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mardi 6 septembre 2016

Yamata-no-Orochi, le Dragon octocéphale - Partie 1 - Création du Monde et bannissement

Assis en tailleur au bord de la rivière, sa fidèle épée "Ame-no-Habakiri" posée sur les genoux, Susanoo, le Kami des Tempêtes, profite d'un dernier moment de quiétude avant la terrible bataille qui s'annonce.

Yamata no Orochi
Un paysage rayonnant créé par David Paget.

Vêtu d'un kimono d'une blancheur étincelante, arborant une barbe et des cheveux longs d'un noir de jais, le jeune frère d'Amaterasu semble perdu dans ses pensées, tout occupé à triturer machinalement le petit peigne aux multiples dents fiché dans son abondante chevelure.

À première vue, on pourrait croire que l'auguste Supérieur est en train de méditer... ou pire, de s'assoupir, mais sa posture droite, comme s'il allait bondir d'un instant à l'autre, prouve qu'il n'en est rien.

Faisant face à une large palissade formée d'épais rondins et percée de huit ouvertures, Susanoo était à l'écoute du moindre bruit venant de cette direction. Au début, il ne percevait que le vent jouant dans les feuilles et le glougloutement paresseux de la rivière mais, en tendant l'oreille, il perçut un nouveau son : une sorte de sifflement sourd accompagné d'un bruit pareil à un éboulement.

Ouvrant brusquement les yeux et se redressant, le Kami s'abrita rapidement dans la tranchée - camouflée avec des branches et des feuilles - qu'il avait creusée il y a quelques heures de cela et il guetta l'arrivée de son adversaire.

Il n'était pas facile de distinguer grand chose à travers les trous de son abri de feuillage, mais le vacarme qui allait s'amplifiant signalait la présence de la bête.

Passé un moment d'attente insoutenable, le tintamarre se calma, aussitôt remplacé par un écœurant bruit de déglutition produit par de multiples gorges.

Curieux, Susanoo s'extirpa précautionneusement de son abri de fortune et rampa en direction de la palissade.

Ce qu'il découvrit lui glaça le sang mais, galvanisé par la promesse d'avoir bientôt une ravissante épouse, il brandit son épée et chargea, aussi vif que les tempêtes qu'il incarnait, l'énorme et squameuse chose vautrée sur la barricade était saoule comme une barrique...

Yamata no Orochi
Autre paysage illustré par Wildweasel339.

Le Japon a toujours fasciné par ses légendes emplies de Fantômes, Spectres et autres Yokaï, mais également pour ses mythes peuplés de divinités liées à la Nature.

Malheureusement, ces fascinants récits ne nous parviennent la plupart du temps que de manière tronquée, rafistolée ou édulcorée. Lorsque la chance nous fait tomber sur des textes complets, ces derniers ne seront rien de plus qu'un charabia incompréhensible pour l'occidental n'étant pas familier avec la culture du pays du Soleil Levant (rassurez-vous, je me ferai - comme toujours - une joie de vous expliquer en détail la signification des termes et traditions qui jalonneront ce texte).

Je vous propose donc cette fois de découvrir une grande portion du mythe fondateur japonais et plus particulièrement la bataille qui a opposé Susanoo à l'Octuple Serpent, appelé plus couramment : Yamata-no-Orochi.

Informations complémentaires :

- Ame-no-Habakiri (littéralement "Tueuse de Serpent") est l'arme que Susanoo a employée pour combattre Yamata-no-Orochi.

L'objet en question est une arme de type Tsurugi : une épée (souvent courte) à lame droite, à double tranchant et employée durant l'Âge de Bronze japonais (vers -3000).

Contrairement à la croyance populaire, les japonais n'ont pas toujours manié des lames courbes à un tranchant (Katana). le premier modèle - à la fois souple et résistant -, appelé Kotô aurait été forgé vers l'an 950.

- Susanoo est le Kami des tempêtes et le frère de la déesse du Soleil Amaterasu. Étant donné que ces deux divinités de la religion Shintoïste ont un rôle de premier plan à jouer dans les mythes que nous allons décortiquer, je propose aux impatients qui souhaitent en savoir plus à leur sujet de consulter le chapitre intitulé "Amaterasu et sa descendance" (dernier chapitre de cette partie) et
"Susanoo le Kami des Tempêtes" (l'avant dernier chapitre de la troisième partie).

- Les Yokai font partie intégrante du folklore japonais. Le terme "yokai" fait référence à tout ce qui est étrange, qui sort de l'ordinaire et regroupe des centaines de créatures qui peuplent les coins et recoins du Japon. Fantômes, monstres, divinités mineures, Démons, objets doués d'une âme, ... Les seuls êtres à exclure de la liste sont les dieux des religions principales pratiquées au Pays du Soleil Levant (le Shintoïsme et le Bouddhisme).

Arbre généalogique et chronologie :

En lisant les chapitres qui vont suivre, vous comprendrez vite que la mythologie shintoïste est vaste et fort complexe. Selon les dires, il existe tout de même près de huit millions de Kami !

Pour vous y retrouver dans ce... fatras folklorique, il vous suffira d'aller consulter l'arbre généalogique de ce chapitre où apparaîtront une partie des Kami les plus importants, des premiers Esprits jusqu'au premier Empereur. En guise de supplément, vous trouverez également un court résumé des domaines de compétences et exploits de certains d'entre-eux.

Kami genealogy
Généalogie des Kami. Vous trouverez une version plus lisible de ce document en vous rendant au lien suivant.

En sus des mythes et du folklore, il me faudra parler de l'histoire du Japon, de certains évènements majeurs, de personnages marquants, ... Bref, d'une multitude d'éléments qui se sont produits ou sont apparus à diverses périodes. La ligne du temps qui va suivre commence en -660, (période supposée où le mythique Empereur Jinmu Tenno a fondé la dynastie impériale du Japon) et se termine en 2000 et quelque. Vous trouverez dans cette chronologie les principales périodes historiques du Pays du Soleil Levant ainsi qu'une datation et description des événements majeurs liés aux Shintoïsme et aux Trois Trésors de la Famille Impériale.

N'allez pas croire que l'histoire du Japon débute en - 660. On situe le début de sa Préhistoire à - 50 000 et - 30 000 ans.

Chronology of Japan
Chronologie du Japon. N'hésitez pas à cliquer sur l'image pour la voir en format plus lisible (ou rendez-vous directement au lien suivant pour un format plus large).

N'hésitez pas à vous reporter à ce chapitre lorsque vous serez perdu dans l'amas de données qui parsèment les textes qui vont suivre. Pour démarrer en douceur, je vous propose un court récit avec...

Du conte au mythe :

Le chapitre suivant est la traduction (faite par mes soins) d'un "conte" japonais. Je mets le terme conte entre guillemets pour la simple et bonne raison qu'il s'agit d'un épisode clé de la mythologie japonaise grandement simplifié et édulcoré.

Yamata no Orochi
Morceau de l'illustration de couverture du conte intitulé "Yamata No Orochi" (dessin réalisé par Eitaku Sensei).

Le texte était rédigé à l'origine en anglais et certains termes et noms ont été adaptés pour un jeune public occidental. Donc, ne vous étonnez pas si certains termes semblent hors-sujet (je me suis au passage permis de rajouter quelques commentaires personnels entre "{}").

Ce conte a donc pour but de vous introduire en douceur aux mythes et légendes japonais, pour pouvoir, par la suite, vous servir des extraits plus complexes et complets dans les chapitres suivants.

Mais trêve de discours et place au récit...

Le Serpent aux Huit Têtes :

Avez-vous déjà entendu l'histoire du Serpent aux Huit Têtes ? Si ce n'est le cas, je vais sans plus tarder vous la raconter. Il s'agit d'une histoire plutôt longue. Nous devrons donc faire un long retour en arrière pour en arriver à son commencement.

En fait, nous devrons revenir au commencement du monde.

Après que le monde ait été créé, il devint la demeure d'une très puissante Fée {il s'agit bien entendu d'un Kami} ; et lorsque ce Fétaud {Fée de sexe masculin} fut sur le point de mourir, il le partagea entre ses deux garçons et sa fille.

Le fille appelée Ama {Amaterasu}, se vit offrir le Soleil ; le plus âgé des garçons, appelé Susano {Susanoo ou Susanowo}, hérita de la mer ; et le second garçon, dont j'ai oublié le nom {Tsukuyomi}, reçut la Lune. Heureux, le Garçon-Lune n'avait de cesse de montrer, par nuit claire, sa jolie frimousse rondouillarde, chaque fois que la Lune était pleine. Mais Susano, furieux et déçu de n'avoir rien d'autre pour demeure que la froide et humide mer, se précipita dans les cieux, s'écrasa dans la pièce magnifique - dans le Soleil - où sa sœur, accompagnée de ses dames de compagnie tissaient des robes d'or et d'argent. Il brisa leurs fuseaux, piétina leur travail, et, en bref, fit toutes les pires bêtises possibles, ce qui effraya au plus haut point l'assemblée de jeunes filles. Quand à Ama, elle s'enfuit à toutes jambes, et se cacha dans une grotte, située sur le flanc d'une montagne encombrée de rochers.

À l'instant où elle pénétra dans la caverne et en ferma l'accès, le monde entier sombra dans les ténèbres. Elle était la Fée qui régnait sur le Soleil pouvant le faire briller ou s'obscurcir à volonté. En fait, certains prétendent que la lumière du Soleil n'est rien d'autre que l'éclat qui émane de ses propres yeux. Quoi qu'il en soit, la disparition d'Ama provoqua de grands troubles. Que fallait-il faire pour que le monde s'éclaire à nouveau ?

Toutes sortes de plans furent tentés. Finalement, sachant qu'Ama était curieuse et qu'elle voulait toujours savoir ce qui se passait autour d'elle, les autres Fées se mirent à danser ensemble juste devant le rocher qui obstruait la caverne.

Quand Ama entendit le bruit provoqué par les danses, les rires et les chants, elle entrouvrit légèrement la "porte" de son repaire pour voir ce qui amusait tant les autres Fées. C'était le moment propice qu'attendaient ces derniers.

"Regarde ici !" crièrent-ils ; "Regarde cette nouvelle Fée, encore plus éclatante que toi !" ils poussèrent alors vers elle un miroir. Ama ne pouvait deviner que le visage dans le miroir n'était que son propre reflet. De plus en plus curieuse de savoir qui pouvait être cette nouvelle Fée, elle se risqua hors de sa cachette, pour aussitôt être capturée par les autres Fées, qui bouchèrent l'entrée de la grotte, avec d'énormes rochers, pour empêcher quiconque de s'y rendre à nouveau. Voyant qu'elle avait été forcée de sortir de sa cachette, et qu'il était inutile de bouder plus longtemps, Ama accepta de revenir dans le Soleil pour illuminer le monde comme autrefois, à la seule condition que son frère soit puni et banni dans le déshonneur ; car vraiment il n'était pas sûr de vivre avec lui. Aussitôt dit, aussitôt fait. Susa fut violemment battu par ses pairs, banni de leur société, avec l'ordre de ne plus jamais revenir.

Alors, le pauvre Susa, expulsé du Royaume des Fées {"Fairy-Land"}, fut obligé de descendre sur la Terre.

Un beau jour, alors qu'il marchait sur le bord de la rivière, il tomba tout à coup sur un vieil homme, son épouse et leur jeune fille {Kusinada-hime}, pleurant amèrement sur leur sort.

