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samedi 30 juin 2012

Filles du vent, filles du souffre, Harpies et Furies

Quittons pour un moment les mers froides et inhospitalières du nord, pour nous rendre plus au sud vers la Grèce (et oui encore, mais que voulez-vous mon répertoire dans ce domaine est quasi inépuisable). Cette fois, la gent ailée sera à l'honneur ! En effet, je comptais au départ produire un petit article ou deux pas trop lourds, histoire de vous (me) reposer l'esprit mais au fil de mes recherches à partir de mes sources, je me suis rendu compte que cela demanderait beaucoup plus de place et de temps qu'un article basique (après tout pourquoi commencer à faire les choses à moitié quand on à la possibilité de le faire correctement). Sur-ce, je vous épargne la suite de mon monologue, pour vous livrer ces trois créatures de la mythologie grecque qui, au premier abord, ne semblaient pas vraiment avoir de rapport, alors qu'elles semblent provenir de la même racine (en creusant un peu si vous me passez le jeu de mot moisi). Je veux bien-sûr parler des Harpies, des Furies et enfin des Erinyes. Pour ne pas changer les bonnes habitudes, place au décorticage, bestiole par bestiole, dans la joie et l'allégresse !

Harpie
Si vous avez une petite faim c'est le moment (illustration d'Erin)...

1) Les Harpies, célestes mais peu gracieuses :

Voyons une petite définition tirée d'une encyclopédie (fort peu complète à mon goût mais elle a le mérite de citer ladite créature pour quelques lignes)  :

"Mieux vaut éviter la rencontre avec cette étrange créature de la mythologie grecque. Vicieuse et méchante, elle cherche à faire souffrir autour d'elle. Bien qu'on ait peu de détails sur les harpies (vu la longueur du texte, nous nous en étions aperçus...), on sait qu'elles ressemblent à des oiseaux géants à tête de femme, portant un bec de rapace, des seins lourds et des serres griffues. Les harpies traînent derrière elles une telle odeur de charogne que leur pestilence fait s'évanouir les plus courageux !"

Entrons plus en profondeur dans l'étude des Harpies (il m'a été impossible de trouver un mythe complet relatant les "exploits" de ces créatures et ce n'est pas faute d'avoir essayé). Les Harpies (ou Harpyes) étaient vues comme des "démons de la tempête, de la dévastation et de la mort" (le classique de l'espèce infernale en gros). Leur origine semble Elémentaire (entités primordiales issues des 4 éléments qui composent notre monde : l'eau, la terre, le feu et l'air) et plus précisément tournée vers l'élément de l'air (on me signale qu'elles auraient été aussi à l'origine, des divinités mineures, je penche pour ma part vers le côté Elémentaire, qui évoluera avec le temps vers le divin, pour terminer sa course dans un registre plus "modeste"). Leur apparence générale est à mi-chemin entre la femme et l'oiseau mais, elles semblent également souvent associées aux chevaux (peut-être que leur forme primale était une sorte de cheval-esprit, sur ce point je n'ai aucune garantie)...

Harpie
Thème plus chatoyant de la Harpie (par Carolina Eade).

Au nombre de trois, elles se nommaient : Célaeno ("l'Obscurité"), Aello ("la Tempête") bien que parfois aussi Niothoé (au pieds rapides), et enfin Ocythée ou Ocypété ("la Rapide"). Elles vivaient aux îles Strophades (petit archipel Grec de deux îles), dans la mer d'Ionie, sur la côte du Péloponnèse (le cours de Géo est terminé, rangez vos cahiers...). Surnommées les "Chiennes de Zeus", elles étaient envoyées par ce dernier (ou par Héra pour changer) pour châtier les mortels qui avaient eu l'audace de l'offenser. Les Harpies avaient une apparence atroce : créatures au corps d'oiseau et au buste "féminin". Le visage était celui de vieilles femmes , dont les seins étaient pendants comme des mamelles flasques (d'où mes guillemets un peu avant, je précise que je n'ai pas changé une virgule de la phrase d'origine donc pour les plaintes du M.L.F. passez votre chemin...).

Il existe toutefois d'autres descriptions de ces "charmantes" créatures. En effet, Hésiode (poète grec du VIIIème siècle avant J.C.) dans sa Théogonie, les décrits comme des esprits ou divinités mineures ailées, à la chevelure longue et déliée, plus rapides que le vent (déjà plus charmant ne trouvez-vous pas ?). Le livre III de l'Enéide (épopée littéraire écrite par Virgile le poète latin) en fait des oiseaux au visage de jeune filles, aux griffes recourbées et au ventre immonde, pâle, éternellement animées d'une faim qu'elles ne peuvent assouvir. Pour Servius (commentateur de Virgile), elles étaient les Furies (j'en parlerais plus loin).

Il arrivait que les Harpies descendent des montagnes afin de provoquer la famine (en volant la nourriture et en déposant sur ce qu'elles laissaient une odeur abjecte), enlevaient les enfants, les âmes (leur nom signifie "ravisseuses") et torturaient sans relâche leurs victimes. Les Harpies étaient d'ailleurs parfois vues comme les pourvoyeuses des Erinyes . Les Harpies sont donc une variante terrestre des Furies et Erinyes mais, il semble que dans certaines versions elles sont sous les ordres de Zeus pour éxécuter sa volonté (alors que dans d'autres elles ne sont là que pour torturer les mortels gratuitement).

Harpie
Version typiquement rôlistique de la Harpie (affriolant n'est ce pas ?).

