributs des différentes divinités), les quatre cavaliers symbolisent soit les quatre éléments (eau, feu, terre, air) soit les quatre saisons (printemps, été, automne, hiver).

Un autre élément intéressant sur cette plaque se trouve dans la partie de gauche. Un personnage géant semble plonger l'autre dans un récipient (un chaudron). Il est fort possible qu'il s'agisse d'une représentation du mythique Chaudron de Dagda (dieu irlandais associé à Ogmios en Gaule). Ce fabuleux récipient avait la capacité, selon les dires, d'apporter une quantité infinie de nourriture à son détenteur et surtout de ramener un guerrier d'entre les morts, si ce dernier était plongé dans le chaudron. Si cet artefact ne vous dit pas grand-chose, il y a fort à parier par-contre que le "Saint-Graal" ne vous soit pas inconnu. En effet, le catholicisme s'est approprié ce fabuleux objet (en l'altérant un petit coup) pour faire rêver les masses avec la fameuse quête du Roi Arthur (écrits également remaniés mais ça c'est une autre histoire).

Chaudron de Gundestrup
Seconde plaque du chaudron.

Les symboliques entrelacées :

Sur les divers vestiges celtiques découverts, certains éléments reviennent assez souvent. Les cerfs et les serpents criocéphales font partie de ceux-là. Outre le fait que ces deux créatures représentent la virilité, ces deux créatures sont toutes deux liées au cycle des saisons. En effet, la perte des bois du cervidé ou la mue du serpent ne forment qu'une symbolique incarnant la régénération dans ce qu'elle a de plus naturel.

Puissant Élémentaire, dieu bienveillant, père nourricier, Cernunnos est une entité Zoomorphe (qui a la forme d'un animal). A mi-chemin entre l'homme et la bête, il relie les deux en nous offrant un moyen de communier avec la nature sauvage. Cependant, le dieu cornu ne peut pas demeurer lumineux sans avoir une part d'ombre en lui... C'est sur cette dernière que nous allons nous pencher. En nous aventurant dans les parties les plus sauvages et hostiles de la forêt profonde...

Herne le Chasseur
Herne le Chasseur dans toute sa splendeur (illustration de Hrvoje Bešlić).

Herne le Chasseur :

Au coeur de la "terre des Angles" (l'Angleterre) le nom de Cernunnos n'évoque pas grand-chose. Par-contre, celui de Herne le Chasseur en fera trembler plus d'un. Cette incarnation plus sombre du dieu cornu, souvent assimilée à un Spectre n'en demeure pas moins un esprit sylvestre. Il se manifesterait dans la forêt de Windsor (gigantesque parc où la royauté anglaise organise à certaines périodes des chasses) dans le Berckshire. Il apparaît au crépuscule (le crépuscule et l'aube sont des périodes clé pour les Élémentaires, ces heures où il ne fait ni jour ni nuit sont des portes ouvertes vers notre monde), son heure de prédilection pour la chasse.

Certains le dépeignent comme une apparition terrifiante coiffée d'un casque fait d'un crâne de cerf et décoré de ses andouillers. Son poignet gauche est ceint d'un bracelet qui irradie d'une étrange lumière. Une chouette (qui dans certaines versions est dotée de cornes) vole au-dessus de lui tandis qu'il mène sa meute d'esprits vampiriques (sans oublier les chiens de l'Annwn ou les âmes qu'il a capturé durant ses voyages) dans les bois. Il s'agit bien entendu d'une variante de la Chasse Sauvage (ou Chasse Fantastique). Les plus pessimistes estiment qu'entendre la voix du Chasseur (qui ressemble fortement au brame du cerf) est un présage de mort certaine. Il tient donc le rôle du psychopompe ("guide des âmes") à la manière de la Banshee irlandaise, bien qu'avec peut-être un soupçon de brutalité en plus...

Herne le Chasseur
Herne le Chasseur par l'illustrateur et caricaturiste anglais George Cruikshank (illustration datant du milieu du XIXème siècle).

Dans des version plus "joyeuses" il reste certes le maître de l'Autre Monde, mais, contrairement à la plupart de ses collègues dépressifs ou austères (Pluton, Hel pour ne citer qu'eux) il garde en lui une grande part joyeuse et lumineuse qu'on connaît avec Cernunnos, appréciant les plaisirs de la "vie" (ironie quand tu nous tient) qui s'offrent à lui en compagnie d'une myriade d'Élémentaires plus joyeux les uns que les autres (il demeure tout de même le seigneur de la renaissance et de la fertilité après tout). Certains disent même qu'il bat la mesure des danses féériques au son de son flûtiau dont il tire de splendides mélopées.

Lors de la Beltane (ou Cethsamhain) cette fête celtique déjà évoquée plus haut qui marque le renouveau de la nature et de la fertilité de la terre, Herne se marie avec la déesse Dana (qui est l'équivalence irlandaise de la Déesse-Mère) pour que leur étreinte puisse libérer la terre du joug de l'hiver glacé.

Si Herne le Chasseur semble à la fois identifié comme un Élémentaire primordial et un Spectre, c'est qu'il y a plus à en dire sur le sujet que son rôle de psychopompe. Il existe effectivement un légende plus récente d'Herne (datant de la fin du XIVème siècle) et je soupçonne cette dernière d'être à l'origine du "nouveau" titre de Cernunnos. Le maître de la joute verbale William Shakespeare à d'ailleurs évoqué ce personnage de légende dans ses écrits. Chose qu'il est plus que temps de vérifier...

Herne et Shakespeare :

"Sometime a keeper here in Windsor Forest,
Doth all the winter-time, at still midnight,
Walk round about on oak, with great ragg'd horns ;
And there he blasts the tree, and take the cattle,
And makes milch-kine vield blood, and shakes a chain
In a most hideous and dreadful manner.
You have heard of such a spirit, and well you know
The superstitious idle-headed eld
Receiv'd, and did deliver to our age,
This tale of Herne the Hunter for a truth."
- William Shakespeare, The Merry Wives of Windsor.

Herne le Chasseur
Une illustration montrant Herne avec un air plus enjoué que de coutume (création de Anne Szabla).

Ce "charmant" poème du seigneur des mots (oui bon j'exagère peut-être un brin dans le registre des titres pompeux je l'admet), est tiré de la comédie s'intitulant : "Les joyeuses Commères de Windsor" (créée vers 1597 bien que la date ne soit pas exacte selon les dires) qui nous narre, en vers s'il vous plaît, la description d'un bien sinistre personnage. Pour les adeptes de Molière, la traduction approximative de la prose ci-dessus pourrait donner ceci :

"De temps en temps un gardien apparaît dans la forêt de Windsor,
Toujours durant l'hiver, lorsque sonne minuit,
Tournant autour d'un chêne, avec ses grands bois (de cerf) ;
Et là il pulvérise l'arbre et s'empare du bétail,
Faisant des laitières (vaches) un produit sanglant et agitant une chaîne
De la plus atroce et affreuse façon.
Vous avez entendu parler d'un tel esprit, et vous le savez fort bien
Transmise et livrée à notre ère,
Cette fable de Herne le Chasseur est la vérité vraie."
- William Shakespeare, Les joyeuses Commères de Windsor.

L'histoire en elle-même nous raconte les déboires de Sir John Falstaff (cliché du seigneur abruti par l'alcool et criblé de dettes), un nobliau qui a la mauvaise idée de courtiser deux damoiselles à la fois (Dame Page et Dame Ford) allant jusqu'à leur envoyer des lettres enflammées (dont il ne changera que la signature). Les deux donzelles étant amies, elles se rendent vite compte des intentions du bonimenteur de service et se mettent en tête de le ridiculiser pour leur plus grand plaisir.

Vers la fin de la pièce (je ne compte pas raconter le tout en long, en large et en travers, pour lire cette oeuvre plus en détail il vous faudra délier les cordons de votre bourse), Dame Page et Ford expliquent la situation à leurs maris respectifs et d'un commun accord ils décident de jouer un dernier tour pendable au malotru de service (qui en a déjà pris pour son grade au cours du récit).

Dame Page et Ford lui donnent rendez-vous le soir dans la forêt de Windsor, en lui demandant de se déguiser en Fantôme (en Herne pour être précis) pour ne pas se faire reconnaître. Celui-ci accepte sans trop se poser de questions... et se rend au lieu-dit avec son bardas encombrant (sans avoir lu la pièce je pense deviner que le pauvre hère faisait un piètre Herne). Entretemps, Anne Page, la fille de Dame Page se fait courtiser par trois prétendants (dont un qui retient son attention) et tout ce beau monde décide de se retrouver dans la forêt de Windsor (ça tourne au vaudeville). En guise de conclusion Anne s'enfuit avec son soupirant (laissant les deux autres comme deux ronds de flan) pendant que Falstaff finit ridiculisé par des enfants déguisés en Fées et Lutins...

Herne le Chasseur

Une pièce rocambolesque au possible où notre cher trompe-la-mort aura eu un modeste rôle. En analysant les vers du poème, il est possible de voir que Shakespeare s'est surtout basé sur la version spectrale de notre sympathique cervidé zoomorphe pour le rôle qu'il lui a donné. La légende de Herne le Chasseur va d'ailleurs le prouver sans plus tarder (et expliquer également le rôle du chêne cité dans le poème)...

Un pendu rancunier (première version) :

Le XIVème siècle était tout sauf une période de paix. Au sein de l'Angleterre sous le règne du roi Richard II (le VIIIème souverain de la Terre des Angles) vivait Herne, un garde de la famille royale qui travaillait dur pour son seigneur... En fait, il abattait tant de travail que ses collègues commencèrent à le jalouser, au point qu'il ne fallut pas longtemps pour que ces derniers éprouvent une aversion marquée pour le pauvre Herne.

A cette époque, le roi Richard utilisait souvent la forêt de Windsor pour chasser et un jour funeste, alors qu'il était en pleine traque, il fut catapulté de son cheval par un cerf immaculé qui semblait sortir de nul-part. Après avoir fait choir le monarque, le cerf blanc tenta de percer le flanc du roi à l'aide de ses ramures mais Herne bondit à la rescousse de son seigneur et il tua le cerf en lui perforant la gorge. Une victoire de courte durée puisque le cerf avait eu le temps de porter un coup mortel à Herne avant de succomber. Alors que le pauvre garde baignait dans son sang dans un état proche du coma, un étranger tout vêtu de noir appelé Philip Urswick apparût et se proposa de soigner Herne, sa seule condition était qu'il perde toutes les aptitudes qui faisaient de lui le meilleur garde du roi...

Le roi accepta cette étrange requête (qui émanait en réalité des autres gardes dévorés par la jalousie) et Philip Urswick arracha les bois du cerf blanc dans le but de les fixer sur la tête de Herne (inconscient de ce qui se déroulait sous son nez). Étrangement, les ramures du défunt cervidé se plantent sur la tête de l'infortuné garde, comme si elles avaient toujours été là. Après ces étranges évènements, le roi récompense grassement Philip Urswick et Herne récupère rapidement de sa blessure, pourtant fatale (les bois par-contre demeurent attachés à sa personne).

Cernunnos
Une version très "humaine" de Cernunnos (par Ion Ander).

Cette histoire aurait pu avoir avoir une fin heureuse, malheureusement ce ne sera pas le cas. Ayant perdu ses capacités de garde et vu qu'il est devenu incapable de servir son roi, Herne se fait congédier (dans une autre version il est accusé de vol par ses collègues qui, toujours jaloux de ses prouesses passées, tiennent à se débarrasser une bonne fois pour toutes de lui). Plus tard, le même jour, un colporteur blanc comme un linge arrivera en trombe pour prévenir les gardes d'une macabre découverte : le corps de Herne, pendu à la branche d'un chêne dans la forêt... Enfin calmé de sa frayeur, le modeste serviteur acceptera de guider les gardes jusqu'au cadavre et arrivés sur place, qu'elle n'est pas la surprise du pauvre hère de voir que le corps grimaçant aux ramures de cerf a disparu de son perchoir.

Une fois la nuit venue, une terrible tempête se déchaîne et le chêne qui avait recueilli un bien curieux fruit plus tôt dans la journée se retrouve frappé par la foudre. Peu après, les gardes découvrent que tous ont perdu leurs capacités et leur expérience, les empêchant désormais de servir correctement le seigneur des lieux.

Ils consultent alors l'énigmatique Philip Urswick, pour savoir comment conjurer le sort et ce dernier leur répond qu'ils doivent rencontrer Herne à minuit, là où ce dernier s'est donné la mort. D'un commun accord les gardes acceptent et lorsque minuit sonne, ils se rendent ensembles au chêne de Herne. Le Fantôme du pauvre garde (toujours garni de ses belles ramures sur le chef) leur apparaît et leur demande de prendre leurs chevaux et tout l'équipement nécessaire avec eux pour le suivre à la chasse.