"Quel est le problème ?" demanda Susa. "Oh !" répondirent-ils de leurs voix étranglées par les sanglots, "nous avions autrefois huit filles. Mais, dans un marais, proche de notre hutte, vit un énorme Serpent à Huit Têtes, qui, chaque année, sort de sa tanière et dévore l'une de nos enfants. Il ne nous reste plus qu'une fille, et aujourd'hui sera le jour où le Serpent viendra la dévorer et où nous perdrons notre dernière enfant. S'il vous plaît bon Seigneur ! Pourriez-vous faire quelque chose pour nous aider ?" - "Bien-sûr," répondit Susa ; "ce sera une tâche facile. Séchez vos larmes dès maintenant. Je suis un Fétaud et je vais sauver votre fille."

Il leur demanda alors de brasser de la bière {du saké}, et leur montra comment fabriquer une palissade dotée de huit portes, avec, à l'intérieur, huit estrades de bois, supportant huit cuves emplies de bière. Ils s'exécutèrent, et quand tout fut arrangé à sa convenance, Susa leur demanda d'aller se cacher, car le Serpent approchait.

Yamata no Orochi
Yamata-no-Orochi en train de se saouler (illustration d'Eitaku Sensei tirée du même ouvrage)...

Il était si énorme que son corps traînait sur huit vallées et huit collines qu'il arpentait paresseusement. Vu que ses huit têtes étaient pourvues de huit nez, il était capable de sentir la plus infime odeur huit fois plus vite que tout autre créature. Reniflant de loin la délicieuse odeur de bière, il glissa rapidement dans sa direction, se rapprocha de la palissade, plongea ses huit têtes dans les huit cuves et avala goulument le liquide jusqu'à être fin saoul. Alors, toutes ses têtes sombrèrent dans un profond sommeil. Susa, bondissant du trou où il s'était caché, dégaina son épée trancha toutes les têtes. Pour achever la bête, il se chargea également de tailler son corps en pièces. Étrangement, lorsqu'il tenta de sectionner la queue, la lame de son épée se brisa. Elle avait heurté quelque chose de dur. Sachant que le Serpent était mort - et qu'il ne représentait plus aucun danger pour qui que ce soit -, Susa s'approcha de la carcasse afin de découvrir ce qui avait brisé sa lame. Le fameux objet se révéla être une splendide épée, couverte de pierres précieuses {Kusanagi}. Enchanté, Susa prit l'arme et épousa la belle jeune fille. Il se révéla être un parfait époux alors qu'il avait été un piètre frère. Les mariés passèrent le reste de leur vie dans un palais magnifique, où ils vécurent avec les vieux parents de la jeune fille.

Susanoo and Kushinada-hime
Dernière illustration d'Eitaku Sensei (on peut voir Susanoo à droite, son épouse Kushinada-hime à ses côtés, les beaux parents au centre de l'image et une servante sur la gauche).

Lorsque le vénérable père, la vénérable mère, Susa et sa compagne moururent, l'épée fut transmise à leurs enfants et petits enfants. De nos jours, elle appartient à l'Empereur du Japon, qui veille sur elle comme sur son plus précieux trésor.

"Yamata No Orochi" a été traduit par Basil Hall Chamberlain (en anglais), illustré par Eitaku Sensei et publié pour la première fois par l'éditeur Hasegawa Takejiro, en 1886.

Informations complémentaires :

- Féetaud ou Fétaud est le terme employé quelquefois pour désigner les Fées de sexe masculin.

- Bail Hall Chamberlain (1850 - 1935) était un écrivain britannique et un "conseiller étranger" au Japon. Il est connu pour être le premier à avoir traduit en anglais le Kojiki (dont nous parlerons au chapitre qui va suivre) et présenté une encyclopédie du Japon appelée : "Things Japanese" (publiée en 1890).

Il quitta le Japon en 1911 et s'installa à Genève (Suisse) pour s'éteindre à l'âge de 84 ans.

- Hasegawa Takejiro (1853 - 1938) était un éditeur japonais spécialisé dans la publication d'ouvrages rédigés en langues européennes et traitant de sujets propres au Japon.

Dans la liste des livres publiés, on peut citer sa série consacrée aux contes japonais dont "Yamata No Orochi" est le neuvième.

Kami et Shintoïsme :

La première chose qui vous a probablement frappé lorsque vous avez lu le conte de "Yamata No Orochi" était probablement l'apparition massive de Fées dans le récit...

En Elficologie, on emploie couramment le terme "fée" pour désigner toutes les créatures fantastiques liées à la Nature et aux éléments qui peuplent nos contrées. Malheureusement, le nom en lui-même est trop souvent associé au cliché romantique où la Fée est dépeinte comme un petit être féminin et délicat doté d'ailes de libellule. On peut difficilement qualifier le Kelpie irlandais ou le Redcap écossais de Fée...

Dans le récit précédent, Chamberlain a voulu trouver un nom qui évoquant la notion de merveilleux aux lecteurs occidentaux. Par facilité, il a probablement jeté son dévolu sur les Fées, qu'on associe de suite aux contes du même nom...

Mais si le nom ne colle pas, comment faut-il alors appeler ces êtres ?

Kami (au singulier comme au pluriel, le terme ne prenant pas d' "s", mais, s'il est vraiment nécessaire de faire appel au pluriel, on peut employer le mot : "Kami-gami"), tout simplement. Et là, je sens poindre une autre question : qu'est-ce qu'un Kami ?

Un Kami - littéralement "dieu" ou "divinité" (bien que sa traduction originelle signifiait : "au-dessus" ou "en haut") - est une déité ou un Esprit de la mythologie japonaise Shintoïste. Cependant, certains érudits Shinto ont démontré que cette traduction est inexacte et peut prêter à confusion. Si certains Kami sont des divinités à part entière, d'autres, incarnent des concepts plus abstraits ou plus diffus (des Esprits Élémentaires ou des forces de la Nature, par exemple). Certains héros ou ancêtres (de la famille impériale, de la noblesse ou même du peuple) peuvent également devenir des Kami. On peut donc considérer les Kami comme des Esprits de la Nature, des Élémentaires ou des dieux... mais certainement pas des Fées.

Yamata no Orochi
Illustration de Chris Ostrowski.

D'ailleurs, tout comme les Élémentaires, les Kami font partie de la Nature. À l'image de celle-ci, ils peuvent se montrer d'une générosité sans bornes et parfois châtier ceux qui ont le malheur de leur déplaire.

Tenter de déterminer le nombre exact de Kami serait une tâche aussi complexe que de vouloir compter les grains de sable qui composent une plage... La mythologie Shinto précise à ce sujet qu'il existe près de huit millions de Kami (le chiffre huit est employé pour symboliser le multiplicité - en grand nombre).

Maintenant que nous savons mieux ce qu'est un Kami, il est temps de répondre à la seconde question de ce chapitre : qu'est-ce que le Shintoïsme ?

Sans trop entrer dans les détails, le Shintoïsme ("Shintô" signifiant " la voie des dieux" ou "la voie du divin") est la plus ancienne religion du Japon qui mêle le Polythéisme (plusieurs dieux) à l'Animisme (culte des Esprits).

Le Shintoïsme est donc fort axé sur le respect de la Nature, du monde qui nous entoure, sans oublier la pléthore de Kami qui en font partie intégrante.

Pour honorer ces vénérables Esprits, les Japonais peuvent se rendre dans des sanctuaires Shintô (qui sont à la fois des lieux de dévotion et de réjouissance) où il est possible de déposer des offrandes (nourriture alcool, argent, ...) sur un autel prévu à cet effet.

Les profondeurs de ces temples abritent une relique (inaccessibles au public) censée représenter le Kami au sanctuaire qui lui est dédié.

En sus des dévotions aux temples, on pratique - en certaines occasions - de nombreuses autres activités afin de plaire aux Esprits : la danse (notamment les danses Shintô, en l'honneur de la Megami : Ame-no-Uzume, celle qui a ramené la lumière solaire par ses danses), le théâtre (le, Kyôgen, Kabuki, ...), la lutte sumo, le tir à l'arc (ou Kyudo, "la voie de l'arc"), les courses à cheval, ...

En matière d'écrits liés au Shintoïsme, deux ouvrages sont à retenir : le Kojiki et le Nihon Shoki.

Amaterasu Omikami
Amaterasu sortant de la grotte (panneau central d'un triptyque réalisé en 1860 par Utagawa Kunisada).

Le Kojiki (littéralement : "Chronique des faits anciens") est considéré comme étant le plus ancien texte japonais encore existant à ce jour. Il s'agit d'un recueil de mythes, poèmes et chansons, racontant l'apparition des premiers Kami, la formation du Japon, ainsi qu'une foultitude de chapitres consacrés à la généalogie impériale du Pays du Soleil levant.

Son écriture fut réalisée par Hieda no Hare au Vème siècle, sur ordre de l'Empereur Tenmu. À la mort du monarque, l'Impératrice Genmei demanda à O no Yasumaro d'achever le travail, il recopia les textes et présenta - en 712 - le résultat final à sa suzeraine.

Le Nihon Shoki (littéralement : les "Annales du Japon" ou les "Chroniques du Japon") a quant à lui été rédigé par le Prince Toneri (secondé par plusieurs historiens de l'époque) et fut achevé en 720.

Contrairement au Kojiki, le Nihon Shoki contient beaucoup plus de précisions historiques de l'époque, ce qui en fait un outil précieux pour tout amateur d'histoire. Les deux ouvrages ont pour principale similitude de commencer par des textes mythologiques mais, le Nihon Shoki reste le plus riche pour tout ce qui concerne les souverains du Japon et l'Empire de l'époque (contacts diplomatique avec les autres nations voisines, erreurs et bienfaits des divers monarques, ...).

L'écriture de ces deux livres avait principalement deux buts : premièrement, prouver la légitimité de la famille impériale, censée descendre de la Megami du Soleil Amaterasu (il s'agit d'une monarchie de droit divin) et deuxièmement, montrer à la Chine que le peuple japonais pouvait également faire preuve de raffinement et de sophistication (les ouvrages avaient été rédigés en chinois mêlé d'un certain nombre d'éléments linguistiques japonais) .

Selon Claude Helft, ces deux livres étaient également appelés "Les livres de l'époque des dieux" (ou plutôt des Kami si l'on veut chipoter sur les détails).

Maintenant que vous êtes un peu plus au fait des mythes et de la culture japonaise (ceux qui sont restés sur leur faim peuvent toujours aller consulter les foisonnantes "Informations complémentaires" de ce chapitre), je vous propose de lire, avec plus de détails, la naissance d'Amaterasu, de Susanoo et de Tsukuyomi. Mais avant d'en venir au vif du sujet, il me faudra au préalable vous parler de deux autres êtres divins qui ont permis au Japon (et accessoirement au monde) de naître...

Informations complémentaires :

- L'Elficologie est - pour rappel - un terme créé par l'auteur Pierre Dubois (qu'il n'est plus besoin de présenter) pour désigner l'étude des Élémentaires à travers les contes, légendes et mythes du monde entier.

- L'Animisme est une forme de croyance qui veut que chaque être, animal, plante, objet, ... est doté d'une âme. Toujours selon cette croyance, le monde est peuplé d'Esprits (défunts ou élémentaires) qui ont le pouvoir d'altérer leur environnement (en bien ou en mal).