De nos jours, la Harpie est souvent représentée comme monstre mineur pour vous pourrir la vie dans les RPG (Role Playing Game pour les novices, je cite au passage vite fait : Golden Sun, Castlevania, Dragon's Dogma,...) et comme héroïne dans des films (Harpies de 2007 qui est un nanar moisi, ainsi que Jason et les argonautes de 1963 qui n'est pas mal du tout pour l'époque). En littérature, il est possible d'en trouver la trace dans "La Divine Comédie" de Dante où elles tourmentent les condamnés du septième cercle des enfers : les suicidés, changés en arbre. Ce qui ne manque pas d'ironie vous en conviendrez... Il est à rajouter que la harpie est également un rapace diurne séjournant en Amérique latine et chassant dans les forêts.

Harpie
Illustration d'une harpie d'Amérique du Sud (créée par Ray Racanelli).

P.S. : Une harpie désigne également une femme au caractère infect (si vous voulez briller en société vous savez quoi faire, je décline par contre toute responsabilité quant à cette vanne de mauvais goût).

2) Les Furies ou la justice opiniâtre :

"Divinités infernales chez les anciens ministres de la vengeance des dieux, et chargées d'exécuter les sentences de juges de l'enfer."- Collin de Plancy, Dictionnaire Infernal.

Voici donc la seconde variante de ces créatures fascinantes, qui cette fois répondent au doux nom de Furies ou Furies vengeresses. Pour cette version, je vous détaillerai leurs origines et caractéristiques puis, résumerai une courte histoire (où elles tiennent un modeste mais ô combien important rôle) qui pourrait s'intituler : "Le crime d'Oreste". Vous noterez au passage que certains noms changent selon les textes de la première, seconde ou troisième partie. En effet, la première partie est tirée de la mythologie grecque, la seconde, la mythologie romaine et enfin la dernière revient sur la mythologie grecque (c'est du pareil au même vu que les romains se sont grandement inspirés des grecs pour beaucoup de choses... Notez quand même que : Jupiter = Zeus, Poséidon = Neptune, Hadès = Pluton, Héra = Junon, Arès = Mars, Héphaïstos = Vulcain, Athéna = Minerve, Aphrodite = Vénus,... Ceci devrait vous aider à y voir plus clair vu que j'essaie de garder dans leur contexte d'origine les sources que je décortique avec vous). Mais, trêve de discours, passons à la suite du programme séance tenante.

Harpie
Illustration d'Highdarktemplar.

Pour parler des Furies, il faudra que je commence par le commencement des temps... Du Chaos originel surgit Gaia, Terre-mère, incarnation chtonienne de la nature et enfin déesse (de quoi remplir largement un curriculum). Par la suite elle engendre Ouranos, manifestation du ciel étoilé et double symétrique de la Terre-mère, qu'il couvre de son étreinte afin de donner naissance à une foultitude de créatures apparentées aux Géants (Cyclopes, Titans, Géants, et Géants aux 100 bras). Petit souci en cours de route : la trop grande proximité d'Ouranos empêche les enfants de Gaïa d'accéder à la lumière. Furieuse, cette dernière crée une faucille de métal blanc qu'elle remet dans son ventre à son dernier fils, "Cronos aux pensées fourbes", qui accepte de couper court (c'est le cas de le dire) à la fécondité désordonnée d'Ouranos, en le castrant. Après avoir accompli sa sinistre besogne (je vous passe les détails), Cronos jette le membre viril à la mer (de sa semence mélangée à l'écume marine naîtra Aphrodite, la déesse de l'amour).

Ouranos en s'éloignant de Gaïa lance alors une malédiction contre le fils criminel. Plusieurs gouttes de sang provenant de la blessure béante, tombent à terre pour se métamorphoser en trois entités personnifiant Eris (déesse de la discorde). Les Furies vengeresses sont nées ! Portants les noms d'Alecto, Tisiphoné et Mégère, elles avaient pour fonction (et je cite les paroles de J.P. Vernant, historien et anthropologue français) : "de garder le souvenir de l'affront qui a été fait pour des crimes commis contre les consanguins", elles "représentent la haine, la mémoire de la faute et l'exigence que le crime soit payé".

Harpie
Il y a des versions fort attrayantes (celle d'Amanda Kiefer par exemple).

Les Furies sont donc une sorte de trio appliquant une justice aveugle et peu miséricordieuse en l'absence d'une instance médiatrice. Il faudra attendre que Minerve apparaisse pour qu'une autorité judiciaire plus magnanime soit instaurée (fille de Jupiter et déesse de la sagesse, elle est née de façon bizarre variant selon les versions :

- Suite à une soirée arrosée, Jupiter est pris de migraines violentes au point de demander à son fils Vulcain de lui fendre le crâne. De son crâne béant sortira Minerve avec le set complet d'armure en sus.
- Jupiter aura une relation extra-conjugale avec une mortelle et cette dernière lui demandera de revêtir sa forme divine... Ne pouvant rompre une promesse il se montrera dans toute sa splendeur pour la voir brûler comme une torche, le suppliant de sauver l'enfant qu'elle portait en elle. Jupiter extirpera le foetus pour le planter dans sa cuisse et plusieurs mois plus tard , sera pris de migraines (l'expression "Se croire tout droit sorti de la cuisse de Jupiter" viens de là)...
- Fricotant avec une Océanide du nom de Métis, Jupiter est prévenu par Ouranos qu'un fils né de cette Océanide surpassera son père. Apprenant que Métis est enceinte, il avale aussitôt l'enfant à naître et se retrouve encore une fois avec la migraine en bonus).