Le soir suivant, ils reviennent avec le matériel et les chevaux afin de participer à une "chasse sauvage" dans le parc de Windsor. La recherche d'un éventuel gibier se poursuivra pendant un long moment, pour être interrompue par l'arrivée de Philip Urswick, se tenant bien droit en plein milieu du chemin. Selon les termes du marché passé entre lui et les gardes, Herne devait perdre ses aptitudes afin qu'il tombe en disgrâce auprès de son souverain et vu que sa mission était remplie, il désirait maintenant son paiement... Son seul salaire fut qu'ils se joignent à la Chasse Sauvage pour suivre celui qu'ils avaient martyrisé, pour l'éternité.

Herne le Chasseur
Une version assez "martiale" de Herne le Chasseur.

Une piètre fin pour de piètres hommes... Cette version de la légende nous aura au moins appris l'intérêt que semblait porter Herne pour ce chêne dans les vers de Shakespeare (et peut-être aussi qu'il est mauvais pour la santé de souhaiter du mal à autrui, mais ça c'est en bonus). L'histoire suivante sera plus courte mais nous montrera que de légers changements peuvent grandement modifier un mythe (même si la fin demeure tragique).

Un pendu rancunier (seconde version) :

Herne, était un des gardes du roi Richard II. Un jour que le souverain chassait dans la vaste forêt de Windsor, un cerf émergea des broussailles pour le charger. Prêt à sacrifier sa vie pour son roi, Herne s'interposa et reçut une blessure fatale. Un homme en noir apparut soudain d'on ne sait où et sans plus de cérémonie, affirma pouvoir sauver la vie de Herne. Il décapita le cerf, posa la tête de l'infortunée mais ô combien décédée créature sur le blessé, puis emmena le garde blessé chez lui. Le roi promit que s'il parvenait à sauver son bienfaiteur, il ferait de Herne le chef de la garde.
Les soldats du monarque, qui avaient entendu les propos royaux, n'étaient pas d'accord et le firent sans attendre savoir au roi. L'homme en noir, qui avait tout entendu, proposa alors une alternative : il sauverait Herne des griffes de la mort mais le changerait en créature mi-homme mi-bête. Quand Herne se réveilla, il comprit très vite le marché dont il avait été l'enjeu et il préféra se pendre au plus majestueux chêne de la forêt de Windsor.
Herne le Chasseur
Une version assez originale de Herne le Chasseur réalisée par Mary Graham.
Après ces tristes évènements, les gardes du roi furent chassés du château et ces derniers par on ne sait qu'elle impulsion, se rendirent sur les lieux où Herne s'était donné la mort. Là et avec stupeur, ils virent le Fantôme de Herne se dresser face à eux. Celui-ci leur demanda (leur ordonna) de venir chasser avec lui. L'homme en noir apparut à son tour et les força à faire un serment d'allégeance, ils n'eurent d'autre choix que de suivre Herne pour le restant de leurs jours...
La seconde version banalise le rôle du cerf et entoure le personnage de Philip Urswick (dont je ne sais toujours pas de qui il s'agit, je me garderai donc de vous faire part de mes hypothèses sans aucune certitude) de mystère. Cependant, le rôle important du "Chêne de Herne" n'est pas négligeable. Les similitudes entre ce mythe et ceux du Wotan (Odin) germanique ne sont pas là pour rien. Il existe d'ailleurs de nombreuses auberges en Angleterre qui portent des noms associés à la Chasse sauvage, à Herne, ou encore à l'Homme Vert, ils forment d'ailleurs en toute logique, une seule et même entité selon les versions mais ils sont encore et toujours les sujets d'autres histoires... Quittons ces dernières d'ailleurs et revenons à celle qui nous intéresse, pour enfin nous pencher sur la troisième et dernière version du mythe qui se déroule peu après le début de la mort de Herne pour donner une toute autre fin à la légende.
Un pendu rancunier (suite et fin du récit) :
Suite aux funestes évènements que nous connaissons, le garde déchu revient sous la forme d'un Spectre, accompagné d'une meute de chiens hurlants (L'île aux Chiens ou "the Isle of Dogs", située à l'est de Londres, porterait ce nom étrange pour la simple et bonne raison que c'est là que Herne le Chasseur garde ses 50 chiens infernaux) et chaque nuit ils se mettent à chasser dans le parc, tuant les cerfs du roi et causant de grands dommages.
Le roi Richard, excédé par les méfaits du trépassé, s'en va à la rencontre de Herne afin de l'affronter. Ce dernier déclare au roi qu'il aimerait exercer sa vengeance contre ses bourreaux et qu'il cessera la Chasse Sauvage le temps du règne du monarque, si ce dernier lui laisse le droit de pendre les autres gardes, au même chêne que celui où il avait trouvé la mort par la faute de leur jalousie et de leurs complots (ô douce ironie)...
Le souverain s'empresse d'accepter ce marché et le lendemain les gardes sont pendus sans plus de cérémonie... Le Chasseur et sa Chasse Sauvage disparurent alors jusqu'à l'abdication du roi Richard II en 1399. Depuis ce temps, Herne le Chasseur dirige la Chasse Fantastique à travers la forêt de Windsor chaque nuit.
Herne le Chasseur
Illustration pour le moins dérangeante de Ray Racanelli.
Bien des gens disent avoir vu cette parade spectrale de chasseurs et de chiens grondants. Il est dit que le Fantôme du Chasseur est plus souvent visible à l'approche de graves crises pour la nation (anglaise), là où se tenait le chêne autrefois. Le vénérable végétal a tenu bon jusqu'en 1796, année où il a été accidentellement coupé... Des parties de l'arbre furent changées en souvenirs (quel goût douteux) et un chêne de remplacement fut planté dans le siècle qui suivit. On murmure ici et là que durant les nuits de tempêtes, le chêne originel de Herne peut être vu en train croître à sa place d'antan.
Si vous pensez que le marché tenu entre le roi et Philip Urswick ainsi que le renvoi de Herne était cruel, alors sachez que le roi Richard II n'a pas connu une meilleure fin. En 1399 il a effectivement abdiqué, mais sous la contrainte de son cousin Henry de Bolingbroke (Henry IV pour les intimes), qui le fera enfermer dans ses propres geôles. "L'infortuné" roi déchu (entre-nous sa politique vers la fin de sa vie se rapprochait assez fort de la tyrannie pure et simple) périra l'année suivante, rongé par la faim ou plus probablement par un poison glissé "aimablement" dans sa nourriture.
Si la Chasse Sauvage est habituellement menée par Herne en Angleterre, un tout autre personnage tient ce rôle au Pays de Galles (pays rattaché à la Terre des Angles et se situant à l'ouest de cette dernière), c'est d'ailleurs sur son cas que nous allons nous penchez sans plus attendre...
Gwynn Ap Nudd :
Plus "connu" sous le nom de Gwynn (mes propos sont ironiques vu qu'il existe une pléthore de Gwynn dans la littérature galloise...), son nom complet signifie "Gwynn, fils de Nudd". Le nom de Nudd n'est pas à prendre à la légère, vu qu'en changeant quelques lettres, nous obtenons celui de Nuadha Airgetlàm (ou encore "Lludd Llaw Ereint", qui se traduisent en : Nuadha à la main d'argent). Issu de la tradition irlandaise, Nuadha est le premier souverain des fiers Tuatha Dé Danann ("le peuple de la déesse Dana", la déité en question étant bien entendu la Déesse-Mère chez-nous) et le héros de la "Deuxième bataille de Moytura". Cependant, restons encore un peu au Pays de Galle avant de faire un crochet par la verte Irlande.
Gwynn Ap Nudd
Illustration d'Axel Adams.
Si vous cherchez des informations plus précises sur l'identité de ce "fils du dieu-roi" (un autre des titres honorifiques de Gwynn), croyez moi vous allez entreprendre une quête sans fin pour déboucher en finalité sur des miettes de données bien maigres en comparaison de bien d'autres entités du folklore. Tout ce que l'on peut dire de lui de manière générale (sans trop rabâcher), est qu'il mène la Chasse Sauvage chez les gallois, qu'il est le protecteur des Élémentaire et le gardien des Enfers (je préfère le terme Autre-Monde entre-nous, ça fait de suite moins cliché médiéval). Il est également parfois comparé à l'irlandais Finn mac Cumhail, un guerrier mercenaire avec quelques affinités pour la magie et le héros principal du cycle ossianique - ledit cycle, est en fait une supercherie orchestrée par James Macpherson, qui, en 1761, a fait croire qu'il venait de découvrir une nouvelle épopée de la mythologie irlandaise. Il racontait à qui voulait l'entendre qu'il s'était mis en devoir de la traduire et en décembre, il publia son travail répartis sur six tomes appelés "Fingal". Au final l'oeuvre n'était qu'un condensé d'anciens fragments de poèmes et d'histoires remaniés par l'auteur peu scrupuleux... - il aura au moins eu le mérite d'être une belle farce.
Il existe pourtant, nous prouvant du même coup que Cernunnos est bel et bien présent dans la littérature - la plupart des autres dieux celtes sont présents dans certains ouvrages et ce de manière plus ou moins marquée. Mais nulle trace du maître cornu (de manière flagrante j'entends). En déduire que son rôle aurait été amoindri, dans le dessein d'affaiblir le culte celtique ne semble pas si fou lorsque l'on voit cette "disparition" flagrante - et plus précisément dans "Les Quatres Branches du Mabinogi" - célèbre livre gallois dont le nom originel est "Pedair Cainc y Mabinogi" ou plus sobrement "Mabinogion". Ce recueil composé de quatre parties principales et écrit en "moyen-gallois" (langue parlée du XII au XIVème siècle) aurait été rédigé vers la fin du XIVème siècle et raconte, à sa manière, les mythes celtiques de l'Antiquité le tout mélangé avec le cycle arthurien. Pour en revenir aux origines possibles du titre du Mabinogion, certaines théories avancent qu'il serait lié au nom du dieu Mabon ("le fils divin") et par conséquent le rejeton de Gwynn ap Nudd (la boucle est bouclée)... - Ouvrons donc prestement ce livre pour nous plonger dans le récit de...

Kulhwch et Olwen :

Ce conte, sous ses airs étranges est un véritable melting-pot de traditions. Il contient des traces de la légende du roi Arthur mais également des mythes indo-européens. Le thème principal serait : "La fille du Géant" ou "Six s'en vont par le monde", d'autres thèmes sont également présents comme la marâtre jalouse (qui lance un sort à son beau-fils afin qu'il se mette en quête de la fille du Géant), ou encore la quête des animaux les plus anciens du monde (qui doivent révéler des informations cruciales au héros afin qu'il mène à bien sa tâche).

Cernunnos
Représentation probable de Cernunnos (on y reconnaît les "cornes" ainsi que la position en tailleur propre aux héros celtiques) par Ben Wootten pour le jeu de cartes : "Legend of Norrath" (basé sur Everquest).

Le texte semble s'être créé par la tradition orale (dont les normes sont aux antipodes des versions manuscrites) ce qui laisse apparaître assez souvent au cours du récit, de fastidieuses listes de noms, objets, créatures (la liste des guerriers de la cour du roi Arthur, qui font le serment d'aider Kulhwch dans sa quête, la liste des épreuves imposées par le Géant Yspaddaden,... pour ne citer que celles-là), donnant là une lecture fastidieuse, même pour les plus acharnés d'entre-vous. Je me ferai donc un devoir de résumer ledit récit, histoire de vous épargner une migraine chronique (ou une crise de narcolepsie aigüe).

L'histoire débute donc sur la naissance et l'enfance de Kulhwch (caractéristique des légendes celtes), puis son arrivée à la cour du roi Arthur. S'engage alors un dialogue entre le héros et le portier de la demeure du monarque (encore un thème récurent dans les épopées celtes, ce type de conversation marque l'irruption du personnage, comme élément perturbateur dans les habitudes royales et contribue à rehausser le pouvoir du roi ainsi que la valeur du héros), suivie d'une description de l'étiquette à la cour ainsi que des coutumes celtiques (couper les cheveux d'un parent que l'on reconnait ou encore le cadeau de vassalité, dont l'acceptation montre que l'on reconnait son bienfaiteur comme seigneur).

Suite à son séjour à la cour, Kulhwch est pris du désir d'épouser la fille d'Yspaddaden (seigneur des Géants, qui doit perdre la vie lorsque sa fille se mariera), la ravissante Olwen (qui se traduit par "trace blanche"... et je vous défends de faire des allusions graveleuses à ce sujet). Pour ce faire, notre héros devra obtenir l'accord de son nouveau souverain et de ses guerriers. Une fois ce dernier accordé, Arthur décide d'envoyer des éclaireurs afin de déterminer où se trouve Olwen, puis de pratiquer une marche d'approche jusqu'au fameux Géant.