- "Megami" est un terme récent qui est employé pour désigner une Kami de sexe féminin.

- Le (apparu à la fin du XIIIème siècle) est une forme de théâtre traditionnel japonais. Considéré comme une sorte de drame lyrique, le tire son origine des danses rituelles et sacrées interprétées par les prêtres Shinto dans les sanctuaires (les danses Kagura). Avec le temps et l'aval de la cour impériale, le perdra son caractère religieux et sacré pour gagner en esthétisme et en raffinement.

Ce type de théâtre (apprécié par l'aristocratie) est composé d'acteurs costumés qui récitent des vers tirés de chroniques, de danses pantomimes (danse qui traduit les actions du personnage par la gestuelle), le tout accompagné d'un orchestre et d'un chœur.

Les divers acteurs du , vêtus de superbes costumes colorés portent souvent des masques (il existe plus d'une centaine de masques différents, chacun ayant une signification bien spécifique).

- Le Kyôgen, est un type d'art théâtral centré sur l'humour. Il proviendrait du Sarugaku (littéralement "musique du singe"), une forme de théâtre populaire provenant de Chine et centrée sur les danses, la jonglerie et les acrobaties.

Le et le Kyogen sont souvent joués sur la même scène, le second servant la plupart du temps d'intermède avant de passer à la suite de la pièce.

Le théâtre Kyôgen présente certaines différences avec le. Par exemple, les acteurs du théâtre Kyôgen sont dépourvus de masques (hormis pour représenter les Kami et animaux), il y a peu de musique ou de chœurs, le langage familier (de la vie quotidienne) est le plus employé et enfin, les pièces sont dépourvues d'éléments propres au surnaturel (sauf s'il s'agit de parodier ces derniers).

Malgré leurs différences, le et le Kyôgen sont complémentaires. Le premier représente ce que nous voudrions être, tandis que le second incarne ce que nous sommes.

- Fondé à la fin du XVIème siècle par Izumo no Okuni - une Miko du Sanctuaire d'Izumo -, le Kabuki (bien différent ce qu'il était à son origine) est une forme de théâtre traditionnel japonais où le jeu des acteurs est un des éléments clé (rehaussé par un maquillage complexe et divers dispositifs scéniques servant à signaler aux spectateurs les "coups de théâtre").

Kabuki Theater
Représentation Kabuki de Shibaraku (l'une des pièces Kabuki la plus populaire) durant l'Ère d'Edo. La peinture a encore une fois été réalisée par Utagawa Kunisada.

De nos jours, le Kabuki est le style théâtral le plus populaire (en terme d'audience) au Japon.

- les Miko sont des femmes qui servent dans les sanctuaires japonais. À l'origine, elles entraient en transe pour rapporter la parole des Kami (un peu comme la Pythie grecque). Désormais, leur rôle est d'entretenir le sanctuaire, de réaliser des danses cérémonielles et d'assister les prêtres Shinto dans les divers rituels propres à leur fonction.

- La Pythie était l'oracle d'Apollon (dieu de la poésie et de la médecine). En respirant certaines fumigations, la Pythie pouvait entrer en transe et laisser le dieu parler par sa bouche. Seul problème, ses prophéties étaient incompréhensibles pour les "simple mortels" ; il fallait donc recourir au service des prêtres, qui traduisaient ses propos (moyennant une grosse offrande).

Le temple de la Pythie (Temple de Delphes) se trouve au pied du mont Parnasse, une montagne située au centre de la Grèce.

- Utagawa Kunisada (1786 - 1865) ou Utagawa Toyokuni III, était un peintre japonais qui doit sa renommée à sa maîtrise de l'Ukiyo-e ("image du monde flottant"; il s'agit d'un mouvement artistique de l'ère Edo faisant appel à la gravure sur bois - estampes).

Très prolifique, il aurait réalisé près de 20 000 estampes. Ses thèmes de prédilection étaient : le Kabuki (comme le prouve l'illustration précédente), la lutte sumo et la représentation de courtisanes.

- L'ère Edo ou période Tokugawa débute en 1600 (époque où le Shogunat prend le pouvoir) et s'achève en 1868 (la fin du Shogunat en faveur du retour de l'Empereur dans les affaires politiques et économiques du Japon) pour faire place à la période Meiji (1868 - 1912).

- Shogun est le diminutif pour "général" en japonais. La version longue de ce mot est : Seiitaishogun, qui signifie plus ou moins : "grand général pacificateur des barbares".

- Hieda no Hare est un personnage mystérieux (on ne connait ni son sexe ni le lieu et la date de sa naissance) qui s'est illustré lors de la compilation du fameux Kojiki.

- L'Empereur Tenmu (622 ou 631 - 686) était le quarantième Empereur du Japon. On sait peu de choses sur sa vie et les rares éléments à son sujet proviennent du Nihon Shoki (où il est décrit comme un souverain novateur), mais, vu que ce dernier a été - en partie - rédigé par son fils, le Prince Toreni, la fiabilité de ce document reste douteuse sur le plan historique.

- L'Impératrice Genmei (661 - 721) fut la quarante-troisième dirigeante du Pays du Soleil Levant. Durant son règne, elle dirigea la finalisation du Kojiki ainsi que la rédaction des Fudoki (rapports contenant le folklore, les mythes et traditions, l'histoire ainsi que les données géographiques de chaque province du Japon) et émit en 708 les premières monnaies japonaises (appelées : "Wadokaichin" ; des pièces rondes percées en leur centre d'un trou carré).

- O no Yasumaro était un chroniqueur et bureaucrate japonais du VII et VIIIème siècle qui finalisa en un an la compilation du Kojiki.

- Le Prince Toneri (676 - 735), troisième fils de l'Empereur Temmu est surtout connu pour avoir supervisé la compilation du fameux Nihon Shoki.

Kami and Emperors
Estampe de Yoshu Chikanobu représentant l'Empereur Meiji (assis au centre) entouré d'autres souverains et de Megami (Amaterasu se trouve en haut à gauche du panneau de droite, en blanc, en train de tenir les trois trésors sacrés du Japon).

- La famille impériale du Japon revendique sa souveraineté par ses liens de sang avec la Kami Amaterasu. Le tout premier Empereur du Japon : Jinmu (littéralement : "puissance divine") est - selon le Kojiki et le Nihon Shoki - l'un des arrière-arrière-arrière-petit-fils de la Kami du Soleil.

Ce souverain mythique aurait vécu de - 711 à - 585 (ce qui fait 126 bougies à souffler sur le gâteau d'anniversaire).

- Claude Helft est une auteure française spécialisée dans la littérature pour enfants et les cultures du monde.

- Shibaraku est la pièce la plus populaire du théâtre Kabuki. Un spectateur non averti identifiera d'ailleurs souvent le Kabuki grâce au maquillage flamboyant d'un des personnages principaux (blanc rayé de rouge).

Usui Sadamitsu
Estampe d'Utagawa Kunisada (oui, encore) représentant l'acteur Ichikawa Danjuro VIII en train d'interpréter le rôle d'Usui Sadamitsu (notez les motifs du maquillage !)

- Yoshu Chikanobu (1838 - 1912) fut considéré comme l'un des meilleurs artistes de la période Meiji.

- L'Empereur Meiji (1852 - 1912) ou Prince Sachi no Miya, était le 122ème Empereur du Japon. Son titre d' "Empereur Meiji" lui a été donné après sa mort, en rapport avec l'ère Meiji qui commença au début de son règne (1868) pour s'achever à sa mort. C'est après le décès de ce souverain qu'on prit l'habitude d'ensuite faire coïncider les ères avec le règne des monarques, et de les renommer à leur mort avec le nom de la période qui leur est associée.

L'ère Meiji (littéralement l'ère du "gouvernement éclairé") passe pour être l'équivalence du Siècle des Lumières en Europe. C'est grâce à Sachi no Miya que le Japon va rouvrir ses frontières (fermées durant l'ère Edo), supprimer le système féodal et moderniser le pays.

- Usui Sadamitsu (de son vrai nom : "Taira no Tadamichi") était un Samouraï japonais de l'ère de Heian (qui a débuté en 794 pour s'achever en 1185).

Selon certains écrits rédigés plusieurs siècles plus tard, Sadamitsu était l'un des quatre compagnons du légendaire héros Minamoto no Raiko (ce régent du clan Fujiwara a accompli maints exploits guerriers qui lui valurent d'être dépeint dans de nombreuses légendes). Les trois autres compagnons de Raiko sont : Watanabe no Tsuna, Sataka no Kintoki (ou Kintaro) et Urabe no Suetake. On appelait ce redoutable quatuor les Yoshitsune Shitenno (littéralement les "Quatre Rois célestes de Yoshitsune").

Étrangement, Sadamitsu est parfois représenté en femme (notamment dans un certain jeu développé par From Software dont vous trouverez toutes les informations dans les "Annexes" de la troisième partie de cet article).

- Un Samouraï est un représentant d'une caste guerrière qui est apparue vers le Xème siècle pour disparaître lors de l'ère Meiji (XIXème siècle).

Samouraï viendrait du mot "saburau" ("servir"), terme qui ne sera employé qu'à l'ère Edo. Auparavant, on appelait ces combattants mono no fu ou bushi (les deux signifient approximativement : "homme d'armes".

Les premiers Samouraïs (selon les hypothèses) auraient fait partie de la garde impériale. Mais très vite, ces derniers se mirent au service de riches propriétaires terriens afin de combattre les bandits ou propriétaires concurrents.

Au Xème siècle, plusieurs révoltes Samouraïs éclatèrent et le gouvernement ne put les mater, au début du XIème siècle, qu'avec l'aide du clan Minamoto. Suite à cette victoire, les familles de Samouraïs Taira et Minamoto entrèrent au service de l'Empereur afin de le protéger.

En 1180 commence la guerre de Genpei (une guerre de succession) où les familles Minamoto et Taira s'affronteront pendant cinq années. Au terme de ce conflit, le clan Taira sera écrasé et l'un des membres du clan Minamoto deviendra le premier Shogun.

Samuraï
Superbe illustration de Dehong He. Vous pouvez voir sur l'image le heaume ("Kabuto"), le masque, censé protéger le visage ("Mempô" s'il couvre le visage et "Ho-Ate" s'il est plus petit), les spalières ou protections d'épaules ("Sode"), la cuirasse ("Do"), les brassières ("Kote"), les gantelets ("Tekko") et bien entendu le fameux Katana.

Durant l'Ère Edo, les Samouraïs délaisseront les armes au profit de la bureaucratie, la poésie et les arts. C'est à cette période également qu'ils constitueront le Bushido (littéralement : "voie du guerrier") : un ensemble de règles strictes propre à leur caste.

La Période Meiji marquera la fin des Samouraïs. Le pays - à nouveau gouverné par un Empereur - rouvrira ses frontières et tournera le dos à la tradition pour industrialiser le tout. À cet effet, des réformes - privant les Samouraïs de leurs droits -verront le jour ; les guerriers d'autrefois ne verront pas ces mesures d'un bon œil et ils prendront à nouveau les armes avant de se faire écraser par l'armée impériale en 1874 et 1877.

- Le Siècle des Lumières est un mouvement intellectuel qui s'est développé en Europe durant le XVIIème siècle. Il avait pour but de promouvoir le développement des sciences, de la philosophie et de la connaissance en général pour contrer la superstition et l'intolérance.