 Le Crime d'Oreste :

Avant de parler D'Oreste, il me faudra commencer par le début et surtout fournir un petit résumé de la célèbre guerre de Troie  que tout le monde connaît (si pas, je déplore votre manque de culture et vais tenter de combler ce trou en 2 coups de cuillère à pot). Cette guerre a démarré suite à un "petit" incident diplomatique... Invité par le roi de Spartes, le prince Pâris de Troie, envouté par la beauté de la "belle Hélène" (chose qui reste à vérifier), décide de l'enlever en lui faisant du charme (la version mythique donne droit à une ceinture d'or qui rend irrésistible). Le roi de Spartes, Ménélas, trop occupé à la chasse, ne trouva qu'un mot ironique ("Qui va à la chasse, perds sa place") en guise d'accueil et, désireux de venger l'affront, il fera venir son frère Agamemnon ainsi que plusieurs fameux rois grecs (dont Ulysse et Ajax pour ne citer que quelques exemples), qui à leur tour amèneront une bonne armée, histoire de rosser le vil séducteur. La guerre se terminera après de longues années et les troyens se feront laminer. L'armée grecque victorieuse pensera donc à rentrer au bercail et c'est là que nous reprenons le fil de notre histoire...

Furie Harpie
Et d'autres beaucoup moins (l'artwork de Yasmin J. Foster l'illustre bien)...

Le retour de la guerre :

Agamemnon, le roi des rois, avait toutes les raisons d'être satisfait après la guerre de Troie : commandant en chef de l'armée grecque, il pouvait s'octroyer le mérite de la victoire ainsi que s'approprier une grande partie du butin trouvé dans la cité, sans oublier un bon nombre de prisonnières. Parmi elles, figurait la plus ravissante des filles du roi Priam, Cassandre (Apollon lui a accordé le don de prophétie mais ayant refusé ses avances, ce dernier fera en sorte que personne ne prenne jamais au sérieux ses prédictions). C'est donc en compagnie de Cassandre, ses troupes et son butin (autant dire un tête à tête romantique et calme), qu'Agamemnon s'embarquera sur l'un des cent navires de sa flotte, pour enfin rentrer dans son royaume de Mycènes. Heureux à la pensée d'y retrouver bientôt sa "délicieuse épouse", Clytemnestre, et les deux enfants qui leur restaient depuis la disparition d'Iphigénie : Electre, âgée de quinze ans et Oreste, âgé de dix.

Chose qu'il fallait savoir sur notre héros de guerre : il faisait partie d'une famille maudite, la famille des Atrides. Sa lignée remonterait à Tantale, l'ignoble cuisinier condamné au Tartare (Partie la plus profonde des enfers grecs où sont suppliciés les pires criminels pour l'éternité) pour avoir servi son fils, Pélops aux dieux venus goûter sa cuisine (je vous passe les autres membres de la lignée sinon nous sommes encore là demain)... Pour ne pas échapper à la règle familiale, Agamemnon lui-même avait dû sacrifier sa fille Iphigénie à Diane (protectrice de Pâris) pour permettre à la flotte grecque d'appareiller. Cela faisait bien longtemps qu'il ne pensait plus à ce léger "détail" mais une personne proche comme nous allons le voir bientôt, lui tenait une rancoeur tenace.

Durant les premiers jours de la traversée, Cassandre pleura toutes les larmes de son corps pour la destruction de son pays natal. Puis, sensible au prestige d'Agamemnon ainsi qu'à ses délicates attentions, elle commença à éprouver pour lui, sinon de l'amour, tout au moins une certaine affection. Elle lui révéla donc une funeste prophétie :

"- Ne retourne pas chez toi, lui dit-elle, c'est la mort qui t'y attends. Si, malgré mes avertissements, tu t'obstines à rentrer dans ton royaume, méfie-toi de ta femme Clytemnestre."

Leurré par ses dons de grand séducteur (et par son égo aussi sans doutes), ce dernier s'imagina que Cassandre faisait une petite crise de jalousie à l'encontre de sa femme, il fit donc la sourde oreille et poursuivit son voyage.

Avant de continuer, il faudra entre-temps dresser un peu le portrait de la femme d'Agamemnon.  Fille de Léda, Clytemnestre était la soeur jumelle de la "belle Hélène". Grande, distinguée, cheveux noirs de jais, peau d'albâtre et lèvres purpurines le charmant portrait s'arrête là vu qu'il me faut ajouter qu'elle possédait également un foutu caractère de cochon (acariâtre, autoritaire, agressive et jalouse, rien que ça !). Il n'est pas a préciser que les amis d'Agamemnon le plaignaient et se demandaient ce qui lui était passé par la tête pour épouser cette... Harpie.

Harpie
Illustration de Sandara.

Meurtre d'Agamemnon :

Clytemnestre avait donc un mobile valable pour vouloir transformer son mari en viande froide : elle ne lui avait jamais pardonné d'avoir fait venir sa fille sous un faux prétexte pour ensuite la sacrifier. La seconde raison par contre était beaucoup moins honorable... Peu de temps après le départ d'Agamemnon pour la guerre de Troie, elle avait pris un amant, en la personne du propre cousin germain d'Agamemnon (vous suivez toujours ?), un certain Egisthe. Pour cacher cette liaison, elle avait nommé Egisthe Premier ministre et lui avait en rab attribué un appartement au palais, histoire de pouvoir le voir quand elle voulait sans éveiller les soupçons (et discuter "stratégie".. Haem je m'égare là). Apprenant que son mari était victorieux et sur le chemin du retour, Clytemnestre et son amant résolurent de se débarrasser de l'époux gênant à la première occasion.

Enfin arrivé dans son royaume et après une traversée aisée, Agamemnon se retrouva face à son épouse qui lui fit d'abord hypocritement un bon accueil pour ensuite tirer une tête d'enterrement (les corbeaux et les éclairs sont compris dans le pack) à la vue de la belle Cassandre.