La suite du récit prendra des accents dantesques. Kulhwch rencontrera sur le chemin des êtres de plus en plus étranges et monstrueux avant de tomber sur leur seigneur, le Géant Yspaddaden. Sachant qu'il devra périr au moment où sa fille trouvera un compagnon, le Géant offre un accueil "écrasant" au héros en lui lançant des pierres et des lances empoisonnées à chacune des tentatives de Kulhwch pour l'approcher.

Faisant fi des attaques meurtrières de son colossal adversaire,Kulhwch s'empare de plusieurs des lances envoyées par Yspaddaden afin de les lui renvoyer. La première touchera le genou du Géant, la seconde la poitrine et la dernière l'oeil (pour ressortir par la nuque).

Cernunnos
Une version particulière où le dieu cornu possède les traits d'un jouvenceau (illustration de Jenny Palmer).

"Apaisé" par cette démonstration de force, Yspaddaden consent enfin à accorder la main de sa fille au héros à la condition que ce dernier remplisse une série d'épreuves, souvent en rapport avec le festin de noces (comme ramener certaines graines utiles pour la fabrication de l'hydromel, trouver des barriques de grande dimension,...) ou utile à la toilette de Kulhwch (si vous avez déjà songé à vous raser avec une défense de sanglier... faites-moi signe, je tiens absolument à avoir vos impressions sur cette expérience "unique") pour son mariage. L'un des éléments les plus important de sa quête, sera de ramener les ciseaux et le peigne qui se trouvent entre les oreilles du sanglier Twrch Trwyth (ne me demandez pas ce qu'il font là ni comment prononcer son nom, j'en serai bien incapable).

L'étape suivante de cette épopée pour le moins originale, sera de retrouver la trace du dieu prisonnier : Mabon, fils de Modron. - cette entité, connue via des textes antiques et médiévaux. Équivalence de Maponos en Gaule et d'Oengus en Irlande, il est, comme cité plus haut, le rejeton de Gwynn et de la déesse Danu (Dana). Dans ce présent récit, il semble être vu comme une sorte de demi-dieu bienveillant (il est présenté comme le plus ancien des hommes) - Une fois celui-ci découvert, Kulhwch, Mabon et une partie des guerriers d'Arthur (dont Gwynn ap Nudd) feront route vers le repaire du sanglier mythique Twrch Trwyth. Rendu sur place, le roi mènera la chasse pendant qu'une partie de ses hommes seront chargés de ramener les objets qui manquent encore pour assurer la réussite de la quête de notre vaillant héros.

Après moult péripéties, Kulhwch triomphe enfin de toutes les épreuves et revient victorieux chez le Géant pour lui présenter tous les objets. Un triomphe qui sera fatal à Yspaddaden, puisque peu après Goreu se fera une joie de le décapiter pour ficher sa tête au bout d'une pique, pendant que Kulhwch savourera tranquillement sa nuit de noces...

Un récit décousu, mais fort riche vous en conviendrez. Avant de passer à la suite j'ajouterai quelques petits compléments sur l'histoire qui s'est déroulée sous vos yeux.

Durant la quête, le héros devra réunir pas moins de quarante objets, animaux ou personnes qui seront tous difficiles à obtenir (sinon ce ne serait pas drôle). La composition de ce texte reste assez souple, probablement pour satisfaire l'auditoire en étoffant ici et là, tandis que la liste des guerriers du roi Arthur devait servir de répertoire mnémotechnique, afin d'énumérer tous les personnages de légende que le conteur connaissait (tout en y ajoutant quelques noms de son cru, histoire de faire le compte).

L'histoire en elle-même, semble fort liée au porc (dans le sens totémique). Le héros Kulhwch, né dans une porcherie, porte le nom du porc. Son salut sera gagné par le sanglier merveilleux Twrch Trwyth, le "Sanglier Royal" (un ancien roi changé en sanglier pour ses méfaits, nous dit-on). La chasse sera présentée comme un récit épique, où les adversaires se témoignent un fort respect mutuel. Le sanglier sera d'ailleurs finalement épargné, il aura suffi de le vaincre et de lui enlever les objets merveilleux.

Après l'analyse de ce mythe, vous vous demandez sûrement l'intérêt de parler de la quête de Kulhwch si c'est pour juste citer Gwynn de manière désinvolte. Et bien pour la peine, examinons la place qu'à tenu le fils de Nudd au cours du récit.

Cernunnos
Illustration de Linda Carlson.

Gwythyr fils de Greidawl :

Gwythyr ap Graidawl (Graidawl signifie littéralement : "qui soumet les ennemis"), outre sa fonction de guerrier du roi Arthur (et de père de la seconde épouse du monarque), était le rival le plus acharné de Gwynn ap Nudd. Il prendra part à la grande quête détaillée plus haut, notamment pour accompagner le souverain bien connu aux Enfers afin de retrouver le sang de la sorcière Orddu (juste pour votre culture : Orddu a été utilisée par Disney en 1985, pour le film "Taram et le Chaudron Magique" où elle incarne l'une des trois jeteuse de sorts).

Pour en savoir plus sur la rivalité qui anime les deux protagonistes, il nous faut remonter avant les évènements de l'épopée de Kulhwch. A l'époque, Gwythyr devait épouser Creiddylad, fille de Lludd mais Gwynn (le frère de Creiddylad), en désaccord complet avec cette idée, avait enlevé la demoiselle. S'ensuivra une violente bataille où Gwyn sortira vainqueur, gardera sa soeur auprès de lui et conservera plusieurs chefs de guerre de Gwythyr comme prisonniers de marque. Quand la nouvelle parvient aux oreilles du roi Arthur, celui-ci force Gwyn à relâcher les nobles, puis à faire la paix avec Gwythyr.

Depuis lors, chaque premier Calan Mai - premier jour du mois de mai au Pays de Galles, il s'y déroule donc une fête connue sous le nom de "Calan Mai" (ou Calan Haf), qui signifie : "le premier jour de l'été". Elle débute peu après les douze coups de midi et consiste principalement à allumer des flambeaux. Ce jour spécial, comparable à Beltaine est le moment où les Esprits (sans oublier les Élémentaires) sont dehors et où la divination est possible. Fêtée dans le sud du Pays de Galles jusqu'au milieu du XIXème siècle, cette tradition semble être peu à peu tombée dans l'oubli (le regain actuel pour les fêtes celtiques changera probablement bientôt la donne) -, les deux s'affronteront pour avoir Creiddylad, et ce jusqu'à la fin des temps, où le vainqueur pourra la conserver à jamais.


Cernunnos
Une illustration originale d'une "femme-cerf" par "Catman" (son véritable nom n'étant pas mentionné, je me contenterai de son pseudonyme).

Vous voilà enfin renseignés sur le rôle de Gwynn dans cette histoire. Il est à noter que leur rivalité est un puissant symbole pour incarner la lutte éternelle entre l'été et l'hiver, une inspiration probable pour le mythe moderne du "Roi Sacré" ("Holy King" pour son titre originel) tiré du livre de Robert Graves intitulé : "The White Goddess" ("La Déesse Blanche"). Cet essai publié en 1948 tente d'expliquer la nature de la poésie mythique sous la forme d'une sorte de récit où s'affrontent le "Roi Chêne" et le "Roi Sacré", qui incarnent deux aspects diamétralement opposés (dualisme). Le cours de la bataille évolue au fil de l'année, rythmé par les saisons qui passent (chacun est avantagé durant la moitié de l'année qui lui est attribuée).

Notre voyage au doux Pays de Galles touche maintenant à sa fin et nous continuons notre chemin pour les verdoyants pâturages de la douce Irlande pour aller à la rencontre de...

Nemed :

Pour parler de ce personnage fort protecteur il faut un outil indispensable : le Lebor Gabála Érenn ! - ce livre, vu comme l'un des récits les plus importants de l'Irlande, décrit les invasions successives (au nombre de six) de l'île par des peuples mythiques (mâtinés d'une bonne dose d'héroïsme). A l'origine transmis exclusivement de manière orale (et ce jusqu'au VIIIème siècle), il a été copié et remanié par les clercs (entendez par là qu'ils ont bazardé les détails qui dérangeaient pour leur propre bénéfice). La première version définitive date de la fin du VIIIème siècle ou du début du IXème. Il existerait cinq versions dudit mythe (rédigés entre le XII et XVIIIème siècle) répartis sur un total de dix-huit manuscrits - Comme je me suis déjà chargé d'expliquer comment ce récit s'est formé, je ne vais pas plus m'étendre dessus, son contenu par-contre, il me faudra bien le résumer histoire de faciliter votre compréhension.

Les invasions de l'Irlande :

Le peuple de Cesair :

Les premiers occupants, menés par Cesair (ou Cessair, le nom de cette femme a été christianisé pour être mis en accord avec le mythe biblique du déluge) ne demeureront pas longtemps en Irlande. En effet, ils seront balayés cinquante jours après leur arrivée par un gigantesque déluge, où Fintan (Fintan mac Bóchra, un druide primordial dont le nom signifierait : "blanc-ancien", en référence à ses cheveux blancs) sera le seul survivant.

Les Fomoires :

Associés aux Géants (ils sont d'ailleurs surnommés les "Géants de la Mer") ces créatures belliqueuses débarquent en masse peu après le déluge. Ils sont décrits comme affreux, inhumains et on leur prête des pouvoirs magiques (le plus connu d'entre-eux étant Balor à l'Oeil Mauvais). Leur nature particulière les rattachent au chaos et au désordre perpétuel (ils feront d'ailleurs la guerre à la plupart des peuples d'Irlande et ce jusqu'à leur défaite).

Les Phartoloniens :

Peuple qui porte le nom de leur chef (Partholon) et probablement d'origine grecque ou espagnole, il fera son apparition le jour de Beltaine. A l'origine de nombreuses inventions et concepts (agriculture, élevage, chasse, pêche, brassage de la bière, exploitation minière, alchimie,...) les Phartoloniens seront les précurseurs du druidisme et du travail du métal, ils entraineront d'ailleurs les hommes en vue de lutter contre les belliqueux Fomoréens. Cette ère durera pendant trois-cent ans avant que les Phartoloniens ne soient tous balayés en une semaine (hormis Tuan mac Cairill qui devra son salut à sa capacité de métamorphose animale) par une épidémie virulente...

Nemediens
Représentation possible des Nemediens (illustration de Biagio d'Alessandro).

Les Nemediens :

Peuple de celui qui nous intéresse. Les Nemediens goûteront pendant un temps à la paix, avant de devoir prendre les armes contre les Fomoires. Vaincus, les Nemediens devront payer un tribut chaque année aux Géants. En finalité, ils se révolteront contre l'oppresseur mais défaits une seconde fois ils fuiront l'Irlande.

Les Fir Bolg :

Leur nom pourrait signifier "Hommes-Foudre", talentueux dans les arts de la guerre et de la forge (ils sont les premiers à employer des pointes de lances en métal), certaines sources laissent à penser qu'ils viendraient de la Belgique. Ils sont à l'origine de la division de l'Irlande en cinq royaumes (Ulster, Leinster, Munster, Connaught et Meath au centre) et de l'instauration de la royauté (Éochaid mac Eirc serait le premier souverain de l'Irlande). Sous le règne de leur seigneur, le mensonge sera banni de l'île et la pluie sera chassée de l'île (il ne demeurera plus que la rosée).

Les Fir Bolg seront confrontés aux nouveaux envahisseurs : les Tuatha Dé Dannan ("le peuple de la déesse Dana" comme cité précédemment). Une guerre sanglante démarrera entre les deux peuples et lorsque les Fir Bolg refuseront une trêve, les druides du camp adverse dissimuleront par magie les sources et rivières du royaume. Le roi Éochaid perdra la vie au cours de la "Bataille de Mag Tuireadh" avec cent-mille de ses sujets. Les Fir Bolg défaits fuiront pendant que les Tuatha Dé Dannan prendront possession de l'île.

Les Tuatha Dé Dannan :

Peuple des dieux (ils ont presque tous une équivalence en Gaule) venus de quatre îles situées au nord du monde (Falias, Gorias, Findias et Murias), ils amènent avec eux cinq artefacts légendaires (la lance de Lug, l'épée de Nuadha, le chaudron et la massue de Dagda, la pierre de Fal) et ils débarquent également le jour de Beltaine. Les Tuathas sont également reconnus comme maîtres des arts et du druidisme, talents qu'ils mettront en pratique contre les Fomoires afin de remporter une victoire totale sur ces derniers.