Partie I - La création du monde :

Naissance du premier couple Kami :

Pour rendre plus claires les raisons qui ont poussé Susanoo à offenser sa sœur Amaterasu, il me faudra remonter loin en arrière. Je ne compte pas détailler l'entièreté du mythe fondateur japonais (ce serait trop long et assommant pour vous) mais je vais vous en donner une version synthétisée accompagnée de quelques extraits du Kojiki afin de rehausser le tout.

Alors que le monde n'était rien d'autre qu'une masse informe, pareille à une flaque d'huile, naquirent les premiers Kami. Ces Supérieurs ou Ancêtres Kami, capables de s'autocréer, jaillissaient du néant. De toutes ces naissances, émergea le premier couple Kami masculin et féminin : Izanagi (appelé aussi : "L'Engageant") et Izanami (nommée aussi : "L'Engageante").

Informations complémentaires :

- Les premiers Kami sont appelés collectivement : "Kotoamatsukami" (littéralement : "Kami Distinctement Céleste").

La première génération est composée de trois Kami : Amenominakanushi (le "Maître Central"), Takaminusubi (le "Haut Créateur") et Kaminusubi (le "Créateur Divin").

Plus tard, émergera une seconde génération de deux Kami : Umashiashikabihikoji ("L'Énergie") et Amenotokotachi ("Le Ciel").

De la troisième génération émergent Izanagi et Izanami (accompagnés d'autres Kami).

L'émergence de la Terre :

Les autres Kami ordonnent au couple divin de faire apparaître la Terre. Pour accomplir cette titanesque tâche, ils lui confie une lance céleste (Ame no nuhoko), sertie de pierres précieuses étincelantes. Se tenant debout sur le Pont Flottant du Ciel, Izanagi et Izanami empoignent la hampe de l'arme et en plongent la pointe dans la mer pour remuer les flots.

À force d'agiter l'élément liquide et salé en tous sens, ce dernier finit par coaguler. Satisfaits par ces résultats, les Kami remontent la lance vers eux. Le long de la lame, s'écoulent quelques gouttes qui en tombant se solidifient pour former les premières îles du Japon (dont Onokoro, la "première terre ferme").

Izanami and Izanagi
Peinture de Kobayashi Eitaku représentant Izanami et Izanagi en train de remonter Ame no nuhoko de la mer (notez les gouttes qui tombent de l'arme).

"Aux deux augustes Supérieurs, L'Engageante et L'Engageant,
les autres Supérieurs ordonnèrent :
"Fabriquez et consolidez, donnez une forme à cette Terre
flasque qui dérive sur les eaux "
Alors on leur offrit une céleste lance
sertie de pierres, et les deux Supérieurs,
debout sur Pont-Flottant-du-Ciel,
plongèrent la lance précieuse et touillèrent.
Lorsqu'ils eurent tant touillé la mer
salée qu'elle coagula, ils en sortirent la lance
dont l'extrémité lourde de saumure perdait
des grains de sel : en retombant, ceux-ci cristallisèrent
jusqu'à former cette île que l'on nomme Autosolide."
- Extrait du chapitre III du Kojiki, traduit par Pierre Vinclair.

Informations complémentaires :

- Ame no Nuhoko (littéralement : "Lance céleste de pierres précieuses") est l'arme qui a servi à créer les premières îles du Japon. Bien qu'on la qualifie de lance, certains voient plus en elle une épée (Ame-no signifiant : "céleste" tandis que nu-hoko se traduisait en : "épée aux joyaux"). L'arme est parfois représentée sous la forme d'un Naginata. Je précise toutefois qu'il ne pouvait s'agir d'une telle arme puisque le Naginata est apparu au Xème siècle, donc bien après la rédaction du Kojiki et du Nihon Shoki.

- Pour plus d'informations sur le Naginata, veuillez vous rendre au chapitre de la seconde partie intitulé : "Le sabre japonais" (vous découvrirez un sous-chapitre consacré à cette lame ainsi qu'une pléthore d'autres armes blanches japonaises).


Onna-bugeisha
Estampe d'Utagawa Kuniyoshi représentant Ishi-jo (une Onna-bugeisha) en train de manier le Naginata.

- Utagawa Kuniyoshi (1797 - 1861) est considéré comme étant l'un des derniers maîtres de l'estampe japonaise. Il a gravé près de 10 000 estampes (dont un certain nombre ornées de chats, animaux qu'il affectionnait particulièrement).

Utagawa Kuniyoshi a eu plusieurs illustres élèves dont Utagawa Yoshitsuya, Utagawa Yoshikazu, Utagawa Yoshitora et Tsukioka Yoshitoshi.

- Une Onna-bugeisha est une femme combattante issue de la noblesse.

Certaines s'engageaient pour combattre aux côtés des hommes, d'autres restaient pour défendre leur demeure durant les conflits.

Ces femmes ont été formées au maniement des armes avant que n'apparaissent la classe des Samouraïs (elles avaient pour charge de veiller sur les villages ou communautés qui manquaient d'hommes capables de se battre). Hormis le Naginata, elles étaient également formées à manier le Kaiken (petit sabre japonais de 15 cm de long que les femmes pouvaient dissimuler dans les manches de leur kimono).

- Le Pont Flottant du Ciel qu'on appelle : "Ame no ukihashi" (littéralement : "Le Pont Céleste Flottant") est le lien mystique qui relie le monde des hommes ("Ashihara no Nakatsukuni", ce qui signifie : le "Pays du Milieu des Roselières") au Ciel ("Takama-ga-hara", littéralement : "La Haute Plaine du Paradis") où résident les Kami.

Il pourrait s'agir d'un arc-en-ciel, un peu comme Bifröst (littéralement : "chemin scintillant"), le pont arc-en-ciel qui, dans la culture nordique, relie Midgard à Asgard.

- Onokoro (ou Onogoro) est la première île créée par Izanagi et Izanami. Sur ce "lopin de terre", ils construiront leur palais ainsi que le gigantesque Pilier-Céleste.

- Kobayashi Eitaku (1843 - 1890) était un peintre et un ancien Samouraï. Lorsque son maître Naosuke (le seigneur d'Hakone, un bourg japonais situé dans la préfecture de Kanagawa) fut assassiné, Eitaku abandonna son poste et voyagea à travers le Japon.

Spécialisé dans les sujets historiques, on le connaît pourtant grâce aux nombreuses illustrations qu'il produisait pour les journaux et celles qui ornaient des livres pour enfants.

- Né en 1982, Pierre Vinclair est un écrivain français dont le style semble être un mélange de poésie, de récits et d'essais.

Il a produit à ce jour plusieurs recueils de poésie et une traduction du Kojiki.

Premières naissances de Kami :

Pressés de voir le résultat de leur dur labeur, les deux Kami descendent du Ciel pour rejoindre l'île et façonnent en son sein un énorme pilier, l'auguste Pilier-Céleste (appelé aussi : "Ame no Mihashira"). Après avoir achevé cette colossale construction, ils décidèrent d'un commun accord d'édifier un palais (Yahirodono, littéralement : "Pièce des Huit Pas") qui leur servira de demeure.

"Descendus sur cette île depuis le Ciel, ils s'attelèrent
à l'érection de l'auguste Pilier-Céleste.
Ils dressèrent un palais haut de huit fois six pieds..."
- Extrait du chapitre IV du Kojiki, traduit par Pierre Vinclair.

Japanese Shrine
Sanctuaire japonais (illustration de Chris Ostrowski).

Les travaux achevés, Izanagi et Izanami, troublés par leurs différences physiques (lui est un Kami mâle, elle une Kami femelle) décident de s'unir (ou s'accoupler si vous préférez) pour donner naissance aux autres provinces qui composent l'archipel du Japon.

Pour copuler (si vous me passez l'expression), Izanagi propose à sa compagne un étrange rituel nuptial : tourner autour du Pilier-Céleste chacun de leur côté, se rencontrer et... laisser la nature faire le reste. Izanagi arriva de la gauche et Izanami de la droite. À la vue de son compagnon, Izanami ne put s'empêcher de le complimenter sur sa beauté et Izanagi fit de même. Passé ces préliminaires, ils "mangèrent des cerises sous l'arbre" (métaphore chinoise signifiant : "faire l'amour") et Izanami donna naissance à deux Kami : Hiro-ko ("Le Fils du Soleil"), un rejeton faiblard qu'ils décident d'abandonner en le plaçant sur un radeau de bambou posé sur les flots, et Ahaji (l' "Écume"), une île dont la terre n'est guère ferme sous le pied.

Informations complémentaires :

- Yahirodono, le palais d'Izanagi et d'Izanami faisait approximativement 15 mètres de hauteur.

- Hiro-ko, le premier rejeton du couple de Kami ne semblait guère désiré par ses parents. En effet, dans le Kojiki, ce dernier se fait appeler : "La-Sangsue". D'ailleurs, tout comme sa sœur Ahaji, il ne sera pas reconnu comme étant l'un de leurs rejetons.

- Hiro-ko, que l'on nomme également Ebisu est un Kami de la Chance et de la pêche. Né informe (sans os ou sans bras et sans jambes), ce qui explique son surnom de "sangsue", il parviendra à faire pousser ses os et ses membres et deviendra l'un des Sept Kami de la Bonne Fortune.

- Ahaji, la Megami-île connue également sous le nom d'Awashima (ou Awashima Shinko), deviendra l'île Awa-shima. Une bande de terre de sept kilomètres de long pour deux kilomètres de large. Ahaji est également une Megami censée guérir les femmes malades et aider les femmes enceintes à donner naissance sans complications.

Secondes naissances et formation des autres îles :

Face à cette progéniture qui n'a de Kami que le nom, Izanagi et Izanami discutèrent afin de comprendre ce qui provoquait la faiblesse de leurs enfants. Le palabre achevé, il décidèrent, d'un commun accord, d'aller consulter les Supérieurs Célestes afin qu'ils puissent éclairer leur lanterne à ce propos.

Arrivés au Ciel, ils informèrent les Supérieurs Célestes de leur problème. Grâce à la divination, les Célestes Kami découvrirent la source du problème et déclarèrent au couple divin que lors de leurs prochains ébats, l'homme devrait parler en premier afin que leur progéniture soit viable.

"Les enfants que nous fabriquâmes étaient viciés ;
il serait judicieux d'aller en cet auguste lieu
où résident les Supérieurs Célestes
pour les en prévenir."

Ils grimpèrent immédiatement au Ciel pour s'enquérir du conseil des
Augustes Supérieurs Célestes. Ayant par le moyen d'une grande divination
découvert les causes du problème, ceux-ci ordonnèrent :

"C'est parce que la femme a parlé
en premier que les enfants n'étaient pas viables ;
descendez à nouveau et changez l'ordre des annonces."
- Extrait du chapitre V du Kojiki, traduit par Pierre Vinclair.

Revenus sur l'île, les deux Kami recommencèrent leur manège autour du Pilier-Céleste, copulèrent et engendrèrent quatorze Kami qui constituent les îles formant l'archipel du Japon.

Informations complémentaires :

- Le fait qu'Izanagi soit tenu de s'exprimer avant son épouse pour que leurs enfants ne soient pas "viciés" a probablement dû en faire sourciller plus d'un (ou d'une). De nos jours, ce type de propos passerait pour infamant. Mais il ne faut pas oublier de replacer ces textes dans le contexte historique et culturel de l'époque (la société japonaise étant patriarcale - société dont l'autorité est détenue par les hommes - il est considéré comme "normal" que le rôle de la femme soit moindre).