En suivant le plan qu'elle avait établi avec son amant Egisthe, elle propose à Agamemnon et à Cassandre de prendre un rafraîchissement. Par politesse, Cassandre accepte (ayant eu un funeste présage précisant de se méfier de Clytemnestre, j'aurais peut-être à sa place songé à boire à la méthode "médiévale", ou verser le contenu de la coupelle  discretos derrière une plante en pot) une coupe de vin empoisonné (je suppose que vous l'avez un peu deviné sans mon aide) alors qu'Agamemnon harassé par les rigueurs du voyage, désire surtout prendre un bain chaud pour se délasser. Cassandre reste dans le petit salon pour boire sa coupette de vin "épicé" pendant que Clytemnestre accompagne son mari dans la salle de bains. Il n'était pas dans la baignoire depuis plus de trois minutes qu'un râle d'agonie, poussé par Cassandre, parvient à ses oreilles.

"- Que se passe-t-il ? Demande-t-il avec inquiétude; je vais aller voir.

- Sèche-toi d'abord, lui conseille Clytemnestre, si tu ne veux pas attraper du mal."

Elle l'aide donc à enfiler une sorte de peignoir de bain plus proche de la camisole que du vêtement pratique et léger (au passage si comme lui vous attendez d'être présentable pendant que votre ami se fait massacrer à la hache dans la pièce à côté, rappelez-moi de ne jamais être compté dans votre cercle d'intimes...), ce qui prive Agamemnon de l'usage de ses bras. Elle en profite pour se saisir d'une hache qu'elle avait préalablement dissimulée dans un placard à linge (je suppose qu'elle en a fait de même dans chaque pièce pour être sûre d'anticiper les geste de son presque défunt mari) et frappe ce dernier avec sauvagerie sans lui laisser une chance de s'échapper. Egisthe, qui était caché dans une pièce voisine, entre à son tour dans la salle de bains et aide Clytemnestre à achever Agamemnon.

Attirés par ses cris, ses deux enfants, Electre et Oreste, galopent jusqu'à la salle de bains pour y découvrir leur père occis, leur mère et son amant en train de littéralement danser sur sa tombe (et couverts de sang pour rajouter de la tension dramatique au kilo). Terrorisée, Electre entraîne son frère. A juste titre car, le père mort, le jeune garçon est le seul héritier mâle qui se mettrait en travers de la route d'Egisthe pour obtenir la couronne royale. Elle sort donc du palais, confie son frère à un fidèle serviteur histoire de le mettre à l'abri chez un oncle (roi aussi) d'un pays voisin et enfin rentre au palais pour y voir sa mère en train d'annoncer aux membres de la maisonnée, le décès "accidentel" (et ô combien discret) d'Agamemnon et Cassandre.

Furies Harpies

La vengeance d'Oreste :

Pendant huit ans, Clytemnestre et Egisthe, débarrassés d'un mari encombrant savouraient les fruits de leur crime en toute impunité. Enfin presque... Ils avaient en effet continuellement sous les yeux la charmante personne d'Electre qui s'imposait assez bien dans le rôle d'accusatrice muette (mais obstinée), sans oublier qu'ils craignaient de voir revenir un jour Oreste, bien décidé à accomplir un matricide avec "beau-papa" comme prime de fin de contrat...

Justement que devenait Oreste ? Bien acceuilli par son oncle, ce dernier s'était lié d'une profonde amitié (je ne veux aucun sous-entendu de votre part sur ce sujet)  avec son cousin Pylade, du même âge que lui. Obnubilé par le meurtre de son père malgré les années qui s'écoulaient, ce dernier ne songeait qu'à accomplir sa vengeance. Cependant, il hésitait tout de même à supprimer sa mère. L'année de ses dix-huit ans, il alla consulter l'oracle de Delphes (oracle d'Apollon. Les oracles étaient censés être la bouche par laquelle les dieux exprimaient leurs volontés mais bien souvent les réponses étaient sybillines au possible), qui pour une fois donna une réponse claire :

"- Tue ces deux-là qui ont tué, rachète la mort par la mort, et le sang par le sang."

Accompagné de Pylade, Oreste se met en route pour Mycènes. Ils arrivent au palais de Clytemnestre à la nuit tombée et Oreste va se placer sous la fenêtre de sa soeur pour se faire reconnaître d'elle et lui communiquer son plan :

"- Va trouver notre mère et dis-lui que deux voyageurs sont à la porte du palais, chargés de lui annoncer la mort de son fils Oreste." 

Clytemnestre apprends la nouvelle de la mort de son fils avec un mélange de soulagement et de chagrin maternel. Désireuse d'en apprendre d'avantage sur ce qui a pu sceller son destin, elle ordonne de faire entrer les deux voyageurs. Ils entrent, les traits dissimulés dans les amples plis de leurs tuniques et lorsque les serviteurs se sont retirés, Oreste se dévoile lame au clair. Le visage fermé mais la main peu sûre, il fait face à la meurtrière de son père, sa propre mère.

Elle reconnaît son fils et devine ses intentions, elle se retient pourtant d'appeler les gardes, dégrafe sa tunique pour découvrir sa poitrine et, d'une voix émue, s'adresse à son fils :

"- Voici le sein qui t'a nourri; perce-le, si tu en as le courage."

Oreste hésite. Mais voilà que la porte s'ouvre et qu'Egisthe entre dans la chambre. En le voyant Oreste sent son sang bouillir dans ses veines, il ne songe plus qu'à venger la mort de son père, sans pitié il égorge Egisthe et poignarde sa mère. Avant de mourir cette dernière a le temps de murmurer :

"- Etrange chose que d'être mère; en dépit du mal qu'ils vous font, on ne peut haïr ses enfant."