Les Milesiens :

Appelés aussi les "fils de Mile" ("miles" est un terme latin qui signifie soldat) et venus d'Espagne, ils sont d'origine humaine. Ils débarqueront le jour de Beltaine (encore une fois oui) avec la "file" (un file ou fili est un membre d'élite de la caste des poètes, l'équivalence de bardes pour nous en somme) Amorgen Glungel. Ils évinceront les Tuatha Dé Dannan (qui se réfugieront à l'intérieur du Sidh qui est l'équivalence irlandaise de l'Autre-Monde) et s'établiront dans toute l'Irlande (ils sont à ce jour les actuels représentants de l'île).

Nemed
Une illustration sublime de Helen Rusovich qui pourrait représenter Nemed.

Le seigneur sacré :

Maintenant que vous connaissez le contenu et le contenant du Lebor Gabála Érenn, il est temps de voir qui était Nemed et quel était son rôle au sein de sa communauté.

Le quatrième peuple qui s'est établi en Irlande était vu comme une tribu mi-homme mi-animale (ils étaient parfois appelés d'ailleurs "le peuple-cerf"). Nemed (dont le nom pourrait signifier "sanctuaire", "lieu consacré" ou encore "privilège"), fils d'Agnoman (qui serait originaire de la Grèce), les mena vers une terre paisible (située entre le territoire des Pharthologiens et celui des Fir Bolg) où ils vivront en paix pendant un temps. L'arrivée des Fomoires changera bien entendu la donne.

Durant la guerre qui s'ensuivra, les rois Fomoires Gann et Sengann seront vaincus, mais ce sera insuffisant pour remporter la victoire et les Nemediens devront alors rendre les armes. Un tribut annuel leur sera imposé et suite à la révolte que nous connaissons, ils fuiront dans la province du Munster.

Nous pouvons donc désormais voir que Nemed était le seigneur d'un peuple entier dédié au cerf, il ne faut pas beaucoup d'imagination pour faire le lien entre cette tribu et le dieu cornu... Le terme Nemed est d'ailleurs à mettre en rapport avec les Nemetons, eux-mêmes reliés au nom des sanctuaires celtes où se pratiquaient les rituels dédiés aux dieux.

Cernunnos
Cernunnos par Jonathan Vair Duncan.

Notre arrêt dans les plaines d'Irlande touche à sa fin et il nous faudra revenir sur nos pas pour fouler à nouveau le sol gallois et ainsi faire face à...

Arawn :

"Hir yw'r dydd a hir yw'r nos, a hir yw aros Arawn."

Traduction :

"Long est le jour, longue est la nuit et longue est l'attente d'Arawn" (la mort).

Gwynn ap Nudd n'a désormais plus (ou presque) de secrets pour vous, mais qu'en est-il de son auguste ancêtre ? Si le nom d'Arawn évoque quelque-chose à certains d'entre-vous (via diverses adaptations de son épopée ou diverses oeuvres qui emploient son nom), il est fort peu probable que vous ayez eu l'occasion de lire son récit. Un manquement que je me ferai une joie de réparer de ce pas...

Seigneur du royaume des morts d'Annwn (on ne change pas facilement de boulot dans la lignée il faut croire), il est principalement présent dans la "première branche" (la première partie du Mabinogi) et est également mentionné dans la quatrième. Dans la tradition galloise tardive, son rôle de roi d'Annwn sera laissé à l'entité psychopompe : Gwynn ap Nudd (pas besoin de vous rappeler de qui il s'agit je suppose). Cependant, le souvenir d'Arawn dans le folklore (et même ailleurs) perdurera à travers les âges. Il est d'ailleurs possible de trouver des traces de lui dans une vieille fable de Cardigan (ancien royaume gallois qui se nommait autrefois "Ceredigion", Cardigan n'est plus aujourd'hui qu'une ville parmi les autres dans le Pays de Galles)... mais revenons-en au Mabinogi.

Arawn
Arawn, le sombre roi d'Annwn.

Pwyll, prince de Dyved :

Cette première (longue) histoire tirée de la première Branche du Mabinogi, nous conte les aventures de Pwyll, un jeune seigneur amateur de chasse qui va faire une rencontre des plus inattendue... mais plutôt que de vous gâcher la surprise, je préfère directement vous faire entrer dans le récit...

Pwyll (allégorie signifiant : "Bon-sens", "Prévoyance"), prince de Dyved, régnait sur les sept cantrefs (unités territoriales du Pays de Galles au Moyen-âge. Un "cantref" regroupe normalement cent "tref" et un "tref" est comparable à une ferme ou un hameau) de Dyved. Un jour, comme il séjournait à Arberth - sa cour principale -, il lui vint l'idée et l'envie d'aller à la chasse. L'endroit de ses domaines où il voulait chasser était Glynn Cuch. Il partit le soir même d'Arberth, et alla jusqu'à Penn Lwyn Diarwya, où il passa la nuit. Le lendemain, à la jeunesse du jour, il se leva et se rendit à Glynn Cuch pour lâcher ses chiens sous les bois. Et il sonne du cor, donne le signal de commencer la chasse, part à la suite des chiens et perd ses compagnons.

Tandis qu'il écoutait les aboiements de sa meute, voici qu'il entendit les cris d'une autre meute, qui n'aboyait pas de la même façon, et qui arrivait à la rencontre de ses propres chiens. Il vit alors dans le bois une clairière, un terrain plat, et lorsque sa meute atteignit la lisière, il aperçut un cerf fuyant devant l'autre meute. Vers le milieu de la clairière, la meute qui le poursuivait le rattrapa et le fit tomber à terre.

Alors il regarda la couleur de ces chiens, sans plus songer à regarder le cerf. Or, de tous les chiens de chasse qu'il avait pu connaître, il n'en avait jamais vu de cette couleur. Ils étaient d'un blanc brillant et lustré, leurs oreilles étaient rouges (signe qu'ils proviennent de l'Autre-Monde). Pwyll, alors s'approcha des chiens, écarta la meute qui avait tué le cerf, et distribua le cerf à sa propre meute, à la curée.

Tandis qu'il était occupé à nourrir ses chiens, il vit un cavalier qui venait chercher l'autre meute ; il montait un grand cheval gris pommelé, portait un habit de chasse en laine grise, et avait un cor de chasse pendu autour du cou. Ce cavalier s'avança vers lui et lui parla ainsi :

"- Seigneur, dit-il, je sais qui tu es, et je ne te souhaite pas le bonjour.
- Oui, répondit Pwyll, tu es peut-être d'un rang si élevé que la chose serait inconvenante.
- Ce n'est pas l'élévation de mon rang qui m'en empêche.
- Seigneur, qu'est-ce donc ?
- Ta mauvaise éducation et ton impolitesse.
- Quelle impolitesse, seigneur, avez-vous à me reprocher ?
- Je ne connais pas de plus grave manquement à la courtoisie, dit-il, que de chasser la meute qui a tué le cerf, pour donner la curée à sa propre meute. Cela, dit-il, était tout à fait discourtois. Même si je ne cherche pas à me venger de toi, je te ferai une mauvaise réputation pour la valeur de cent cerfs.
- Seigneur, dit Pwyll, si je t'ai fait du tort, je paierai le prix pour faire la paix avec toi.
- De quelle manière paieras-tu cela ?
- Ce sera selon ta dignité, mais je ne sais pas qui tu es.
- Je suis un roi couronné dans le pays d'où je viens.
- Prince, je te salue, dit Pwyll ; de quel pays viens-tu ?
- D'Annwvyn ("Annwfn", l'Autre-Monde ou le "Monde d'en-bas"), dit-il. Je suis Arawn roi d'Annwvyn.
- Prince, dit Pwyll, de quelle façon ferai-je la paix avec toi ?
- Voici comment : il y a quelqu'un dont le royaume est en face du mien et qui me fait continuellement la guerre. C'est Havgan roi d'Annwvyn. Si tu me protèges de ses attaques – ce que tu peux faire aisément -, tu obtiendras ma paix et mon alliance.
- Je le ferai volontiers, dit Pwyll. Explique-moi comment m'y prendre.
- Et bien voici : nous allons faire tous les deux un pacte d'alliance ("Kedymdeithas", "alliance", il s'agit d'un traité de paix voire d'un pacte de non-agression) solide. Moi, je te donnerai ma place dans l'Annwvyn, je te laisserai la plus belle femme qu'on ait jamais vue pour dormir avec toi chaque nuit, et tu auras ma forme et mon apparence, si bien que pas un seul valet de chambre, ni aucun officier, ni aucun de ceux qui ont jamais fait partie de ma suite, ne pourra savoir que tu n'es pas moi. Et cela, dit-il, jusqu'à la fin de l'année, à partir de demain. Notre prochaine rencontre se tiendra alors ici même.
- Bon, dit Pwyll. Si je demeure là-bas pendant un an, avec quelles instructions pourrai-je trouver l'ennemi dont tu as parlé ?
- Dans un an à compter de ce soir, dit-il, nous avons rendez-vous, lui et moi, sur le gué. Tu y seras à ma place, sous mon apparence. Tu devras lui donner un seul coup ; il n'y survivra pas. S'il te demande de donner un autre coup, n'en fais rien, même s'il te supplie. Moi, malgré tous les coups que je lui donnais en plus, il revenait le lendemain aussi frais que jamais pour se battre avec moi.
- Bon, dit Pwyll, qu'est-ce que je ferai de mon royaume ?
- Je vais faire en sorte, dit Arawn, que personne, homme ni femme, dans ton royaume, ne sache que je ne suis toi : c'est moi qui prendrai ta place.
- Parfait, dit Pwyll, je vais prendre la route.
- Ton voyage sera sans encombres, et rien ne te fera obstacle jusqu'à ce que tu arrives dans mon royaume : car c'est moi qui te servirai de guide."

Chiens d'Arawn
"Les chiens d'Arawn".

Il le guida jusqu'à ce qu'il pût voir la cour et des maisons.

"- Voici, dit-il, prends possession de la cour et du royaume. Entre dans la cour, il n'y a là personne qui ne te reconnaisse ; à la façon dont tu verras se faire le service, tu connaîtras les usages de la cour."

Pwyll dans l'Autre-Monde :

Pwyll se rendit à la cour. Et dans la cour il vit des dortoirs et de grandes salles, et des chambres, et la décoration la plus belle qu'on ait jamais vue sur des constructions. Il gagna la grande salle pour se déchausser. Il arriva des pages et de jeunes écuyers pour le déchausser, et chacun d'eux le salue en arrivant. Deux chevaliers vinrent le débarrasser de son habit de chasse, et l'habiller d'un vêtement de paile (Étoffe de soie) d'or.

Puis on prépara la salle (pour le repas). Il vit entrer alors les familiers de la cour et la foule, la troupe la plus belle et la mieux équipée qui se fût jamais vue, et parmi eux ; la reine, la plus belle femme qu'on ait jamais vue, portant un habit de paile d'or, lustré. Puis ils allèrent se laver, et gagnèrent les tables. Voici comment ils s'assirent : il avait à son côté la reine, et de l'autre le comte (à ce qu'il supposait).

Il se mit à converser avec la reine. Et dans cette conversation, il s'aperçut que c'était une femme des plus intelligentes, de la nature et du langage les plus nobles. Ils consommèrent boissons et nourritures, avec les agréments de la musique et du festin. De toutes les cours qu'il avait vues sur la terre, c'était la mieux fournie en boisson et nourriture, en vaisselle d'or et joyaux princiers. Lorsque arriva l'heure d'aller dormir, la reine et lui allèrent se coucher. Dès qu'ils furent au lit, il lui tourna le dos, et garda le visage tourné vers le bord du lit. Il ne lui dit pas un seul mot jusqu'au lendemain (essayez de faire de même).

Le lendemain, ils eurent entre-eux des paroles tendres et d'aimables conversations. Mais qu'elle que fût l'amitié entre-eux pendant la journée, il n'y eut pas une seule nuit pendant toute l'année qui ne se passât comme la première.

Il passa toute l'année dans les chasses, les concerts, les banquets, l'amitié et la conversation avec sa compagne, jusqu'au soir fixé pour la rencontre.

Arawn
Arawn parcourant l'Annwn (par Oliver).

La confrontation avec Havgan :

Ce soir-là, même les habitants des contrées les plus reculées du royaume avaient une pensée pour le duel. Il vint au rendez-vous accompagné des nobles du royaume. Lorsqu'il arriva au gué, un chevalier se leva et parla ainsi :

"- Nobles guerriers, dit-il, écoutez bien : cette rencontre oppose les deux rois, et tout se passera entre leurs deux corps seulement. Chacun d'entre-eux a une réclamation contre l'autre, pour des terres et des domaines. Vous pouvez tous rester en sécurité, à condition de laisser l'affaire se régler entre eux seuls."