À contrario, l'un des Kami les plus importants du Shintoïsme est féminin (Amaterasu), il existait des femmes combattantes et il y a également eu plusieurs impératrices régnantes (dont l'Impératrice Genmei) au Japon.

Douloureux enfantement et départ d'Izanami :

Après la création des îles, Izanami mit au monde une pléthore d'autres Kami associés au vent, à la mer, aux arbres, aux montagnes, ... et ces derniers en s'unissant entre eux permirent à d'autres Esprits de voir le jour.

Tout se déroulait pour le mieux jusqu'au jour où Izanami donna naissance à Kagu-tsuchi ("Feu-Brûlant-à-Toute-Vitesse" ou "Prince-du-Feu-Brillant"), un Kami du Feu qui brûla le ventre de sa mère en s'extirpant de sa matrice.

Water and Fire Kami
Illustration de Geoff Trebs représentant un Kami de l'Eau et un Kami du Feu (il s'agit de figurines pour le jeu de stratégie "Bushido", se déroulant dans un univers oriental fantastique).

Gravement affaiblie par cette blessure, Izanami tombe malade et est obligée de s'aliter. Dans ce triste état, la Megami ne peut s'empêcher de vomir (entre-autres), et de ces sécrétions naissent de nouveaux Kami (de la mine ou du métal, de l'irrigation, de l'argile, ...).

Au grand désespoir de son compagnon, l'état d'Izanami empire et sa chère sœur rend l'âme en exhalant un dernier soupir.

"Elle mourut donc, en Supérieure, du fait de donner la vie au Supérieur du
Feu."
- Extrait du chapitre VII du Kojiki, traduit par Pierre Vinclair.

Informations complémentaires :

- Je me suis permis d'écourter certaines descriptions au sujet des "sécrétions" d'Izanami censées engendrer de nouveaux Kami, histoire de ne pas choquer certains de mes plus jeunes lecteurs. Les mythologies "archaïques" s'embarrassent rarement de savoir si ce qui est dit ou écrit choquera ou non (n'oublions pas le choc culturel), il arrive donc que soient employés des termes assez crus. D'un autre côté, vouloir lisser ces dernières pour rendre le texte plus "présentable" au grand public risquerait d'altérer le message d'origine et d'en faire perdre le sens premier. Il s'agit donc de jongler entre ces deux notions pour produire un résultat satisfaisant aux deux conditions.

- Le Bushido (un mot provenant du chinois Wu shi Dao et signifiant : "La voie du guerrier") est un ensemble de règles que devaient respecter les Samouraïs.

Construit au fil des siècles et apparu vers le XIIème siècle, ce code d'honneur est un mélange de principes bouddhistes, shintoïstes et confucianistes.

Il existe sept vertus (issues du Confucianisme) principales dans le Bushido : la droiture, le courage, la bienveillance, la politesse, la sincérité, l'honneur et la loyauté.

Ces règles très strictes, demandaient au Samouraï une loyauté sans faille et un honneur sans tache. En cas de déshonneur, le combattant pouvait regagner son honneur perdu en pratiquant le Seppuku.

- Le Confucianisme est une école philosophique, morale et politique chinoise. Fondée vers les VI et Vème siècles par Kongfuzi (philosophe Chinois mieux connu sous le nom de : "Confucius").

Le principe de base de cette école de pensée est que l'homme doit s'efforcer de s'enrichir intérieurement en accomplissant son devoir envers les autres hommes (et entités supérieures) et de faire preuve de bonté, charité, ...

- Le Seppuku (littéralement : "Coupure au ventre"), mieux connu sous le nom d'Hara-kiri, est un suicide rituel pratiqué par le Samouraï dans le but de regagner son honneur perdu.

Le Seppuku se déroule le plus souvent dans un temple. Le condamné se plante un Wakizashi (sabre court de 30 à 60 centimètres de long) dans le ventre et pratique une ouverture, sous le nombril, dans le sens de la largeur. Il existe également une seconde forme de Seppuku où la victime rajoute une seconde entaille (verticale) à la première pour montrer sa volonté de se racheter.

Certaines sources mentionnent que le futur suicidé peut être assisté d'un ami qui le décapitera (ou tranchera sa gorge) pour abréger ses souffrances (au lieu d'agoniser dans son sang et ses tripes pendant un bon moment).

De nos jours le Seppuku est une pratique interdite, abolie en 1868 par l'Empereur Meiji.

Meurtre de Kagu-tsuchi et voyage au Royaume des Ténèbres :

Fou de douleur, Izanagi enterre la dépouille de sa compagne et, dans un élan de colère, il dégaine sa lame de dix poignées et décapite d'un coup rageur son fils Kagu-tsuchi.

"Lors l'Engageant, défouraillant le sabre long de dix poignées
qu'il arborait à la ceinture, trancha
la tête du Supérieur, son fils
Feu-Brillant-L'Aîné."
- Extrait du chapitre VIII du Kojiki, traduit par Pierre Vinclair.

Du sang qui suinte sur le tranchant de l'arme et gicle sur les rochers alentour naissent des Kami de la roche et du Feu.

Passé ce meurtre de sang-froid, Izanagi se rend au Yomi (le monde souterrain) afin de tenter de retrouver Izanami. Après un périple dans les ténèbres, il parvient aux portes d'un palais où s'est retirée sa compagne.

Yomi-no-kuni
Illustration de Xu Xinmin pouvant représenter une forme plus colorée du Yomi.

"Voyant" l'élue de son cœur venir à lui, il tente de la convaincre de repartir avec lui pour terminer la tâche que les Supérieurs leur ont confiée. La mort dans l'âme, elle lui rétorque qu'il est déjà trop tard, car elle a malheureusement mangé la nourriture du royaume souterrain, il lui est donc désormais interdit de repartir. Cependant, à la vue de son rayonnant compagnon au comble du désespoir, Izanami se trouble et sent poindre le désir de le suivre.

Elle déclare à Izanagi qu'elle va tenter de convaincre les Supérieurs du Yomi de la laisser repartir. Elle lui recommande donc de l'attendre aux portes du palais et de ne surtout pas tenter de la voir !

"..."Comme il est déplorable
que tu ne sois pas venu plus tôt ! Car j'ai mangé
les mets cuits au fourneau du Royaume des Ténèbres.
Quoi qu'il en soit, l'entrée de mon auguste époux et frère,
si beau, si désirable, me trouble et m'émeut :
je veux rentrer !

Mais il me faut d'abord en parler aux Supérieurs
du Royaume des Ténèbres.
Attends - surtout : ne me regarde pas !"
- Extrait du chapitre IX du Kojiki, traduit par Pierre Vinclair.

Après lui avoir arraché cette promesse, Izanami passe les portes du palace et laisse son frère seul dans les ténèbres.

De longues heures s'écoulent sans qu'Izanami ne revienne tandis qu'Izanagi, plongé dans l'obscurité, n'en peut plus d'attendre. Arrachant l'une des dents du peigne retenant ses cheveux du côté gauche, il l'enflamme et s'en sert comme d'une torche pour guider ses pas dans le sombre palais.

Ainsi éclairé, il traverse les énormes portes de pierre et finit par trouver sa promise. Mais au lieu de le réconforter, la vue de sa sœur le glace d'effroi. Il comprend pourquoi elle lui avait interdit de la contempler !

Izanami
Izanami, la déesse de la mort selon Fox-cibo.

Le corps d'Izanami, autrefois un régal pour les yeux, s'est mué en un cauchemar incarné : putréfié, grouillant d'asticots et entouré de huit terribles Kami des Tempêtes.

"L'Engageante pourrissait sous les asticots qui grouillaient, et au milieu de
son visage il y avait Grande-Tempête,
dans sa poitrine : Tempête-de-Feu
et dans son ventre : Tempête-Noire
et dans son sexe : Tempête-qui-Déchire
et dans sa main gauche : Jeune-Tempête
et dans sa main droite : Tempête-Terrestre
et dans son pied gauche : Tempête-qui-Gronde
et dans son pied droit : Tempête-du-Couchant.
Tous ensemble, les huit Supérieurs-Tempêtes étaient nés sur elle et la parasitaient."
- Extrait du chapitre IX du Kojiki, traduit par Pierre Vinclair.

Informations complémentaires :

- Le Yomi ou Yomi-no-kuni (littéralement : la "Source Jaune") est le monde des ténèbres où réside Izanami après avoir mangé la nourriture de ce royaume. C'est également là que les corps (la chair) des hommes sont censés aller après leur trépas.

Inspiré du Diyu (littéralement : la "Prison sous terre"), l'Enfer ou le royaume des morts de la mythologie chinoise, le Yomi est l'un des trois royaumes principaux du Shintoïsme (les royaumes du ciel et de la terre étant les deux autres).

Selon Hirata Atsutane (lettré japonais du XVIIIème siècle, reconnu comme l'un des plus important théologien de la religion Shintoïste), le Yomi n'est pas l'endroit où l'âme des morts se rend après le trépas des défunts.

"...après la mort d'un homme, son organisme se dissout, l'eau et la terre deviennent son cadavre, mais l'âme s'envole avec son vent et son feu. Les âmes des Japonais - lorsqu'ils meurent - demeurent éternellement au Japon dans le royaume des morts gouverné par O-Kuni-Nushi. Ce royaume ne se trouve point en un lieu particulier du monde visible, mais en un lieu profond et mystérieux qui ne peut être vu. Les actions des gens peuvent être perçues depuis le royaume des morts (...) ils (les âmes des morts) deviennent Kami, différent en leur degré d'excellence, de vertu et de force selon les individus."
- Texte issu de l'ouvrage intitulé : "Things Seen and Unseen : Discourse and Ideology in Tokugawa Nativism" ("Choses Visibles et Invisibles : Dissertation et Idéologie du Nativisme Tokugawa"), rédigé par Harry Harootunian (traduction tirée de Wikipédia au sujet du Yomi).

Les âmes des défunts deviennent donc des Kami qui résideront dans un royaume dirigé par le Kami Okuninushi, invisible aux yeux des mortels (ce qui semble similaire au concept de l'Autre-Monde celtique) ; tandis que leur corps de chairs sera promis aux profondeurs du Yomi. Il semble également que la forme (et probablement l'importance ou la puissance) des Kami dépend de ce qu'ont accompli les défunts de leur vivant.

- O-Kuni-Nushi ou Okuninushi-no-mikoto (littéralement : "Grand maître de la Terre") est le Kami qui a achevé la tâche de Susanoo : terminer la création de la Terre.

O-Kuni-Nushi
Estampe (dont l'auteur m'est inconnu) représentant Okuninushi en train de rencontrer le lièvre blessé qui avait tenté de traverser la mer par la ruse (en convainquant les crocodiles - ou requins suivant les versions - de s'aligner à la queue leu leu pour lui offrir une passerelle improvisée).