Harpie

Le jugement de l'Aréopage :

N.B. : L'aréopage qui se traduit "colline d'Arès" est le lieu où l'institution juridique suprême de Grèce siégeait afin de juger les coupables (ou inculpés si vous préférez).

Le crime d'Oreste provoqua chez les hommes comme chez les dieux des avis divergents : si le fait d'avoir vengé le père était approuvé, le fait de supprimer sa mère l'était beaucoup moins (on ne peux pas satisfaire tout le monde).

Chez Jupiter, c'est la réprobation qui l'emporta, il décida donc de punir Oreste pour son crime. Il confia cette mission à trois divinités spéciales dans ce genre de travail, qu'on appelait les "Furies vengeresses" (il a fallu le temps pour qu'elles viennent sur le tapis non ?) Ces trois soeurs, que les grecs se représentaient comme des femmes aux yeux injectés de sang, à la bouche écumante et à la chevelure faites de serpents, pourchassaient les criminels désignés par Jupiter, les accablaient de remords et d'angoisses, ne leur laissant pas de répit jusqu'à ce qu'ils eussent sombré dans la folie ou le suicide...

Poursuivi sans relâche par les Furies, Oreste errait de pays en pays, de nation en nation, sans jamais pouvoir souffler ne fût-ce qu'un seul instant. Pris de pitié Apollon obtint de Jupiter qu'il convoquât le tribunal divin afin d'y faire comparaître Oreste, tout en lui donnant la possibilité de se défendre.

Composé des douze grands dieux de l'Olympe (plus haute montagne de Grèce où siègent les dieux) et nommé Aréopage (voir plus haut pour ceux qui lisent en diagonale), ce tribunal était situé à proximité d'Athènes. Dans ledit tribunal, un des dieux jouait le rôle de l'accusation publique et un autre tenait celui de l'avocat de la défense. Après le réquisitoire et la plaidoirie, le tribunal se devait de passer au vote. Chacun des membres (y compris le procureur et l'avocat) donnait son verdict par le biais d'une petite boule à déposer dans une urne. Si la sphère était noire, le membre ayant voté pensait l'accusé coupable, si la sphère était blanche cela faisait une lueur d'espoir de plus pour l'accusé.

Harpie
Harpie entouré de cristaux (par krhar).

Pour le procès d'Oreste, le sinistre Pluton (dieu des enfers un chouilla dépressif) fut désigné comme accusateur et Apollon comme avocat. Le réquisitoire fut bref :

"- Il ne faudrait pas, par un jugement indulgent, bannir toute crainte de la cité; car quel mortel reste juste s'il ne redoute rien ? Quels que puissent être ses motifs, un homme n'a pas le droit d'assassiner sa mère. Celui qui commet un tel crime est capable d'en commettre beaucoup d'autres. il ne s'amendera jamais. Pour le mettre hors d'état de nuire, il faut le condamner à la peine capitale. Quand au sort qui lui sera réservé après sa mort, ce n'est pas à nous d'en décider (en tant que dieu régissant les enfers, il est plutôt mal placé pour dire ça) : cette question relève de la compétence des trois juges des enfers, Minos, Eaque et Rhadamante (ils sont légèrement mentionnés dans l'article intitulé "Cerbère le gardien de la porte" que vous pouvez consulter. Mais, pour compléter l'info, il s'agissait de trois personnages qui ayant régné de manière juste à leur époque, sur trois états importants de la Grèce, s'étaient vus attribuer les rôles de juges infernaux par Pluton lui-même)."

Apollon lui, plaida certaines circonstances atténuantes. Souligna l'horreur du crime perpétré par Clytemnestre, rappela qu'Oreste avait été poussé a la vengeance par l'oracle de Delphe (qui pour le coup avait dû boire un coup de trop pour se planter sur la volonté des dieux...) et utilisa des arguments assez tordus :

"- Il est moins grave, assura-t-il, d'assassiner une mère, comme l'a fait Oreste, qu'un père, comme l'avait fait Clytemnestre. Car c'est un père qui joue le rôle essentiel dans la procréation (là, je sens qu'un procès du M.L.F. me pends au nez) : c'est de lui que vient le germe de l'enfant, la mère se contentant d'héberger le foetus pendant quelques mois. D'ailleurs, il est avéré qu'aucun des enfants ne peut naître sans père, alors qu'au contraire l'exemple de Minerve (voir plus haut dans l'article, sur les différentes versions de sa naissance), née directement du cerveau de Jupiter, montre qu'on peut parfaitement se passer d'une mère."

Une fois la plaidoirie achevée, on passa aux votes et au dépôt des boules.

Harpie
Illustration de Dave Allsop.

La coutume voulait que les quatre dieux de la première génération soient les premiers à voter. ils déposèrent quatre boules noires : Jupiter et Junon détestant toute forme de parricide, Pluton parce qu'il avait été convaincu par son propre réquisitoire et Neptune parce qu'il avait l'habitude de toujours suivre ses frères dans les décisions graves depuis la guerre contre les Géants (quel argument valable n'est-ce pas ?)...

Apollon (on s'en doutait un peu) déposa une boule blanche, Diane sa soeur qui le suivait en tout fit de même, Vulcain déposa une boule blanche (ayant été souvent fait cocu par son épouse Vénus, il ne supportait pas les femmes infidèles) et Cérès (déesse de l'agriculture, des moissons et de la fécondité) qui n'avait rien compris au procès mais trouvait qu'Oreste avait une bonne tête, déposa une boule blanche...