Là-dessus, les deux rois s'approchèrent l'un de l'autre au milieu du gué, et s'empoignèrent. Du premier coup, celui qui remplaçait Arawn frappa Havgan au milieu de l'umbo (pointe ou cône métallique se trouvant au centre du bouclier afin de détourner les coups des adversaires) de son bouclier, si bien qu'il le fendit en deux, et brisa toutes ses armes ; il jeta Havgan par terre derrière la croupe de son cheval, à une distance égale à la longueur de son bras et de sa lance ; l'autre avait été frappé d'un coup mortel.

"- Seigneur, dit Havgan, quelle obligation avais-tu de me mettre à mort ? Je ne réclamais rien. Je ne sais pas non-plus quelle raison tu avais de me tuer ; puisque tu as commencé à m'occire, achève ton oeuvre.
-Seigneur, dit-il, je pourrai bien regretter d'avoir fait ce que je t'ai fait. Cherche un autre pour t'achever ; moi, je ne le ferai pas.
- Mes fidèles guerriers, dit Havgan, emportez-moi d'ici ; ma dernière heure est arrivée. Je ne suis plus en état de vous défendre.
- Mes fidèles guerriers, dit celui qui remplaçait Arawn, prenez vos informations pour savoir qui peut devenir mon vassal.
- Seigneur, dirent les nobles guerriers, ils le peuvent tous, car il n'y a plus d'autre roi que toi sur tout l'Annwvyn.
- Oui, dit-il il est juste d'accepter ceux qui viendront se soumettre. Ceux qui n'obéiront pas, on les contraindra par la force de l'épée."

Arawn
 Couverture du premier tome d'Arawn de Ronan Le Breton (scénario) et Sébastien Grenier (dessin).

Les retrouvailles :

Il reçut aussitôt l'hommage des guerriers et commença à prendre possession du pays. Vers l'heure de midi, le lendemain, les deux royaumes étaient en son pouvoir.
Puis il se rendit à l'entrevue, à Glynn Cuch. Lorsqu'il arriva, il trouva Arawn roi d'Annwvyn qui l'attendait. Chacun d'eux fut heureux de revoir l'autre.

"- Eh bien, dit Arawn, j'ai su que tu avais été un bon allié.
- Oui, dit Pwyll, lorsque tu retourneras dans ton royaume, tu verras ce que j'ai fait pour toi.
- Ce que tu as fait pour moi, dit Arawn, les dieux te le rendront..."

Puis Arawn rendit à Pwyll, prince de Dyved, sa forme et son aspect, et il reprit lui-même sa forme et son aspect.

Puis il marcha vers sa cour en Annwvyn, et il eut le plaisir de revoir ses familiers et sa compagnie, car il ne les avait pas vus depuis un an. Eux, cependant, ne s'étaient pas aperçus de son absence, et son entrée ne leur parut pas plus extraordinaire que d'habitude. Il passa cette journée dans la joie et la gaieté, assis, conversant avec sa femme et ses guerriers.

Lorsqu'il arriva l'heure où l'on préfère dormir plutôt que boire, ils allèrent se coucher. Le roi se mit au lit, sa femme alla le rejoindre. Il commença par lui parler, puis se livra avec elle à des ébats amoureux. Or elle n'y était plus habituée depuis un an, ce qui la fit réfléchir.

"Pourquoi, se dit-elle, a-t-il conçu ce soir des pensées différentes de ce qu'il a connu depuis un an ?"

Et elle y pensa longtemps.

Cernunnos

Cependant, il se réveilla et lui dit une parole, puis une autre, et une autre encore ; et il ne pouvait obtenir d'elle aucune réponse.

"- Pour qu'elle raison, dit-il, ne me parles-tu pas ?
- Je vais te le dire : je ne t'ai jamais autant parlé depuis un an, en un lieu de ce genre.
- Comment ? Dit-il, mais nous avons parlé de bien des choses.
- Honte sur moi, dit-elle, si, de toute cette année jusqu'à hier soir, quand nous sommes entrés dans les plis de ces draps, nous avons jamais eu, entre nous, ébats et conversation et si tu as tourné le visage vers moi une seule fois – sans parler des choses plus importantes."

Alors il songea : "C'est l'homme le plus solide qui soit dans son alliance, et le plus fidèle, celui que j'ai trouvé comme un allié." Il dit alors à sa femme :

"- Princesse, ne me fais aucun reproche. Ce n'est pas moi qui ai dormi avec toi, qui me suis étendu à ton côté depuis un an hier soir." Et il lui raconta toute l'histoire.
"- Tu as réussi à tenir solidement ton allié, pour ce qui est de combattre les tentations de la chair, et de garder sa fidélité à ton égard.
- Princesse, dit-il, c'est justement ce à quoi je pensais, tandis que je t'écoutais.
- C'était tout à fait normal", dit-elle.

De son côté, Pwyll, prince de Dyved, retourna dans son domaine et son pays. Il commença par demander aux nobles du royaume ce qu'ils pensaient de sa façon de commander cette année-là en comparaison de ce qui s'était passé antérieurement.

"- Seigneur, dirent-ils, ta perspicacité n'a jamais été aussi bonne ; tu n'as jamais été aussi aimable ; jamais tu n'as dépensé ton bien avec autant de facilité ; jamais ta façon de gouverner n'a été aussi bonne que cette année-là.
- Il serait juste d'en rendre grâces à celui qui a été avec vous, voici toute l'histoire telle qu'elle s'est passée." Et Pwyll raconta tout.

"- Vraiment, seigneur, dirent-ils, remercions les dieux de t'avoir fait faire cette alliance ; mais l'administration que nous avons connue cette année, qui sait, tu ne nous la reprendras pas ?
- Je ne modifierai rien", dit Pwyll.

Cernunnos
Représentation probable de Cernunnos (par Stephanie Lostomolo).

À partir de ce moment, ils se mirent à renforcer leur alliance, ils s'envoyèrent l'un à l'autre des chevaux, des lévriers, des faucons, et toutes sortes d'objets précieux, tels que chacun pensait pouvoir plaire à l'autre. À cause de son séjour d'un an dans l'Annwvyn, et parce qu'il avait gouverné là-bas avec autant de succès, et qu'il avait réuni les deux royaumes par sa vaillance et sa valeur guerrière, le titre de "Prince de Dyved" tomba en désuétude pour Pwyll, et il fut dès lors appelé Pwyll Prince d'Annwvyn.

Une histoire fort intéressante malgré sa longueur (par respect pour l'oeuvre, je n'ai presque rien changé à cette dernière comme vous vous en doutez, hormis quelques rajouts pour faciliter la compréhension et la suppression de quelques lourdeurs dans le texte). La légende de Pwyll (où ce dernier est le personnage central) pourrait-être qualifiée de "légende royale". En effet, son rôle premier est de rappeler au prince, comme à ses sujets, quels sont les principes de conduite à respecter. Ce mythe défend avec ferveur la légitimité des descendants de Pwyll ainsi que les principes de la petite monarchie de Dyved.

L'alliance avec le roi de l'Autre-Monde marque le début d'une épreuve pour Pwyll. Sa réussite cependant est profitable aux deux partis (Arawn devenu monarque de tout l'Annwn et Pwyll dont son royaume s'est hissé jusqu'à une sorte d'âge d'or) et l'on ne peut que sourire face à l'épisode ou le "pauvre" prince se retrouve pendant un an à partager la couche de l'épouse d'Arawn. Pwyll tirera de cette aventure un nouveau titre ("Pwyll Prince d'Annwvyn") qui ne fera que renforcer le côté sacré de sa fonction royale.

Un dernier ajout s'impose à propos du début de ce texte. Avant que Pwyll ne tombe sur les chiens d'Arawn, il lui semble entendre des aboiements hors du commun. Dans le folklore gallois les "Chiens d'Annwn" auraient pour habitude de traverser les cieux durant l'automne et l'hiver (sans oublier le début du printemps pour bien faire). Ces aboiements canins peuvent être comparés à ceux des oies sauvages lorsque ces dernières partent en migration. Cependant, Arawn est absent de ces traditions. Plus tard, le mythe sera christianisé (à mon grand dam...) pour décrire la "capture des âmes damnées d'Annwn", et Annwn sera comparé à l'enfer des traditions chrétiennes (où comment diaboliser la "concurrence" et ce qui n'est pas à votre goût).

Cernunnos
Peinture de Susan Eleanor Seddon Boulet (une artiste d'origine brésilienne, décédée en 1997).

Pryderi, le digne descendant :

Une entente cordiale entre les deux royaumes demeurera bien après la mort du brave Pwyll ; dans la quatrième Branche, Pryderi, le rejeton de Pwyll et de fait, le nouveau seigneur de Dyved, reçoit en guise de présent des cochons de l'Autre-Monde de la part d'Arawn. Ces cochons, probablement dérobés à Venedotion, magicien et filou (le terme "filou" semble cette fois lié à certaines créatures mythologiques malicieuses à mi-chemin entre l'homme et l'animal), qui sera le leader de l'invasion des terres de Pryderi. Dans la guerre qui s'ensuivra, Gwydion (fils de la déesse Dôn, équivalence galloise de la Déesse-Mère, Gwydion est présenté comme un puissant magicien) tuera Pryderi dans un combat singulier.

Je vous passe le court extrait où Arawn est évoqué, ce dernier étant "peu" fourni en informations, hormis peut-être la réponse au fait que le familier de Taram (Tirelire le porcelet), héros du deuxième tome des "Chroniques de Prydain" (cycle de fantasy pour la jeunesse, écrit entre 1964 et 1968 par Lloyd Alexander) et du long-métrage de Disney de 1985, semble avoir une si grande importance dans le récit.

Le voyage dans la "Terre des Angles" touche à sa fin, notre prochaine étape (bien plus lointaine) sera désormais l'Inde, la terre des dieux. Nous y croiserons la première incarnation attestée de Cernunnos, marchons donc sans crainte vers...

L'éveil du dieu cornu :

La mythologie indoue regorge de divinités diverses et variées et, aussi étrange que cela puisse paraître, ils nous en ont légués une partie il y a de cela plusieurs millénaires ! Les Proto-Indo-Européens sont l'exemple parfait de ce legs. Cette dénomination à rallonge est là pour qualifier les peuples en provenance de l'Inde, qui ont migré progressivement vers l'Europe... Probablement peu avant les âges du bronze et du fer (on parle ici de Protohistoire).

Au fil du temps, les Proto-Indo-Européens se seraient répandus dans toute l'Europe, donnant naissance à la quasi-totalité des principaux peuples du continent (baltes, celtes, germains, grecs, latins, slaves) et générant ainsi les bases de nombreuses langues et traditions.

Cette théorie, de plus en plus vue comme un fait est cependant vivement contestée (pour des raisons idéologiques, politiques et j'en passe), mais nous n'entrerons pas dans ce débat culturel houleux... il est d'ailleurs plus que temps d'entamer la description de celui qui serait (avec ses deux compères) à l'origine de Cernunnos, a savoir...

Pashupati :

Au sein de Mohenjo-daro ("le Mont des morts") - situé au Pakistan, ce site archéologique contient l'une des plus grandes cités de l'âge du bronze indien. Cette dernière était fort avancée sur divers aspects, comme celui de la vie quotidienne (les demeures possédaient pour la plupart de salles de bains, des systèmes de traitement des eaux usées, des greniers,...) ou encore la culture (ils possédaient un système d'écriture qui n'a d'ailleurs pas encore été déchiffré) -, une pièce unique a été extraite des ruines de la cité : le "sceau de Mohenjo-daro" (voir image ci-dessous).

Pashupati
Voici l'une des rares représentations du dieu Pashupati.

Sur ledit sceau nous pouvons voir que le personnage principal de la scène est doté de deux cornes de taille respectable (détail plus discret, il est également pourvu de trois visages) et assis en posture de yoga. Nous pouvons également voir qu'il est entouré d'animaux sauvages (un tigre est visible sur la gauche)... nul doute qu'il s'agit là d'une représentation de Pashupati (ou Pâsunâthale) "Maître des créatures" (ou le "Maître du troupeau"), un titre qui semble fort approprié.

Cette divinité peut-être trouvée dans le Rig-veda - collection d'hymnes sacrés de l'Inde antique, composés en sanskrit védique (langue ancienne de l'Inde, encore employée par les érudits et pour les textes religieux hindous). Le Rig-veda fait partie d'un des quatre grands textes canoniques (Srúti) de l'hindouisme qui sont connus sous le nom de Veda - comme l'un des épithètes de Rudra (divinité sinistre dont nous parlerons dans le chapitre suivant).