Arrière-arrière-arrière petit-fils de Susanoo, il guérira un lièvre blessé, fera face à la jalousie dévorante de ses frères, retrouvera dans son repaire le Kami des Tempêtes (Susanoo), épousera l'une de ses filles, la Princesse Suseri-hime (malgré le refus du père), fera équipe avec le premier fils d'Izanagi et d'Izanami : Hiro-ko (dont le nom deviendra : Sukuna-hikona-no-kami, littéralement : "Très Petit Kami") pour terminer la Terre, cèdera son trône aux Kami du Tonnerre (Take-mika-zuchi) et au Kami du Feu (Futsu-Nuchi) ; il descendra finalement dans les profondeurs (le Yomi) pour régner sur les Kami malfaisants et les empêcher de nuire aux hommes.

D'autres sources précisent qu'Okuninushi, pour avoir cédé son trône sans lutter, s'est vu promu au rang de maître du monde invisible (celui où l'âme des morts va pour se changer en Kami).

L'histoire de ce Kami est longue et fascinante. Pour ceux qui désirent en savoir plus à son sujet, vous trouverez une grande partie de son histoire, détaillée à la troisième partie, au chapitre intitulé : "Susanoo, le Kami des Tempêtes".

- Le Nativisme est un mouvement politique qui s'oppose à l'immigration dans le pays des "natifs".

Durant l'Ère Edo (1600 - 1868), le Japon (dirigé par le Clan Tokugawa) fermera ses frontières aux Européens (boutant hors du pays les missionnaires catholiques) avec l'interdiction de pénétrer sur le territoire sous peine de mort.

Le Japon ne gardera que quelques relations commerciales avec la Corée, la Chine et les Pays-Bas.

Plusieurs tentatives de briser ce barrage seront tentées par les autres nations mais sans grand succès. Ce n'est qu'en 1854, sous la menace de la flotte américaine (menée par le Commodore Matthew Perry), que le Shogun acceptera d'ouvrir certains ports aux Américains. Peu à peu, les autres nations arriveront également à faire valoir leurs "droits" (en imposant notamment des traités fort peu avantageux pour le Japon).

- Le Commodore Matthew Calbraith Perry (1794 - 1858) était un militaire envoyé au Japon par le président américain Millard Fillmore (1800 - 1874) avec pour mission de rouvrir les voies commerciales de l'archipel nippon.

Porteur d'un message du président, il remettra son message au Shogun (en forcant le blocus grâce aux menaces). Prétextant être venu chercher la réponse du souverain, il reviendra sept mois plus tard (en 1854) avec une flotte deux fois plus importante (composée de militaires américains, britanniques, français, russes et néerlandais) et obligera le Shogun  à signer la Convention de Kanagawa (accord qui obligeait le Japon à rouvrir ses voies commerciales).

- Tokugawa fait ici référence à l'Ère Tokugawa (mieux connue sous le nom d'Ère d'Edo).

- Harry D. Haroontunian (né en 1929) est un historien américain spécialisé dans la période pré-moderne et moderne du Japon.

- Pour rappel, l'Autre-Monde (appelé également Annwn ou Annwvyn dans la mythologie celtique galloise) est un monde merveilleux où la maladie et la vieillesse sont absentes. Ce lieu où règne l'abondance est la demeure des morts, des dieux et des Élémentaires.

Vous trouverez plus de précisions sur l'Autre-Monde en consultant l'article consacré au dieu celte Cernunnos et à ses autres incarnations.

- Ce chapitre présente de fortes similitudes avec le mythe gréco-romain d'Orphée se rendant aux Enfers.

Tout comme Izanagi, l'épouse d'Oprhée (Eurydice) meurt et, fou de douleur, le fils du Roi de Thrace se rend aux Enfers pour réclamer son âme. Hadès (le dieu grec des Enfers ou Pluton chez les Romains) charmé par les talents de musicien accepte de libérer son épouse à une condition : qu'il ne la regarde pas tant qu'elle ne sera pas sortie des Enfers, ce qui ressemble au mythe japonais, lorsqu'Izanami demande à son époux de ne pas la regarder (je précise qu'il existe des variantes du mythe grec ou Orphée, au lieu d'éviter de la regarder, doit faire en sorte de ne pas se retourner et de ne pas lui parler tant qu'ils ne seront pas sortis du royaume des morts).

Au final, les deux héros échouent et ils se retrouvent dans l'impossibilité de retrouver leur compagne respective.

Pour les amateurs de mythes gréco-romains, vous trouverez une version du récit d'Orphée aux Enfers dans l'article sur Cerbère.

- Autre similitude avec les mythes gréco-romains : l'interdiction d'Izanami de quitter le Yomi après avoir consommé de la nourriture du royaume des ténèbres.

Cet élément du récit est semblable au passage où Perséphone (une déesse gréco-romaine chtonienne) est enlevée par le dieu des Enfers Hadès. Sa mère, Déméter (déesse de l'agriculture qu'on pourrait appeler la "Mère de la Terre") ira rechercher sa fille. Hadès refusera de la rendre car elle a consommé la nourriture des Enfers (des pépins de grenade). Zeus (dieu du tonnerre et chef du panthéon gréco-romain) ne voulant vexer aucune des deux déités, décidera de partager la jeune fille entre son époux (Hadès) et sa mère. Elle restera donc six mois aux Enfers (où plus rien ne pousse, ce qui marque la période automnale et hivernale) et six mois avec Déméter.

La fuite d'Izanagi :

Terrifié à la vue de ce cauchemar qui se tortille dans tous les sens, Izanagi tourne les talons et s'enfuit au triple galop pour regagner au plus vite la surface. Mais sa fuite n'est pas passée inaperçue. Honteuse d'avoir été vue dans cet état déplorable, Izanami lance aux trousses de son époux Laideron-des-Ténèbres, une horrible femme-oiseau de la race des Shikome.

Sentant qu'il va être rattrapé, Izanagi lance sa coiffe derrière lui. En touchant le sol, l'auguste couvre-chef se change en raisins que la Shikome s'empresse d'engloutir avant de reprendre la poursuite.

Alerté par les cris de l'horrible créature, Izanagi détache le peigne qui retenait ses cheveux du côté droit de sa tête, en casse les dents et les jette au sol. Les morceaux de l'ornement capillaire tombent à terre, s'enracinent et font pousser, en un instant, une forêt de bambous impénétrable bloquant la voie. Stoppée par cette barrière végétale, Laideron-des-Ténèbres fait claquer son bec acéré pour trancher et avaler les plantes afin de dégager un chemin vers sa proie en train de lui échapper.

Izanami
Représentation d'Izanami (illustration de Pauloavida).

"Terrifié par ce spectacle, L'Engageant s'enfuit ;
sa sœur l'Engageante lui dit :
"Tu es la cause de ma grande honte !"
et elle lança Laideron-des-Ténèbres
à sa poursuite. Alors l'Engageant prit
son auguste couronne noire et la lança à terre ;
et celle-ci se transforma instantanément en raisins.
Le temps que Laideron les cueille et les mange,
il s'enfuit de plus belle. Elle le rattrapa à nouveau ;
il arracha alors le grand peigne qui tenait sur la droite
son auguste chevelure et en cassa les dents ;
il les jeta à terre et celles-ci se transformèrent
en tiges de bambou. Le temps
qu'elle les arrache et qu'elle les mange, il s'enfuit de plus belle."
- Extrait du chapitre IX du Kojiki, traduit par Pierre Vinclair.

Furieuse de voir que sa créature n'est pas parvenue à ramener son frère, Izanami lance alors les huit Tempêtes contre lui et ordonne à une troupe de plus de mille cinq cents guerriers de ramener Izanagi.

Sentant poindre une menace imminente, le Kami dégaine son épée longue de dix poignées et tout en courant vers la lumière, ferraille avec ses adversaires en maniant son arme avec la main dans le dos.

Parvenu à la sortie du royaume des ténèbres, il découvre trois pêchers et s'empresse d'en faire provision de pêches. Lorsque les guerriers arrivent à son niveau, il les bombarde de fruits jusqu'à ce que tous les combattants aient capitulé et tourné les talons.

Reconnaissant envers les pêches, il leur offre le titre de "Grands-Fruits-Supérieurs" et prophétise que ces fruits aideront toute personne en détresse.

Voyant les Tempêtes venir à sa rencontre, il brandit son bâton et leur interdit à jamais l'accès au monde des hommes.

Excédée de voir son armée mise en déroute, Izanami s'extirpe de son palais et se lance à la poursuite de son époux pour lui demander des comptes. Mais avant qu'elle ne puisse rejoindre son frère, le Kami bloqua l'entrée du Yomi à l'aide d'un énorme rocher que même mille personnes auraient été incapables de déplacer.

Izanagi
Une création de Neal Jany illustrant la scène où Izanagi obstrue l'entrée du Yomi avec un lourd rocher (un Kami appelé Chigaeshi no Okami).

Séparée de son compagnon par le lourd obstacle minéral, Izanami menace Izanagi de faire périr mille personnes de son peuple, le Kami imperturbable rétorque qu'il fera alors en sorte que naissent mille cinq cents autres sujets afin de remplacer ceux qui tomberont sous ses griffes cruelles.

"Ils se tenaient désormais là, séparés par l'obstacle -
ils devaient faire leurs adieux. L'Engageante dit :
"Oh, Mien ! Mon bel époux et frère ! Si tu fais ça,
demain je prendrai mille personnes de ton pays
et les étranglerai jusqu'à ce qu'ils crèvent."
Alors il répondit : "Oh, Mienne ! Ma belle-sœur !
Si tu fais ça, moi je ferai construire mille
cinq cents huttes d'accouchement -
et si mille personnes meurent chaque jour sous tes ongles cruels,
mille cinq cents autres naîtront !"
- Extrait du chapitre IX du Kojiki, traduit par Pierre Vinclair.

Impuissante, Izanami regagne son sombre royaume et devient la Grande-Supérieure-des-Ténèbres. Le rocher qui bouche désormais la voie d'accès au Yomi (le Passage-des-Ténèbres) sera du même coup baptisé : Grand-Supérieur-la-Porte-des-Ténèbres.

Izanagi
Izanagi en train de créer la Terre avec sa "lance", Ame no Nuhoko (illustration d'Ethicallychallenged pour le jeu de cartes Immortal).

Informations complémentaires :

- Les Shikome ou Yomotsu-Shikome (littéralement : "Femmes laides de Yomi") sont huit - ou une myriade - de femmes-oiseaux ou Sorcières hideuses qui résident au Yomi. Ces créatures sont comparables aux Furies de la mythologie gréco-romaine.

Dans un autre texte contant la mythologie japonaise, Izanagi est poursuivi par toute une troupe de Shikome (au lieu d'un seul et unique représentant).

Benjamin Widdowson, un artiste américain, a illustré un Yokai appelé Shikome sous la forme d'une tête de femme décapitée flottant dans les airs. Cette créature - l'Esprit d'une demoiselle étêtée ne pouvant trouver le repos - serait extrêmement dangereuse et attaquerait les voyageurs en les étranglant de ses longs cheveux noirs, en les mordant ou en les lacérant de ses appendices capillaires tranchants jusqu'à ce que sa victime s'effondre exsangue.

Est-il possible que ces deux créatures (possédant le même nom) soient liées d'une manière ou d'une autre ?

- Immortal est un jeu de cartes créé par Game-O-Gami permettant de jouer avec les dieux du panthéon celtique, nordique, grec, égyptien, japonais et amérindien.

- Dans un autre ouvrage ("La Mythologie Japonaise" de Claude Helft), certains détails de la traque d'Izanagi diffèrent de ceux du Kojiki.