Le score étant de quatre voix partout c'était au tour de Mars de voter. Il n'aimait pas les longs discours :

"- La mort, sans phrases, dit-il simplement en déposant la boule noire."

Vénus vota également par une boule noire, pensant en son for intérieur que si l'on autorisait les fils à tuer leurs mères chaque fois qu'elles commettraient un adultère, la terre serait vite un hâvre de... haem, dépeuplée et bien triste.

Mercure, au contraire, déposa une boule blanche : déjà le dieu des voleurs il voulait peut-être prendre du grade en devenant également celui des assassins.

Il y avait maintenant dans l'urne six boules noires et cinq boules blanches, et seule Minerve n'avait pas encore voté. De tous les dieux c'était la seule qui durant tout le procès essayait de ne pas se laisser influencer par ses préjugés ou ses intérêts personnels : elle ne cherchait que la justice. Elle prit enfin la parole.

"- Oreste, dit-elle, a commis un crime affreux. Mais, poursuivi par le remords (et trois horreurs ailées), il a déjà expié. Pour lui donner une chance de se racheter par une vie honorable, je dépose dans l'urne une boule blanche. Dès lors, puisqu'il n'y a pas de majorité pour le condamné, Oreste doit être acquitté."

Depuis ce jour, dans tous les tribunaux de Grèce, il fut établi comme un principe fondamental que l'égalité des suffrages profiterait toujours à l'accusé.

Harpie
N'oubliez pas qu'il n'existe aucune version masculine attestée chez les Harpies (création de Lindsay).

Second Crime d'Oreste :

Il faut mentionner qu'Oreste n'en restera pas à son crime initial (les versions changeant et se contredisant suivant les auteurs, je serais bref sur ce point pour passer à la partie finale de cet article, je vous ai déjà "assez" fait souffrir les neurones sans en plus vous imposer un épisode de "Dallas" en toge...), par amour pour sa cousine Hermione (pas celle d'un certain sorcier aimant jouer avec sa baguette magique), il supprimera son principal rival : Pyrrhus, le fils d'Achille (héros de la guerre de Troie plongé à sa naissance dans les eaux du Styx pour le rendre invulnérable, sauf au talon endroit que sa mère tenait pour l'envoyer à son bain forcé) qu'Hermione aimait passionnément alors qu'elle lui avait commandé de zigouiller Andromanque (qui elle est amoureuse d'Achille qui lui est mort... Quand je vous disait que ça valait "Amour, Gloire et Beauté"...).

Oreste assassina donc Pyrrhus lâchement alors que ce dernier participait à une cérémonie en l'honneur d'Apollon. On pourrait croire que le tribunal divin allait punir plus gravement ce second crime, que nenni ! Jupiter demanda aux Furies de pourchasser à nouveau Oreste, ces dernières refusèrent tout net prétextant qu'elles ne voulaient pas se faire désavouer par le tribunal une seconde fois... Le tribunal quand à lui, ne voulant pas reconnaître une "éventuelle" erreur d'appréciation, préféra faire comme si de rien n'était. Oreste pouvait donc continuer son chemin sans être inquiété. Il monta donc sur les trônes d'Argos et de Mycènes, auxquels il avait droit par sa naissance; il obtint alors de Ménélas (notre roi cocu qui avait perdu et retrouvé la "belle Hélène") la main d'Hermione (qui rappelez-vous, a tenté de se servir de lui pour éliminer sa "concurrente" entre elle et Pyrrhus) et, à la mort de Ménélas, comme ce dernier n'avait pas d'héritier mâle, c'est Oreste qui hérita aussi du royaume de Spartes (niveau morale pour le coup c'est moyen...).

Quelques jours après le meurtre de Pyrrhus, Pluton avait croisé Minerve au détour d'un couloir de l'Olympe. Ironiquement ce dernier ne manqua pas de lui rappeler les commentaires dont elle avait accompagné sa boule blanche lors du procès d'Oreste :

"- Il me semble encore t'entendre dire qu'Oreste n'était pas foncièrement coupable et qu'il fallait lui laisser une chance de s'amender.

- Je ne regrette pas mon vote, lui répondit Minerve. Je préfère acquitter dix fois un coupable que de condamner une seule fois un innocent."

Harpie

Sur cette remarque cinglante se termine la deuxième partie (vous pouvez souffler avant le final).

3) Les Erinyes, ou la culpabilité du fils :

Pour les plus observateurs d'entre-vous (que je félicite au passage), vous avez pu remarquer que les Furies appartiennent à la mythologie romaine tandis que les Erinyes sont la propriété des grecs. Il sera donc plus fiable pour ce qui est des sources de se fier aux grecs (vous savez bien que les poètes et écrivains de la Rome antique se sont largement inspirés des écrits grecs qui eux avaient parfois plusieurs siècles et des poussières de vécu derrière eux).  Pour Servius, (voir première partie de l'article) les Erinyes étaient des Furies aux enfers, des Harpies sur la terre, et des démons (Dirae) au ciel. Nous n'allons pas nous chicaner avec lui sur ce point de vue qui s'oppose à ce que je viens de décortiquer devant vos yeux, mais plutôt entamer la dernière histoire avant la conclusion : une variante grecque du mythe de création du monde (et des Erinyes aussi) qui débouchera sur la terrible bataille entre les dieux et les Titans ! Sans plus de chichis entamons le drame qui va se rejouer sous nos yeux.

Erinyes Harpie
Cette illustration pourrait plus ou moins représenter une Erinyes.