Le temple Pashupatinah, situé à Katmandou (au Népal) semble être consacré a Pashupati. Il apparaît également dans le Mahabharata (littéralement : "la Grande guerre des Bharata"). Dans ce texte, Pashupati est incarné sous la forme d'une arme que Arjuna (fils du dieu Indra et l'un des héros du Mahabharata, son nom signifie : "le blanc" ou "le pur") obtient de Shiva (voir plus bas encore une fois) lors de la préparation de la guerre. Elle est l'arme la plus destructrice et peut être lancée par l'esprit, la parole ou un arc (la dernière option semble la plus commode).

Il n'y a pas que dans la littérature que le Maître des créatures est présent. La très ancienne secte des Pasupatas (apparue vers le Ier siècle avant J.C.) semble d'ailleurs le confirmer. Cette dernière met en avant trois principes simples : la cause (Shiva), l'effet (de nature matérielle) et la fin de la peine (oui ça semble assez obscur dit comme ça). Leur doctrine est supposée venir directement du dieu Shiva incarné dans un maître nommé Lakulin - appelé aussi Lakulisha, il s'agit d'un ascète né vers le IIème siècle (les dates ne semblent pas vraiment se superposer) et considéré comme le dernier des 28 avatars de Shiva. Il est également vu comme le créateur du yoga (détail amusant, la signification de son nom est en lien avec son attribut : une massue).

Après avoir lu ces quelques lignes, je pense ne pas avoir de grands efforts à fournir pour vous convaincre du lien tangible entre Cernunnos et Pashupati (ses cornes, les trois visages, la posture, sa souveraineté sur les animaux,...). Il est temps donc de passer à la divinité suivante, qui est certaines fois liée à Pashupati et qui d'autres fois ne forme qu'un être... la mythologie hindoue est complexe je vous l'accorde mais faisons contre mauvaise fortune bon coeur pour étudier de plus près...

Rudra
Une version malsaine et fort détaillée de l'inquiétant Rudra (par Joseph A. Gay Junior).

Rudra :

Dieu védique de la mort et des orages, à la fois seigneur bénéfique et maléfique des animaux (une forme de dualisme donc) et de la nature sauvage (il est parfois associé à l'entité dépeinte sur le "sceau de Mohenjo-daro"). Rudra est également le père des dieux de la tempête, désignés sous le nom de Maruts - les Maruts, appelés aussi Marutagana sont, comme écrit ci-dessus, des divinités des tempêtes engendrés par Rudra et Prisni. Leur description semble les représenter armés d'éclairs, garnis de dents d'acier (avec un rugissement puissant comme celui du lion). Ils sont extrêmement violents et agressifs. Leur résidence se trouve dans le nord, où ils parcourent les cieux sur leurs chars d'or tirés par de puissants chevaux. Les Maruts sont également comparés aux Marutas (cités dans les Vedas), mais ceci est encore une autre histoire -. Il est vu comme le "prototype de Shiva" (ce dieu possède de nombreuses incarnations qui se réunissent en une seule entité), formant un groupe de onze Rudra.

Un dieu certes sinistre mais au rôle ô combien important (pas de vie sans mort, pas de lumière sans ténèbres). Comme vous l'avez je suppose deviné, la dernière divinité de cette triade n'est autre que le tout-puissant...

Shiva :

Divinité absolue des sivaïtes (appelés aussi "saiva pamtha"), vénéré et représenté sous d'innombrables aspects (Pashupati qui est sa plus ancienne forme et Rudra son prototype n'en sont que des "exemples"), on peut souvent le voir figuré avec un oeil frontal, un trident et un serpent (ses attributs principaux dans l'Inde du Nord) ou l'antilope et la hache (dans le sud).

Appelé parfois Siva ou çiva, son nom signifie : "le bon, celui qui porte bonheur". Il est reconnu comme l'un des membres de la Trimoûrti.

La Trimoûrti est une partie manifestée de la divinité suprême qui se fait triple pour présider aux différents états de l'univers. Dans le shivaïsme, les dieux Brahmâ (créateur de tous les êtres), Vichnou (protecteur et dieu de la terre) et Shiva (ou Rudra, sa forme destructrice), symbolisent respectivement : la création, la préservation et la destruction. Ils sont perçus comme des émanations de Shiva en tant que divinité suprême non-manifestée et donc, non-représentable (qui a dit que le christianisme avait le monopole du "dieu invisible" ?).

Shiva
Représentation classique de Shiva (photo de Ram Lucas).

Shiva est un yogi omniscient (il sait tout ce qui se passe dans le monde) qui incarne un aspect majeur de l'existence. Doté d'une formidable puissance, il mène une vie de sage sur le Mont Kailash (chaîne de montagnes de plateau tibétain). Dans la tradition Shivaïste de l'hindouisme, Shiva est considéré comme le dieu suprême doté de cinq fonctions : il est le créateur, le préservateur, le destructeur, le dissimulateur et le révélateur (je m'abstiendrai de faire une blague de photographe sur le sujet) par sa bénédiction.

Il est temps maintenant de quitter l'Inde et ses dieux pour remonter vers le sud de l'Europe afin de rencontrer les déités et Élémentaires de la Grèce et Rome Antique, un voyage qui sera rythmé par un quatuor cornu bien connu (des amateurs de mythologie grecque).

Les dieux pastoraux :

Bacchus :

Aux satyres buveurs de vin doux, à Bacchus qui planta la vigne, Héronax, comme prémices de ses jeunes vignes et de ses trois vignobles, a consacré ces trois jarres remplies du vin de la première récolte. Dans les libations que nous allons faire suivant les rites aux satyres ou à Bacchus, buvons plus que les satyres.
- Léonidas de Tarente.

Divinité romaine de la vigne et du vin (et aussi de la débauche), il est souvent surnommé le "dieu de la nuit". S'il n'est pas une divinité mineure, il n'a cependant pas une aussi grande importance pour les Romains que celle qu'accordent les Grecs à Dionysos (voir plus bas). Horace (Quintus Horatius Flaccus de son nom complet, poète romain né en 65 avant J.C.) cependant, l'invoque avec talent et lyrisme dans ses odes. Les fêtes de Vinalia (qui ont lieu en avril et en août) lui sont consacrées.

Dionysos :

Équivalence grecque du dieu de la vigne et du vin Bacchus, Dionysos est cependant une entité à part dans la mesure où ses égaux (Poséidon, Athéna, Artémis,...) sont considérés comme incontournables (dieux de base du panthéon grec), alors que lui a dû batailler ferme, multiplier les prodiges pour asseoir son trône et ainsi imposer sa divinité.

Son culte ne s'est donc pas imposé d'emblée. Chez Homère par exemple, il est vu comme l'un des douze dieux de l'Olympe, dont le rôle est d'enseigner l'art de planter la vigne et de recueillir le vin de la treille (faites un peu d'oenologie pour savoir de quoi il s'agit). Dieu fort apprécié du peuple (comme Démeter la déesse de l'agriculture et des moissons) il est méprisé par les nobles qui ne lui témoignent qu'un intérêt poli.

Dionysos
 Dionysos probablement accompagné par des Nymphes (par Bruno Wagner).

Plus tard, les divinités populaires connaîtront un regain d'intensité et Dionysos, dieu des énergies végétatives, dieu de la sève, dieu de la vigne et du vin, se verra octroyer une place de choix dans le panthéon divin.

Des fêtes lui seront d'ailleurs consacrées, les plus fameuses étant les grandes Dionysies qui se déroulent à la fin du mois de mars et qui durent six jours. Des représentations théâtrales (dithyrambes) en sont la clé de voûte, sans oublier des tragédies, drames satyriques et comédies qui forment un large éventail placé sous la bannière des arts.

Outre ses fonctions dans la viticulture (qui a trait à la vigne), Dionysos symbolise la suprématie de la passion et de l'enthousiasme sur la raison. Vénérer Dionysos, c'est reconnaître la nouveauté, c'est accepter de payer le prix du changement inévitable (une forme modérée de chaos).

Pan :

"Le Crétois Thérimaque a suspendu aux rochers de l'Arcadie ces javelots de chasse en l'honneur de Pan. Ô toi qui règnes sur les forêts du Lycée, en retour de cette offrande, dirige dans les combats la main et les flèches de Thérimaque, viens-lui en aide dans les vallées avec ton bras puissant, livre-lui les prémices de la chasse, les prémices aussi des ennemis."
- Léonidas de Tarente, Epigrammes votives.

Dieu grec doté de pouvoirs de divination et protecteur des berger (ainsi que des troupeaux), il semble être l'équivalent romain du dieu Faunus (voir chapitre suivant).

Il apparaît sous une forme à mi-chemin entre l'homme et le bouc : un corps velu, une longue barbe en pointe, des sabots fendus, bref la panoplie complète d'un digne représentant des caprins (famille des chèvres). Il inspire une peur panique aux gens du cru qui l'aperçoivent au détour d'un chemin, bondissant d'un rocher à l'autre, ou surgissant d'une des innombrables grottes du Ménale, en Arcadie. Aux environs de midi, dans les collines, mieux vaut ne pas faire de bruit, car c'est l'heure où ce dernier se repose (le déranger revient à courir dans la caverne d'un ours avec un saumon dans la bouche).

Pan
 Représentation du dieu Pan avec son syrinx.

Pan est également la divinité de la fécondité ainsi que de la puissance sexuelle (plus tard cette symbolique sera associée au bouc en général et diabolisée par les catholiques... encore une fois) et il est le créateur de la flûte à sept tuyaux (appelée généralement : "flûte de Pan").

Vénéré principalement en Arcadie (région du sud de la Grèce) durant le IV siècle avant J.C., il est principalement représenté sous les traits d'un jeune-homme, symbole de la civilisation (enlevant ainsi la touche sylvestre du tableau). Ses attributs sont le syrinx (véritable nom de la flûte de Pan), le bâton du berger, la couronne et le rameau de pin.

Faunus :

"Rapide, Faunus quitte souvent pour le charmant Lucrétile le Lycée, et il défend mes chèvres contre les feux de l'été et contre les vents qui amènent la pluie."
- Horace, Odes.

Comme ses autres "collègues", il est le dieu protecteur de l'agriculture et des bergers. Son domaine d'action est donc fatalement rattaché aux champs, bois, forêts, plaines, rivières,... il en assure la fertilité et la fécondité.

Les romains tirent son nom de "favere" ("être favorable"). Il est l'une des plus anciennes divinités de l'Italie et est surnommé le "compagnon de Vénus" parce que les cultes des deux divinités sont souvent associés.

Il ne faut cependant pas oublier qu'à l'origine, il est une divinité sauvage et farouche dont le pouvoir s'exerce sur les terres dénuées de toute trace de cultures et civilisation, les champs cultivés étant le domaine de Sylvain, dieu auquel il est parfois comparé.

Lorsque le culte de Pan est introduit en Italie, Faunus est alors identifié au dieu grec dont on lui prête les aspects : cornes et sabots de bouc. Par la suite apparaît le nom commun pluriel "Faunes". Ces demi-divinités (donc mortelles), sont représentées à l'image du Faunus, qu'elles assistent : moitié humaines et moitié chèvres. Créatures champêtres et sylvestres, les "Faunes impudiques" sont bientôt assimilés aux Satyres de la mythologie grecque.

Après vous avoir présenté sommairement ce charmant quatuor (je me réserve le droit de vous en dire plus sur les Faunes et Satyres dans un futur plus ou moins proche), nous pouvons quitter la chaleur des terres méditerranéennes, pour remonter vers l'Europe Centrale, dans la vaste Hongrie où nous attend...

Csodszarvas :

Les mythes des pays de l'est ne sont pas fort populaires dans nos contrées. Ils sont pourtant uniques et fort riches. L'un d'eux va retenir notre attention pour cette fois : le mythe des frères fondateurs. Pour vous résumer cette légende, Hunor et Magor débusquent un cerf immaculé. Une longue et épuisante traque débute mais le cerf garde toujours une longueur d'avance sur eux, les menant toujours plus loin vers l'ouest en Levedia, où en finalité, ils épousent deux princesses et fondent les peuples Hun (peuple nomade turc originaire de l'Asie Centrale) et Magyar (Hongrois).

Csodszarvas
Une version "celtique" de Csodszarvas par Sekhmet.