Laideron-des-Ténèbres la Shikome est accompagnée de ses consœurs ailées, les mille cinq cents guerriers sont réduits au nombre de cinq cents et le fait de lancer trois pêches (une de chaque arbre je suppose) suffit à faire disparaître les guerriers et stoppe net l'avancée des huit Tempêtes.

- Le passage où Izanagi échappe à ses adversaires en laissant tomber des objets (sa coiffe - ou couronne - et l'un de ses peignes) qui se métamorphosent (en raisins ou en une forêt de bambous) pour faciliter sa fuite est un thème que l'on retrouve dans les contes germaniques et russes. On pourrait qualifier ce type de conte de "fuite magique".

Voici la liste de ceux que j'ai pu trouver dans les "Contes pour les enfants et la maison" (contes germaniques collectés par les frères Grimm) :

- "Oiseau-trouvé" (conte 51) : Un garde-forestier trouve un enfant dans le nid d'un oiseau de proie et décide de l'élever avec sa fille (Hélène). Les jouvenceaux grandissent ensemble et deviennent inséparables. Quelques années plus tard, la fille du garde-forestier apprend que la vieille cuisinière de son père est en train de préparer un chaudron pour y faire bouillir son frère (Oiseau-trouvé). Elle avertit son frère et ils décident de s'enfuir au loin. La cuisinière, voyant que les enfants ont filé, ordonne à trois valets de les rattraper. Voyant qu'ils sont suivis, Hélène demande à son frère de se changer en rosier pendant qu'elle se métamorphoserait en rose. Voyant les valets revenir bredouilles, la cuisinière les envoie poursuivre les enfants une seconde fois. Cette fois, Oiseau-trouvé se change en église et Hélène en couronne. Voyant les serviteurs revenir à nouveau les mains vides, la cuisinière, furieuse, décide de prendre les choses en main et d'accompagner les valets dans leur traque. Sentant poindre la menace, le frère et la sœur se métamorphosent à nouveau (Oiseau-trouvé se change en lac et Hélène en canne). La mégère comprenant le stratagème, se penche pour vider l'eau du lac mais la canne l'en empêche en l'entraînant dans l'eau, où elle se noie.

- "L'Ondine" (conte 79) : Un frère et une sœur tombent dans un puits où vit une Ondine. Ravie de l'aubaine, elle oblige les enfants à travailler pour elle sans pour autant les nourrir convenablement. Lassés de ces mauvais traitements, les enfants décident de fuir, mais l'Ondine se rend compte de leur disparition et entame la poursuite. Pour la ralentir, ils jettent sur le sol une brosse  (qui se change en montagne de brosses aux pointes acérées), un peigne (qui se change en montagne de peignes, également pourvus de dents tranchantes) et un miroir (qui se change en montagne de miroirs, si lisse que l'Ondine n'a pu réussir à l'escalader).

- "L'Ogre" (conte retiré de l'édition de 1857 mais considéré à l'origine comme étant le numéro 11) : Une Reine abandonne son bébé (une fille) dans un berceau qui est recueilli par une Ogresse (le terme exact est "mangeuse d'hommes") qui décide d'élever l'enfant pour la marier plus tard à son jeune fils.

Des années plus tard, arrive un Prince qui tombe sous le charme de la demoiselle. Ils décident de se fiancer mais l'Ogresse les surprend et capture le nobliau pour le servir rôti à la noce. Un soir, la jeune fille découvre son père adoptif en grande conversation avec son épouse et apprend, horrifiée, que l'Ogre compte dévorer son promis avant la date de son mariage. En hâte, elle enlève la couronne d'un des Ogrichons en train de dormir et la pose sur la tête du Prince. Dans l'obscurité, l'Ogresse tâte les têtes, égorge celui qui n'a pas de couvre-chef et ramène le tout à son mari pour qu'il puisse festoyer.

Oni
Pour rester dans la thématique orientale, je vous propose une représentation (réalisée par Doomsplosion) d'un Oni, une créature souvent comparée aux Ogres et Démons de notre folklore.

Effrayée à l'idée que l'Ogresse ne découvre la supercherie, elle décide de s'enfuir avec le Prince grâce à des Bottes de Sept Lieues. En chemin, le couple découvre que l'Ogresse, envoyée par son mari, est à leurs trousses ; à l'aide d'une baguette magique, elle change le Prince en lac et se métamorphose en cygne. La cannibale rentre bredouille, son mari la renvoie à la chasse et cette fois la jeune fille se transforme - avec le Prince - en un nuage de poussière impénétrable. Revenue les mains vides pour la troisième fois, l'Ogresse se voit encore une fois sommée de ramener les fugitifs. Voyant venir la créature, la jeune fille se change en rose et métamorphose le Prince en bourdon mais, durant l'opération, la baguette se retrouve trop loin pour qu'ils puissent l'employer à nouveau. Par chance, la rose se retrouve à proximité de la demeure de sa mère naturelle, qui, en tentant de cueillir la rose, voit du sang s'écouler de la tige. Soupçonnant quelque maléfice, elle convoque une Fée pour briser le sort et l'histoire se termine en mariage (avec le prince).

Pour ce qui est des "Contes populaires russes" (collectés par Afanassiev), plusieurs contes décrivent cette fameuse fuite magique (pour ceux que ça intéresse, il s'agit des contes 64, 74 et 82 de l'édition traduite et présentée par Lise Gruel-Apert).

Les trois contes diffèrent sur le contenu mais un élément central revient dans chacun des récits : le ou les héros sont chaque fois poursuivis par une Sorcière (qu'on pourrait qualifier de Hag) et doivent leur salut à trois éléments qu'ils jettent ou qui sont jetés dans les pattes de la Hag afin de ralentir sa progression.

- Jacob et Wilhelm Grimm sont deux linguistes et philologues (la philologie est l'étude d'une langue à partir de documents écrits) allemands du XVIII - XIXème siècle. On les connaît principalement grâce à l'impressionnante collection de contes collectés à travers les régions germanophones.

Malgré l'incroyable travail qu'ils ont réalisé, je déplore cependant qu'ils aient été obligés de retrancher, lisser ou fusionner le contenu de certains contes pour plaire au grand public.

- L'Ondine est une Élémentaire aquatique issue des traditions germaniques et dont l'homologue masculin est l'Ondin.

Cette créature, comparable à la Nymphe gréco-romaine est souvent dépeinte comme une superbe femme aux longs cheveux.

L'Ondine est associée au Nixe, un Élémentaire aquatique doté d'un solide appétit sexuel et considéré comme un Noyeur (une famille d'Élémentaires ayant pour habitude de noyer leurs victimes).

On trouve l'Ondine en eau douce : dans les lacs, sources, étangs et rivières.

- L'Ogre est un Géant cannibale qui apprécie tout particulièrement la chair des enfants. La femelle de ce colosse aux mœurs plus que discutables est l'Ogresse et son petit l'Ogrichon.

- Fort populaire dans la culture japonaise, l'Oni est un Yokai malfaisant doté d'une force colossale. Son aspect varie selon les versions mais il est souvent représenté comme un être humanoïde à la peau rouge - ou bleue -, doté de cornes et de canines pareilles à celles des sangliers.

- Les Bottes de Sept Lieues sont des objets magiques permettant à son porteur de parcourir 7 lieues en une enjambée.

Vu que la lieue correspond à la distance que peut parcourir un homme ou un cheval en une heure, il a été établi que cette unité correspond (grosso-modo) à 4 kilomètres. On peut donc en déduire que les bottes vous font parcourir 28 kilomètres à chaque pas.

- Alexandre Nikolaïevitch Afanasiev (1826 - 1871) était un folkloriste russe qui a accompli l'exploit de rassembler et éditer près de 600 contes (de la Russie et des pays environnants).

- Lise Gruel-Apert est une spécialiste de la langue et de la civilisation russe d'origine française. Elle a présenté un certain nombre d'ouvrages en rapport avec le folklore russe (dont les contes d'Afanasiev).

- Les Hags forment une famille d'Élémentaires (dont Jenny Greenteeth fait partie) que l'on retrouve dans le folklore d'Europe et d'Europe de l'Est. Ces créatures prennent souvent l'aspect de vieilles femmes tordues. Il s'agit plus ou moins de la version mythique et légendaire de la Sorcière.

Purification d'Izanagi et naissance de Kami :

Izanagi n'est pas sorti indemne de cette épreuve. Souillé par les impuretés du Yomi, il ne songe qu'à une chose : se purifier !

"Sur ces entrefaites L'Engageant s'exclama :
"Pouah ! Me voilà sorti de ce pays hideux ! Si sale !
Mon auguste personne, maintenant... il va falloir la purifier !"
- Extrait du chapitre X du Kojiki, traduit par Pierre Vinclair.

Il se rend à l'embouchure d'une rivière et enlève ses vêtements avant de gagner l'élément liquide. Sa canne, sa ceinture, sa jupe, sa veste, son pantalon, sa coiffe, ses bracelets. En tombant, tous ces objets se changent en Kami.

Débarrassé de ses effets, il se jette à l'eau et à force de se récurer il se débarrasse de la crasse du Royaume des Ténèbres qui se change en deux Kami de la saleté.

En plongeant sous les flots, il fait naître trois Supérieurs des flots.

Pour terminer sa toilette, Izanagi lave son œil gauche, son nez et son œil droit. De ces trois parties de son anatomie vont apparaître trois des Kami les plus révérés. De l'œil gauche naît Amaterasu Omikami (Grande Supérieure Brillante-au-Ciel), de son nez émerge Tsukuyomi no Mikoto (Maître-de-la-Nuit-Lunaire) et de son œil droit émerge Susano-O no Mikoto (Brave-Brusque-Impétueux).

Tsukuyomi no Mikoto
Représentation assez sombre (créée par James Walker) de Tsukuyomi, le Kami de la Lune (je vous rassure de suite, les rares estampes le représentant ne sont pas aussi griffues et menaçantes que celle illustration).

Au total, vingt-six Kami naissent de cette purification et trois d'entre-eux deviendront les souverains de ce monde en devenir.

Maintenant que nous savons comment sont apparus nos illustres Kami, il est temps de nous préparer pour la seconde partie qui mettra en scène une dispute entre un frère et une sœur qui faillit provoquer la fin de ce monde encore fragile et inachevé.

Informations complémentaires :

- Selon Claude Helft, la mort, les blessures et le sang sont impurs pour les Kami. Afin de se purifier de cette souillure, il convient de réciter des prières rituelles s'adressant aux Kami (des Noritô), de faire des offrandes dans les Sanctuaires Shintô ou de confier les vêtements ou parties souillées à l'élément liquide (comme l'a fait Izanagi). Cette purification par des ablutions est appelée Harae ou Harai.

Partie II - La disparition de la Lumière :

Le partage des Empires :

Voyant sa capacité à engendrer seul des Kami, Izanagi sourit et se tourne vers ses enfants : Amaterasu, Tsukuyomi et Susanoo.

À sa fille aînée Amaterasu, il offre son collier de pierres précieuses et fait d'elle la maîtresse de la Plaine-du-Haut-Ciel (le Royaume du ciel).

À son fils Tsukuyomi, il confie les provinces de la Nuit et à son fils cadet, Susanoo, il offre les Plaine-de-la-Mer (la Terre, qui n'est pour l'instant qu'une vaste étendue d'eau avec quelques îles de terre).