Naissance du monde et ascension de Cronos :

Le roi des sept Titans (l'auteur semble laisser dire qu'il existait déjà des Titans avant la fécondation entre Gaïa et son monstrueux partenaire) s'appelait Ouranos. En ces temps reculés, il choisit la terre pour s'en faire un jardin. Il la cultiva jusqu'à ce que les déserts arides et les montagnes rocailleuses se couvrent de vert et d'or en un printemps perpétuel. Ouranos féconda alors la Terre-Mère (Gaïa), qui donna naissance à une deuxième génération de Titans. Ceux-là étaient aussi rudes et aussi grossiers que les rochers dont ils étaient issus. Parmi-eux se trouvaient les Cyclopes, qui n'avaient qu'un oeil et les Géants aux cent mains, des monstres chtoniens qui dans le silence de la nuit faisaient penser à des escarpements abrupts. Orgeuilleux et brutaux, ils se révoltèrent contre leur père.

N'ayant pas la puissance de leur paternel, ils furent mis en échec et Ouranos les précipita dans un gouffre effroyable répondant au doux nom de Tartare. Ils chutèrent durant neuf jours et neuf nuits pour ne laisser derrière-eux qu'un écho de leurs cris de rage et de frustration.

Ouranos ne put s'empêcher de sourire. Désormais rien sur la terre comme au cieux (ça sonne comme une parabole miteuse j'en conviens), ne pouvait plus s'opposer à lui. Sûr de sa victoire il ferma un court instant les yeux pour finir par sombrer dans un sommeil profond peuplé de rêves passionnés et charnels.

Cronos profita du court moment de relâchement de son paternel pour l'égorger avec une faucille de pierre. L'agonie d'Ouranos fut largement couverte par le cri de triomphe d'un Cronos, déjà sûr d'avoir gagné un royaume d'un simple geste. Les portes et les couloirs de la demeure des Titans s'emplirent de rires et chants lorsque Cronos fut porté en triomphe par ses frères et acclamé comme nouveau souverain, plus terrible encore que le précédent ! Les Titans s'empressèrent ensuite de déchiqueter le corps du roi déchu en morceaux épars afin de le jeter dans les flots obscurs. La mer accepta cette offrande sanglante et Ouranos disparut de l'histoire.

Mais l'océan ne pouvait masquer entièrement l'horrible crime perpétré. A l'insu de tous, trois gouttes de sang provenant de la blessure mortelle étaient tombées sur la terre et, à cet endroit, trois effroyables créatures jaillirent silencieusement du sol. Sans un geste, sans un bruit, elles restèrent un moment figées dans l'ombre de la demeure titanesque, où l'on aurait pu les prendre pour des arbres rabougris ou même des arbustes au feuillage noir et lisse. Mais, un mouvement vint à se produire dans ce qui aurait pu être leurs branches supérieures, comme si une brise légère les ébouriffaient : c'était des nids de serpents qui sifflaient et se tordaient en émergeant de la tête ombreuse de ces créatures arbustes. Et, tout à coup, en un accord parfait, les créatures bougèrent. Le "feuillage" noir se déploya en de larges ailes membraneuses, qui battirent l'air plusieurs fois afin de permettre aux créatures de prendre leur essor. Pendant un long moment, elles tournoyèrent autour de la bâtisse, elle ne faisaient que reconnaître les lieux. Elles disparurent dans les cieux une fois leur tâche accomplie. Il s'agissait des Erinyes, dont la mission est de venger les pères assassinés par leurs fils.

Erinyes Harpie
Une Erinyes par Raveneau Pierre.

Cronos qui avait déjà pris ses marques dans sa nouvelle demeure, dormait dans le lit de son père en compagnie de Rhéa sa soeur-épouse (le nombre de partenaires étant fort limité il fallait bien faire avec ce qu'on avait sous la main). Il y faisait de doux rêves, qui le berçaient telle une brume vaporeuse qui l'enveloppait petit à petit dans son étreinte. Mais brusquement, il s'éveilla, comme si la brume onirique venait de s'évanouir en un bref instant pour céder sa place à une aura d'inquiétude lourde et menaçante... Il scruta la pièce mais, ne voyant rien surgir à l'horizon, il ferma de nouveau les yeux pour se rendre compte que son inquiétude ne faisait que croître. Quelque chose semblait être là, planant dans l'air, un bruissement, une odeur de serpent. Il se tourna sur le dos et observa le plafond. Rien. Néanmoins, quelques gouttes d'humidité tombèrent sur son visage. Elle brûlaient comme un puissant venin, et il poussa un cri de terreur mêlé de dégoût. Cette nuit-là il ne parvint à se rendormir.

Les Erinyes revinrent la nuit suivante. Elles contemplèrent le monarque dans son sommeil. Puis, elles s'insinuèrent de nouveau dans ses rêves pour lui chuchoter que, tout comme son père, il serait anéanti par son propre fils. Elles s'envolèrent à l'aube, mais laissèrent derrière elles les traces de leur ombre. Elles reviendraient.

Nuit après nuit, Les Erinyes rendirent visite à Cronos. Son royaume onirique finit par se détériorer un peu plus à chacune de leur visite, harcelé par les menaces et les persiflages des Erinyes il commença peu à peu à sombrer dans la folie. Rien ne le réconfortait, ni son trône, ni sa reine. Tout était balayé par la terreur nocturne des Erinyes et la menace du fils à venir. Désespérément, il enlaçait son épouse, puis avec un sanglot d'épouvante, la rejetait loin de lui en se rappelant que c'était de sa plus grande consolation que viendrait son plus grand malheur.