Le cerf Csodszarvas est une figure centrale dans la mythologie hongroise, son nom pourrait se traduire par "Cerf Miraculeux". Hormis son rôle de guide, ce charmant cervidé est, vous vous en doutez, à mettre en parallèle avec le dieu Cernunnos (des esprits chagrins le lient à saint Hubert mais vu que ce dernier est lui aussi une adaptation du dieu cornu par les catholiques, c'est chou-vert et vert-chou). Mais trêve de parlote, passons directement à l'analyse des deux versions du mythe du cerf-blanc que j'ai pu dénicher. 
Le Cerf Miraculeux (première version) :

Un jour, Ménrót - qui s'appelle également Nimród. Son nom signifie : "Celui qui a vaincu le tigre" ou une variation du verbe "se rebeller" en arabe. Ce personnage est lié aux récits bibliques (il serait apparenté à Noé) et son nom a servi à rebaptiser une ancienne cité mésopotamienne (la cité de Kalhu qui porte désormais le nom de Nimrud) - l'ancêtre des ancêtres, rencontra une belle femme appelée Enéh. Après d'innombrables étreintes, elle donna le jour à deux fils : Hunor et Magor. - En accord avec les anciennes légendes (et au risque de me répéter), l'un devint l'ancêtre des Huns et l'autre, l'ancêtre des Hongrois, c'est depuis que ces deux peuples sont étroitement liés l'un à l'autre - Les enfants avec l'âge devinrent de vigoureux jeune-hommes qui allaient souvent chasser ensembles.

Un beau jour, les frères et leurs suivants tombèrent sur une région encore inexplorée. Le soleil était déjà bas dans le ciel et les guerriers songèrent à tourner bride afin de rentrer chez-eux avant que les ténèbres ne les atteignent.

Tout à coup, ils poussèrent un cri d'émerveillement quand ils virent une magnifique créature apparaître sous leurs yeux : un cerf mâle d'une beauté jamais contemplée auparavant ! Il avait une éblouissante crinière, aussi blanche que la neige qui miroite sous l'éclat du soleil, ainsi qu'une énorme paire de bois tortueux au-dessus des yeux qui brillaient, pareils à des diamants de la plus belle eau. La noble créature ne perdit pas de temps et disparut d'un bond dans les buissons, ne laissant que le bruit de sa course pour seul preuve de son existence.

Aucun ordre ne fut nécessaire puisque les cavaliers prirent en chasse le cerf presque immédiatement. Chacun d'eux ne pensait qu'à la gloire qu'ils récolteraient en capturant une telle bête. Hunor et Magor (ou Magyar selon les versions) laissèrent les hommes charger. Ils traquèrent de concert la splendide créature de longues heures durant ; chaque fois que les chasseurs pensaient avoir perdu la trace de l'animal, ce dernier réapparaissait devant eux. A la fin de la traque, ils se retrouvèrent dans une merveilleuse contrée inconnue, où les cours d'eau semblaient doux comme le vin (un détail qui me laisse un brin sceptique).

Csodszarvas et Turul
Gravure sur bois de l'oiseau Turul (nous en reparlerons une fois prochaine) et de Csodszarvas.

Émerveillés par tant de beauté, les hommes restèrent pour la seconde fois sans voix à la vue du spectacle qui s'offrait à leurs yeux. Le Cerf Miraculeux, après les avoir menés dans cette terre d'accueil où ils pourraient vivre en toute quiétude, profita de l'occasion pour disparaître, nul ne l'a revu depuis.

Le Cerf Miraculeux (seconde version) :

Cette deuxième partie nous donne plus de précisions sur la suite de l'histoire mais aussi quelques détails que l'auteur précédant a omis de mentionner. En parlant de précisions, pour ceux et celles que ça intéresse. Le terme "Magyar" ("Magyarok" au pluriel) désignait à l'origine, un groupe ethnique en provenance de l'Asie Centrale et dont les migrations successives, d'abord vers l'Oural (immense chaîne de montagnes se situant dans l'actuelle Russie), puis vers la Mer Noire (aux abords de l'Ukraine), pour finalement aboutir à la création du "Pays Magyar" ("Magyarország"), autrement dit : la Hongrie. De nos jours le qualificatif "Magyar" sert d'avantage à désigner ce peuple, avant la création de l'état hongrois. Et donc, après cette "courte" parenthèse, revenons à l'histoire des frères fondateurs.

Le mythe du cerf blanc est une légende des origines du peuple hongrois. Il est dit que les deux fils du grand chasseur Nimród (Hunor et Magor), comme leur père, ne vivaient que pour traquer le gibier. Un beau jour, ils partirent vers l'ouest pour une expédition de chasse, chacun accompagné de cinquante hommes en guise d'escorte.

Par un beau matin, ils virent un splendide cervidé immaculé comme ils n'en avaient jamais vu auparavant et, immédiatement ils commencèrent à le traquer. Ils voulaient le prendre vivant afin de le ramener à leur père. Cependant, le cerf était très rapide et ce dernier les évita jusqu'au crépuscule.

Csodszarvas
Une splendide version du Cerf Miraculeux par Jonas Jödicke.

A leur réveil, le cerf était de nouveau là et ils le suivirent des jours durant jusqu'à ce qu'un matin, ce dernier disparaisse brusquement dans une zone marécageuse - parfois définie comme les marais Maeotian où la rivière Don se déverse dans la mer d'Azov - où ils ne pourraient pas le suivre. Dépités par la tournure que prenaient les évènements, Hunor et Magor décidèrent de prendre du repos afin d'avoir les idées plus claires pour la suite des évènements. Au petit matin, qu'elle ne fut pas leur surprise de découvrir qu'ils étaient sur une île splendide, couverte de forêts et emplie de vert pâturages, sans oublier les rivières débordantes de poissons (ça change du vin).

Les frères décidèrent de demeurer là, si leur père leur accordait sa bénédiction. Après une voyage de sept jours pour rejoindre leur géniteur, ils découvrirent ce dernier gisant sur son lit de mort, à l'agonie. Ils lui parlèrent de leur projet et demandèrent son accord, le pressant de laisser sa principauté à son autre fils (qui n'est pas cité ici). Nimród accepta et expira dans un dernier souffle.

Après les funérailles, Hunor et Magor retournèrent sur cette île chatoyante où le cerf les avaient guidés. Sur leur chemin, ils trouvèrent un groupe de ravissantes jeunes femmes en train de danser, formant un cercle avec deux autres demoiselles au centre de ce dernier. En un clin-d'oeil, Hunor et Magor galopèrent à bride abattue vers le centre du cercle, balancèrent les deux jeunes femmes à l'arrière de leurs selles et les cent hommes qui les accompagnaient toujours, prenant leurs chefs en exemple, en firent de même avec le reste (excusez le terme peu glorieux pour la gent féminine) des demoiselles, avant de partir au triple galop.

Hunor et Magor venaient en fait de prendre les deux filles du prince des Alan, Dulna. La fratrie, accompagnée de leurs hommes célébrèrent un mariage de groupe. Hunor devint le père des Huns et Magor le père des Magyars. Au fil des ans, ils devinrent vite fort nombreux, au point qu'il fallut plus d'espace pour tous les accueillir. Ils galopèrent donc vers l'ouest et découvrirent à nouveau une terre prospère (probablement près du bassin des Carpates).

Cernunnos

Il existe plusieurs variantes de cette légende. Selon certains, les femmes qu'ils découvrent en revenant de chez leur père se changent en Fées (en Élémentaires en gros) pour s'envoler si les hommes ne sont pas assez rapides pour les attraper (cette scène est d'ailleurs dépeinte sur l'un des vitraux de l'hôtel Gellért à Budapest). D'autres auteurs se servent de cette partie du mythe pour donner la raison pour laquelle les femmes hongroises semblent toutes aussi ravissantes (ce qui passe à mes yeux pour du vilain cirage de bottes en bonne et due forme, n'en déplaise aux demoiselles hongroises)...

Après cette longue traque du Cerf Miraculeux, il est temps d'entamer la dernière partie de notre voyage et de revenir vers l'Europe Centrale, en Belgique pour faire la rencontre de...

Saint Hubert :

Ce n'est pas vraiment saint Hubert qui est une incarnation de Cernunnos mais bien le cerf qu'il a croisé au cours d'une chasse. Le dieu cornu, avec l'aide "bienveillante" (et je me surveille cette fois pour ne pas employer un langage plus "châtié") du catholicisme, s'est vu réduit à l'état de symbole, pire il est devenu l'évènement clé qui aurait forcé l'évêque de Liège à se convertir... Cette utilisation outrancière des dieux de la concurrence était à l'époque chose courante. Je suppose que pour faciliter la conversion des fidèles (et pour ne pas que ça hurle trop), il était monnaie-courante de changer les dieux "païens" en saints "vertueux" (amusez-vous à faire des recherches sur le dieu Lug, la déesse Brigantia ou lisez l'article intitulé "Le Dullahan et Sleepy Hollow" si vous désirez en savoir plus)... surtout après s'être approprié leurs lieux sacrés (le Mont saint Michel, le Croagh Patrick, pour ne citer que ceux-là).

Nous étudierons la légende de saint Hubert de trois manières. La première sera l'analyse de sa vie en se basant uniquement sur des faits historiques. La seconde sera l'analyse du mythe et enfin la dernière, sera la comparaison entre Cernunnos et le cervidé des Ardennes (avec probablement quelques petits rajouts, comme d'habitude). La thèse de Daniel Gricourt , Dominique Hollard et Bernard Sergent ("Cernunnos, le dioscure sauvage : Recherches comparatives sur la divinité dionysiaque des Celtes" ... oui le titre est assez long, mais pour une fois que je cite une de mes sources... saluez l'effort que diable !), m'aura été grandement utile pour cette dernière partie et je tiens donc à leur adresser de chaleureux remerciements pour leur excellent travail. Plongeons maintenant dans l'histoire...

La vision de Saint Hubert
"La vision de Saint Hubert" (peinture de Bruegel l'Ancien).

Version historique :

Saint Hubert (Hubertus en anglais), était un évêque de Liège (Belgique) et le patron des Ardennes. Il aurait vécu au VIIème siècle et serait mort en 727. Son plus ancien biographe, qui vivait au VIIIème siècle ou au IXème siècle, se borne à raconter qu'il fut le disciple ainsi que le successeur de l'évêque de Liège, saint Lambert (j'espère que le biographe n'a pas été payé pour son "excès" de zèle...) vers l'an 708.

A moins de croire aux miracles, il est presque impossible de dire les évènements qui ont conduit saint Hubert à se convertir au christianisme ; mais aussitôt qu'il se rangea sous la bannière des chrétiens, il se mit sous la conduite de saint Lambert - né en 636 à Maastricht (Hollande) et mort en 705 à Liège (Belgique) -, alors évêque de Maastricht, qui l'éleva par la suite au sacerdoce et l'associa au gouvernement de son diocèse (désigne le territoire où l'évêque y exerce ses fonctions, ce terme latin qui signifie : "administration" ou "gouvernement" a été employé pour la première fois vers le IIIème siècle).

Plus tard, saint Lambert sera massacré (assassiné dans le village de Liège, probablement à cause d'une querelle clanique d'une fratrie rivale) et Hubert sera désigné pour lui succéder.

En 720 le corps de saint Lambert sera transféré de Maastricht à Liège (qui n'était à l'époque qu'un village). La dépouille de l'ancien évêque sera placée dans une belle église que saint Hubert avait fait bâtir à l'endroit même où son prédécesseur s'était fait martyriser (cette église deviendra plus tard la cathédrale de Liège). Depuis lors, saint Lambert est vu comme le patron de la ville et saint Hubert comme son fondateur.

Selon la tradition, saint Hubert décéda le 30 mai 727. Son corps fut transporté également à Liège et déposé dans l'église collégiale de Saint-Pierre. En 823, il fut transféré avec la permission de Louis le Débonnaire (fils de Charlemagne et roi d'Aquitaine jusqu'en 814, année où il sera sacré empereur d'Occident), à l'abbaye d'Audain (dans les Ardennes), laquelle porte depuis son nom.

Version mythique :

Passé le côté purement historique de la vie de saint-Hubert (qui n'est pas ce qui se fait de plus attrayant sur le marché), nous pouvons passer à la version plus légendaire du récit et enfin voir le fameux cerf entrer en scène...

Saint Hubert
Le fameux vitrail de Turpange (Belgique).

Notre récit commence avec Hubert, fils de Bertrand (le duc d'Aquitaine de l'époque) qui est envoyé un beau jour à la cour de Thierry 1er (Thierry de Metz). Très vite, le jeune homme se brouille avec le maire Ebroin et il est contraint de se retirer en Austrasie (royaume Franc apparu en 511, à la mort de Clovis) chez son parent le duc Pépin d'Herstal (Pépin le Gros pour les intimes) où il y épouse Floribane, fille du comte de Louvain.