 Pourtant il ne pouvait se passer d'elle et, finalement, elle lui donna un enfant. Lorsqu'elle lui apporta fièrement le nourrisson emmailloté, la funeste prédiction des Erinyes retentit dans sa tête comme un coup de tonnerre. Ses mains se mirent à trembler et la folie s'empara de nouveau de son esprit. Il prit l'enfant (presque tendrement) des bras de la reine et l'enfourna, tout vif, dans sa gigantesque bouche. Puis il se mit à rire de s'être si facilement joué des Erinyes.

Erinyes Harpie
Illustration originale de Lyle Moore.

Il se prépara d'ailleurs à les accueillir la nuit suivante, en se cachant dans l'ombre de sa chambre. Mais, peine perdue pour notre roi fou, il eut beau frapper de toutes ses forces, il ne rencontrait à chaque fois que la dureté des murs de la pièce. Elles s'envolèrent d'ailleurs comme de coutume lorsque l'aube pointa son nez... Le roi ne cessa pas de ricaner pour autant : tôt ou tard, il détruirait ses persécutrices, tout comme il avait dévoré son enfant. Il se décida d'ailleurs à modifier un brin la déco de ses appartements pour opter pour des garnitures de lances, poignards et flèches (très à la mode cette année dans le catalogue Ikéa). Mais pour encore une fois contempler non sans une touche de désespoir, ses bourreaux s'envoler vers l'aube naissant.

Et puis Rhéa porta une nouvel enfant qui ne tarda pas à rejoindre le précédant dans le ventre de leur cruel géniteur. Cronos régnerait éternellement ! Par la suite le Titan fou avala encore d'autres enfants. Pourtant, chaque fois, c'était presque avec amour qu'il les prenait des bras de leur mère, si bien que l'espoir décuplait l'angoisse de Rhéa (l'espoir de voir son mari ne plus avoir de fringale étant passablement navrant). Et, finalement, elle donna le jour à un fils qu'elle ne pouvait se résoudre à perdre. Brillant comme l'astre de jour, si beau que lorsqu'il sourit le coeur de Rhéa saigna.

La peur de perdre cet enfant prima sur sa propre survie et elle cacha le bébé sous les draps de sa couche puis, fouilla désespérément la pièce du regard, dans l'espoir de trouver quelque chose qui pourrait épargner son petit. Elle s'arrêta sur une pierre qui servait à maintenir la porte ouverte durant les heures chaudes de la journée. Cette pierre était de la même taille que le nouveau-né. Rhéa la prit, l'emmaillota hâtivement dans les langes.

A cet instant, une ombre imposante obscurcit la chambre, Cronos était là, pour son fils... Rhéa par réflexe serra la pierre contre son coeur pour la voir un instant plus tard suivre le même destin que la plupart de ses enfants. Après le départ de son époux, elle scruta les draps pour y retrouver le bébé sain et sauf. L'enfant Zeus pouvait mettre en branle la prophétie des Erinyes.

Erinyes Harpie
Création de Filip Acovic.

La guerre des dieux :

Le temps s'écoula, Zeus passa toute sa jeunesse sur le mont Ida où les Nymphes (entités féminines de la nature, d'une beauté aveuglante, vous pouvez toujours lire l'article : "Dryades et Hammadryades" qui est une variante de cet Elémentaire sylvestre) prirent soin de lui, le cachant aux yeux de son géniteur. Cronos, lui, était toujours hanté par le meurtre du vieil Ouranos. Il revoyait sans cesse la scène du crime, la faucille tranchant le fil de vie de son géniteur. Son cerveau malade ne cessait de lui repasser cet instant jusqu'à ce qu'il se réveille tremblant et hurlant dans la nuit, environné par le bruit d'ailes et l'odeur ophidienne des Erinyes qui veillaient sur lui à leur manière...

Elles continuaient chaque soir leur petit harcèlement pour repartir aussitôt l'aube venue, mais ces derniers temps, elles ne cessaient de répéter les mêmes mots :

"- La vengeance est proche, elle frappera bientôt... bientôt... bientôt..."

Le roi fou se leva de sa couche en titubant et observa de la fenêtre de son palais, le monde qui s'éveillait sous les doigts de l'astre de jour. Craintivement il observa soigneusement chaque vallon, colline, ravin afin de voir si la menace des Erinyes n'allait pas apparaître sous ses yeux sous les traits d'un monstre effroyable. Un miroitement dans les frondaisons du mont Ida attira son regard. Ce n'était qu'une lueur fugace qu'il avait entr'aperçu de temps à autre au fil des ans mais cette lueur était d'une intensité telle, que sa propre grandeur semblait être éclipsée, les rares moments ou cette dernière baignait les alentours de sa lumineuse aura. Pire, il se sentait menacé pour une raison qui lui échappait. Il appela la garde et leur ordonna de fouiller la montagne et d'y tuer quiconque s'y trouvait. les gardes partirent et Cronos se mordit les lèvres jusqu'à leur retour. Et...

Erinyes Harpie

 A suivre...

Eeeet non je ne me met pas à vous faire le coup des suites multiples histoire de vous tenir en haleine (ma mesquinerie de vous tartiner des pages entières de texte suffit déjà amplement à vous faire tourner la tête). Il s'agit simplement du fait que la suite de l'histoire ne concerne plus les Erinyes. Je réserverais donc la prochaine partie pour un futur article, sur un tout autre genre de créature mythique. Ne vous attendez pas cependant à ce que ce soit le suivant... Cet article m'a demandé un temps énorme de préparation, recherches et j'en passe, donc j'ai envie de faire quelque chose de différent pour "souffler un peu".

Harpie
Cet artwork d'Emily C. Martin illustre parfaitement mon état...

Idraemir