Les miracles :

Le premier miracle de saint Hubert est celui qui fut à l'origine de sa conversion. Un jour de Noël, le descendant de Bertrand d'Aquitaine parcourait la lande en quête de gibier (au lieu de donner le temps "voulu" aux pratiques religieuses). Il eut à peine le temps de lâcher les chiens qu'un magnifique cerf se posta en face de lui, chose étrange le cervidé arborait une croix entre ses ramures. Une voix se fit alors entendre au même instant, disant :

"- Va trouver Lambert, évêque de Maastricht, cesse d'être incrédule et fais-toi catholique ; fais pénitence de tes péchés comme il te le conseillera, car par toi l'église sera exaucée. Si tu ne le fais pas, tu seras damné à ta dernière heure."

Surpris, Hubert descendit de son cheval, puis il se mit à genoux pour adorer le signe de la "rédemption" (mon côté sarcastique à ce sujet n'est pas injustifié, vous aurez tout le loisir de le constater dans le prochain chapitre) et pour demander à dieu pardon de ses péchés. Catéchisé par saint Lambert (aux origines moine à Stavelot ou dans les Ardennes selon d'autres sources), il fit ensuite un pèlerinage à Rome où il apprit "miraculeusement" la mort de l'évêque Lambert (je doute que qualifier la mort d'un proche de miracle soit de bon goût). Contraint de lui succéder, il reçut du ciel une étoile merveilleuse à laquelle les croyants prêtaient le don de guérir de la rage (maladie virale qui touche principalement les carnivores et s'attaque au système nerveux) lorsqu'on en insère une parcelle dans une incision pratiquée sur le front de la personne mordue.

Outre ses talents de guérisseur, saint Hubert possédait, selon les dires des talents d'exorciste et de faiseur de pluie... En effet, alors que ce dernier participait à la procession des Rogations, une femme "possédée" du démon troubla la cérémonie. Aussitôt, l'évêque lui imposa le silence et la délivra de son mal en faisant sur elle le signe de croix (vous savez déjà tout le crédit que j'accorde à ce genre de pratique, qui a pour moi autant d'effet que de tenter de vider les océans avec un seau percé). Une autre fois il sauva également une contrée victime de la sècheresse par ses prières.

Cernunnos
 Une charmante scène hivernale où l'ont peut apercevoir, dans le fond, l'ombre d'un cerf majestueux.

La première chose qui m'a toujours fait grincer des dents dans ce genre de récit, c'est l'obligation et le manque de libre arbitre. Le dieu chrétien contrairement à la plupart des entités ou divinités rangées sous la bannière du "bien", ne laisse aucun choix au pauvre Hubert, pire il menace de le damner s'il ne s'exécute pas... Une bien piètre image en finalité.

Mais quittons ce registre qui en fâchera plus d'un et continuons notre visite en détaillant la comparaison entre le mythe de saint Hubert et les symboliques de l'entité Cernunnos.

Cernunnos et saint Hubert :

Pour débuter notre analyse, première constatation : saint Hubert serait né le premier novembre, date qui correspond au Nouvel-an celtique (pour rappel, date de l'avènement du règne de Cernunnos). Outre la date, le second élément aussi flagrant qu'un nez en pleine figure est le cerf : emblème incontestable du dieu celte.

La croix qui est plantée entre les ramures du cerf (et qui provoque en moi un grincement de dents compulsif) n'est autre qu'un détournement de la roue solaire celte (symbole antérieur au christianisme, la croix symbolise le monde manifesté tandis que la roue nous rappelle que l'esprit est sous-jacent à toutes les formes). En effet, la croix lumineuse qui orne le front du cerf forme un symbole similaire au halo qui apparaît entre les bois de Cernunnos (cette représentation a été découverte sur l'une des faces d'une pièce d'argent bretonne du Hantshire, trouvée près de Petersfield et publiée par Boon en 1892).

Autre similitude (moins évidente cette fois) : le lien du dieu cornu avec la roue cosmique (son rôle sur la croissance et la décrépitude de tout ce qui vît) et n'oublions pas bien entendu le contexte sylvestre où se déroule la chasse de saint Hubert, détail flagrant qui ramène encore une fois vers Cernunnos...

Cernunnos
Illustration fort particulière d'Andrew Mar.

Si saint Hubert est à mettre en lien avec le seigneur de l'Annwn, il ne faudrait pas non-plus oublier une autre des incarnations du dieu cornu. Chose que nous allons développer à l'instant dans...

Herne et saint Hubert :

En Angleterre, la légende de saint Hubert (Hubertus) est vue comme une variation de la Chasse Sauvage. Il est d'ailleurs "amusant" de constater qu'en Allemagne et en Alsace, l'ouverture de la chasse aux cerfs débute le premier août, jour où est fêté le dieu gaulois Lugus (Lug est son équivalent irlandais) vu comme le frère jumeau et principal rival de Cernunnos (dualisme quand tu nous tiens).

Un autre jour en parallèle avec la Chasse Fantastique se situe le 3 novembre. Les chasseurs ardennais doivent en effet déposer solennellement la dépouille du cerf tué sur le parvis des églises dédiées au saint des Ardennes.

Dans le Haut-Morvan (situé en Bourgogne), il y aurait, vers minuit, aux croisements des chemins, un passage d'Esprits connu sous le nom de Chasse de saint Hubert ; il est accompagné par un vacarme dans l'air et l'on peut voir un petit chien poussant des cris plaintifs , poursuivi par un molosse de grande taille. Un soldat qui ne craignait rien, voulu en être témoin ; il se munit d'un bâton de coudrier (lié à la radiesthésie, ce bâton est censé découvrir ce qui demeure caché aux facultés normales) et obtint l'autorisation d'emmener avec lui un garçonnet. Vers minuit, arrivé au carrefour orné d'une croix, il traça un cercle à l'aide de son bâton et se plaça en son centre, bâton dressé pointe en l'air. Peu après il entendit un grand bruit suivi aussitôt par le petit chien qui vint s'abattre sur le bâton, provoquant la disparition mystérieuse du soldat et du garçonnet dans un nuage de fumée. Nul ne les a revus depuis...

Cernunnos
Illustration d'Andrew Mar (à nouveau oui).

Un dernier lien entre le saint et l'auguste cervidé divin est à mentionner : l'aspect psychopompe de Cernunnos. Le dieu celtique a en effet séjourné dès sa naissance dans l'Autre-Monde, auprès des forces "sombres et maléfiques" qui l'ont enlevé durant la Samhain (le nom des Fomoires ou "Fomoiré" semble rattaché au mot irlandais "Fobhar", qui signifie littéralement "Esprit" ou "Spectre"), avant de réapparaître peu après en pleine santé dans le monde des vivants. Il n'est donc pas très étonnant de voir que saint Hubert se retrouve avec la tâche de "contrôler" à cette même période, l'irruption et le déferlement sur la terre des entités venues de l'au-delà. Cette particularité (honteusement dérobée) pourrait expliquer la coutume liégeoise (qui n'a pas perduré jusqu'à notre époque), attestée à la fin du XVème siècle, de tambouriner à l'aide d'un petit maillet de bois, sur les portes des maisons, la nuit du 3 novembre.

Conclusion :

Cernunnos malgré les épreuves et le lent passage des ans, demeurera dans le coeur et l'esprit de bien des gens pour encore un bon moment. Il suffit d'arpenter les bois et forêts, de s'arrêter pour contempler un court instant la nature en train de changer au rythme des saisons, de sentir son coeur s'accorder avec celui des habitants des sylves et vous pourrez ressentir sa présence bienveillante auprès de vous...

Notre long et tumultueux voyage au royaume du dieu cornu touche d'ailleurs à sa fin... J'espère que votre cavalcade à travers les âges vous aura au moins autant plu que j'ai apprécié de faire des recherches sur le sujet. Je vous laisse cependant un dernier cadeau : une petite liste de livres, films, jeux et j'en passe qui se sont inspirés de Cernunnos et de ses autres incarnations. En espérant vous revoir au prochain article, je vous tire mon chapeau et m'envole vers d'autres contrées où le rêve ne se termine jamais.

Cernunnos
Illustration de Sara.

Annexes :

Littérature :

- Dans "LesChroniques de Prydain" de Lloyd Alexander (série de livres de fantasy qui se basent sur la littérature galloise), Arawn est l'un des principaux ennemis de la série. Autrefois un homme mortel doté de puissants pouvoirs et marié à Achren, la reine d'Annuvin (la différence grammaticale avec Annwn est minime). Il décide de la trahir le jour où elle n'a plus rien à lui apprendre, afin d'usurper la couronne de fer d'Annuvin et le titre de "Seigneur de la Mort". Suite à ce forfait, son désir le plus cher sera évidemment de conquérir tout Prydain.

- "L'Hiverrier" (ou "Wintersmith" dans son titre original) écrit par Terry Pratchett, semble être une adaptation du livre de Robert Graves ("The White Goddess") et montre sous un ton humoristique, la lutte constante entre le "bonhomme hiver" et la "Dame de l'été".

- John J. McLaglen, semble avoir écrit une série de livres avec pour héros : Herne the Hunter (c'est le nom de ladite série) qui apparaît sous les traits d'un cow-boy à la sauce Sergio Leone (les "western spaghetti" comme : "Le Bon, la Brute et le Truand", "Il était une fois dans l'Ouest",...), avec une touche de fantastique pour bien faire.

- Mike Mignola (le père du comic américain "Hellboy"), dont j'admire énormément le travail (il est rare que les américains s'intéressent à notre folklore et Mignola a prouvé plus d'une fois sa maîtrise du sujet, allant souvent chercher des mythes obscurs ou des auteurs de fantasy peu connus, pour créer ses nouvelles encrées), nous dépeint dans le tome intitulé : "La grande battue", une version personnelle de la Chasse Sauvage, menée par un représentant symbolique de Herne afin de traquer les Géants qui s'éveillent de leur long sommeil sur le sol de l'Angleterre.

- Non content d'avoir sa propre série de livres, Arawn est également le personnage principal de la bd du même nom (scénario de Ronan Le Breton et dessin de Sébastien Grenier).

Cernunnos
Cernunnos par Ion Ander.

Jeux vidéos :

- Dans "Fable II", le premier boss rencontré, "Thag l'Impatient" (chef des bandits du lac de Bowerstone), est coiffé d'un crâne de cerf orné de ses ramures... Le clin-d'oeil à Herne le Chasseur semble évident.

- Si la monde du sieur Mc Gee est onirique et dérangeant à souhait, il ne manque pas non-plus de symboliques variées. Dans "Alice Madness Returns", un petit DLC (contenu téléchargeable) est disponible afin de modifier l'apparence des 4 armes d'Alice. L'une d'elle porte le doux nom de "Knightmare" (jeu de mots pour chevalier : "knight" et cauchemar : "nightmare") et se présente sous la forme d'une massue d'os se terminant par un crâne de Licorne orné de ramures de cerf.

- Dans Bloodforge, le joueur se doit d'incarner Arawn (le seigneur d'Annwn est d'ailleurs aussi dans le jeu en ligne "Dark Age of Camelot" où il est le dieu tutélaire des Reaver pour les classes d'hérétique et de nécromancien).

- Dans Pokemon X et Y (oui vous avez bien lu), dont le nom dérive de l'abscisse (X pour Xerneas), de l'ordonnée (Y pour Yveltal, l'oiseau mythique probablement inspiré du Turul hongrois) - et n'oublions pas la cote (Z), incarnée par le Dragon Zygarde -, le pokemon légendaire Xerneas semble basé sur le Cerf Miraculeux de la mythologie Hongroise.

Ces coordonnées cartésiennes symbolisent je suppose les dimensions ou des états différents (si Xerneas est vu comme le porteur de vie son axe symbolise cet aspect et Yveltal son contraire tandis que Zygarde apporte l'équilibre).

Pour en revenir à Xerneas, sa capacité principale est d'augmenter la puissance des attaques de type Fée d'un tiers pour tous les Pokemons présents sur le terrain.

Dieu-cerf
Un dieu-cerf original.

Films :

- "Taram et le Chaudron Magique" ("The Black Cauldron"), le 32ème long-métrage d'animation des studios Disney, sorti en 1985, se base principalement sur le deuxième tome des "Chroniques de Prydain" de Lloyd Chudley Alexander (voir plus haut dans la section littérature).

- "The Box of Delights" est une nouvelle de fantasy pour les enfants. Écrite par John Masefield en 1935, elle sera adaptée par la BBC à la radio puis à la télévision (en 1984). Herne le Chasseur y fait une apparition en tant que personnage guide.

- Dans "Princesse Mononoke" (film d'animation japonais d'Hayao Miyazaki) un dieu-cerf à visage humain (le "Shishigami") incarne le gardien de la forêt et de toutes les créatures vivantes. La nuit ce dernier se transforme en un Géant translucide surnommé le "Faiseur de Montagnes" (il est censé retirer la vie de tous ceux qui ont la malchance de le croiser, formant ainsi le dualisme habituel du dieu Cernunnos).
Idraemir