"Grandement, L'Engageant se réjouit :
"J'engendre des enfants les uns après les autres -
et voilà que j'en fais trois illustres d'un coup !"
Après ces mots il souleva, agita la chaînette
de pierres précieuses dont il se servait comme collier
et, la donnant à Brillante-au-Ciel, il lui dit :
"Oh ! Que Ta Majesté gouverne Plaine-du-Haut-Ciel" ;
l'auguste collier fut appelé Trésor-de-la-Résidence.

Après quoi il parla à Maître-de-la-Nuit-Lunaire :
"Oh ! Que Ta Majesté gouverne
les provinces de la Nuit" ;
et il lui confia ses responsabilités.

Enfin il dit à Brave-Brusque-Impétueux :
"Oh ! Que Ta Majesté gouverne Plaine-de-la-Mer."
- Chapitre XI du Kojiki, traduit par Pierre Vinclair.

Amaterasu et Tsukuyomi sont ravis par cette promotion et s'empressent d'accomplir leurs responsabilités. Susanoo, quant à lui, refuse l'offre de son père et comme un nourrisson capricieux se met à brailler à en faire trembler la création.

Pendant des semaines, des mois, des années, Susanoo pleure et vocifère, si bien qu'une barbe longue de huit pieds {huit mains} lui pousse.

"Il pleura et cria jusqu'à ce qu'une barbe
longue de huit poignées lui pousse et lui descende
à la poitrine - il pleurait tant que ses larmes
desséchèrent les montagnes vertes
et vidèrent de leur eau les rivières et les mers."
- Extrait du chapitre XII du Kojiki, traduit par Pierre Vinclair.

Susanoo-no-Mikoto
Représentation d'un Susanoo glabre créé par Christophe Bastin (les éclairs soulignent bien son rôle de Kami des Tempêtes).

Izanagi, voyant qu'au lieu d'assumer ses responsabilités son fils passe son temps à vagir, lui demande d'un ton peu amène ce qui lui arrive. Entre deux gémissements, Susanoo lui répond que sa mère (Izanami) lui manque et qu'il désire la rejoindre dans le Yomi.

Rendu furieux par les propos de son fils, Izanagi le chasse de son royaume.

Informations complémentaires :

- La Plaine-du-Haut-Ciel correspond au Takama-ga-hara (la "Haute Plaine du Paradis" où résident les Kami) et la Plaine-de-la-Mer n'est rien d'autre que l'Ashihara no Nakatsukuni (littéralement : le "Pays du Milieu des Roselières"), la Terre.

Un visiteur indésirable :

Avant de s'atteler à la finition de la Terre, Susanoo décide d'aller rendre visite à sa sœur Amaterasu dans son royaume de la Plaine-du-Haut-Ciel. Il quitte son fief naissant et emprunte Ame no ukihashi ("le pont céleste flottant"), la passerelle qui reliait la Terre aux cieux.

Loin d'être passée inaperçue la venue du frère de la Megami Solaire est annoncée par des tremblements qui secouent montagnes et rivières.

"Brave-Brusque-Impétueux dit :
"Si tel est mon devoir, je vais prendre congé
de ma sœur, Brillante-au-Ciel, et m'en aller."
Ayant prononcé ces paroles il monta jusqu'au Ciel,
secouant montagnes et rivières,
faisant trembler provinces et campagnes.
Brillante-au-Ciel, alarmée par ce vacarme, déclara :
"L'ascension au Ciel de mon auguste frère aîné
ne procède sans doute pas d'une bonne intention ;
il voudra m'arracher cette province mienne !"
- Chapitre XIII du Kojiki, traduit par Pierre Vinclair.

Inquiétée par le vacarme provoqué par Susanoo, Amaterasu pense que son frère est venu pour lui ravir sa province. Elle décide alors de se préparer à affronter son parent : elle dénoue ses cheveux pour les rassembler en deux nattes, hisse sur une épaule un carquois empli de plus de cinq cents flèches, hisse sur l'autre un second carquois rempli également de plus de cinq cents flèches, se noue un protège-coude en bambou, bande son arc verticalement et plante fermement ses jambes dans le sol ; projetant au passage de la terre dans toutes les directions.

Ainsi préparée, Amaterasu est capable de recevoir son frère comme il se doit !

Amaterasu Omikami
Amaterasu armée de son arc (décrit dans certaines versions comme étant : "aussi grand qu'elle") ; illustrée par Mirana Reveier (si l'aspect étrange des sandales vous rend perplexe, consultez les "Informations Complémentaires" de ce chapitre à propos des chaussures traditionnelles de type "Geta").

Informations complémentaires :

- Les Geta sont des chaussures traditionnelles japonaises qui peuvent prendre un grand nombre de formes. Elles ressemblent à des sandales de bois, rehaussées de "dents" sur la semelle. Portées le plus souvent avec un Kimono d'été (appelé : "Yukata"), les Geta sont faites avec du bois et du chanvre pour les paysans et avec du bois de saule rehaussé de laque avec une lanière en soie pour les Geisha.

La plupart des Geta possèdent deux dents ou bien une dent unique. Il existe des modèles assez "fantasques" comme l'Okobo (taillée d'un bloc avec une semelle très haute mais creuse) portées par les apprenties Geisha afin qu'elles ne salissent pas leur Kimono (en soie, donc fort onéreux) ou la Tengu Geta (dotée d'une seule dent rectangulaire et très haute, qui est placée au centre de la semelle), portée par les Tengu.

- La Geisha (littéralement : "personne qui pratique les arts") est une dame de compagnie du Japon, spécialisée dans les traditions du pays (cérémonie du thé, danse, musique, ...) et réservée aux bourses les plus rebondies (sans mauvais jeu de mot).

Les Geisha sont l'évolution des Taikomochi : des hommes (principalement) censés conseiller et divertir leur souverain (à la manière des bouffons du Moyen-Âge occidental). Les premiers Geisha - apparus au XVIIIème siècle - étaient donc souvent des hommes, censés distraire les clients dans les salons de thé.

Les Geisha féminines étaient appelées à l'époque : Onna Geisha, ce qui signifie : "femme Geisha". Avec le temps les hommes Geisha se firent rares et ils prirent le nom : d' Otoko Geisha (littéralement : "homme Geisha") pour être différenciés de leurs collègues de sexe féminin.

- Le Tengu (littéralement : "renard des cieux" ou "chien céleste") est l'un des Yokaî les plus populaires au Japon. Craint et respecté (parfois vu comme un Kami des montagnes et des forêts), le Tengu est une créature humanoïde à mi-chemin entre l'homme et l'oiseau. On le reconnaît à ses ailes et à son visage rougeaud surmonté d'un nez proéminent écarlate (qui est parfois remplacé par un bec).

Tengu
Représentation d'un Tengu chaussé de ses Tengu Geta.

Le serment :

Attendu de pied ferme, Susanoo n'a que le temps de saluer sa sœur avant qu'elle ne lui demande, d'un ton cassant, les raisons de sa venue. Fronçant les sourcils, Susanoo raconte comment son père Izanagi l'a banni de son royaume et lui déclare qu'il n'est venu que pour lui faire ses adieux.

Soupçonneuse, Amaterasu demande à son frère de lui prouver qu'il n'a aucune mauvaise intention. En toute bonne foi, le Kami des Tempêtes lui propose un marché : tous les deux doivent prêter serment et engendrer des Kami en s'unissant.

"Pour prendre congé de toi et pour te dire adieu - c'est tout -
je suis monté au Ciel où tu résides - crois-moi,
aucune mauvaise intention." Alors
Sa Majesté Brillante-au-Ciel demanda :
"C'est peut-être le cas, mais, dis-moi, comment m'en assurer ?"
Et l'autre répondit : "Il nous faut nous unir, par serment -
et en faisant des enfants."
- Chapitre XIII du Kojiki, traduit par Pierre Vinclair.

Chacun posté sur une rive de la Rivière-Tranquille-du-Ciel (appelée également : Rivière du Ciel) les deux Kami s'engagent solennellement. Ensuite, Amaterasu demande à son frère de lui donner son sabre de dix poignées, qu'elle brise en trois morceaux pour ensuite les laver dans le Puits-de-Vérité-du-Ciel. Une fois les morceaux étincelants purifiés, elle les pulvérise de ses mains et en soufflant sur cette poudre argentée, elle donne naissance à trois délicates Megami.

De son côté, Susanoo demande à sa sœur de lui confier les chaînes ornées de joyaux qui parent sa natte droite, sa natte gauche, ceignent son front et protègent son bras droit. Après avoir lavé les joyaux dans le Puits-de-Vérité-du-Ciel, il broie par quatre fois les bijoux, souffle au fur et à mesure sur cette poudre précieuse et génére cinq Kami de sexe masculin.

Amaterasu Omikami
Représentation d'Amaterasu en armure (illustration de Lalilulelo2003). Notez le miroir niché sous son cou, ce dernier sera très important pour la suite du mythe.

Contemplant le résultat final, Amaterasu déclare à son frère que les cinq Kami provenant d'éléments qui lui appartenaient (ses bijoux) sont ses rejetons, tandis que les trois Megami qui proviennent des fragments de son arme lui sont dédiés.

Entendant ces paroles, Susanoo déclara à sa sœur que ces trois délicates Megami qu'il venait d'engendrer - par le biais de son épée - sont la preuve de la pureté de ses intentions.

Informations complémentaires :

- Il existe des variantes de ce chapitre qui devraient vous aider à mieux comprendre ce texte quelque peu confus...

Dans la version de Claude Helft ("La Mythologie Japonaise"), Amaterasu demande à son frère un moyen de prouver que ses intentions ne sont pas néfastes. Susanoo lui répond qu'il va créer des Kami. Dans le cas où ces Esprits sont de sexe masculin, il aura prouvé qu'il est de bonne foi et il confiera ces derniers aux bons soins de sa sœur ; dans le cas où les Kami sont de sexe féminin, il les gardera pour lui. Il demande également à son aînée d'engendrer des enfants.

Les deux Kami se placent de chaque côté de la rivière et creusent trois puits. Amaterasu et Susanoo accomplissent le même rituel que celui décrit dans le chapitre et font naître trois Megami et cinq Kami.

Ayant engendré des fils, Susanoo a prouvé que ses intentions n'étaient pas malfaisantes. Il offre ses fils à sa sœur qui en retour lui confie ses filles. Cet échange de rejetons était le plan de Susanoo : avoir des descendants d'un Supérieur céleste pour relier la terre aux cieux et y laisser ses propres rejetons pour qu'il devienne l'allié du royaume céleste.

Une autre version explique que pour prouver sa bonne foi, Amaterasu lui demande de participer à un concours aux règles simples : le premier des deux qui parvient à engendrer un Kami mâle est déclaré vainqueur.

Comme vous le savez déjà, Amaterasu donne naissance à trois Megami et Susanoo à cinq Kami. Les deux parents se disputent au sujet de qui a engendré qui, mais, finalement, Susanoo se proclame vainqueur.

On peut donc dire qu'il s'agissait d'un rituel ou concours que le Kami des Tempêtes se devait de remporter pour prouver à sa sœur qu'il n'était pas animé de mauvaises intentions en venant lui rendre visite.

Le seigneur des Tempêtes se déchaîne :

Enivré par cette victoire remportée sur sa sœur, Susanoo commence à saccager la Plaine-du-Haut-Ciel. Il détruit les allées bordant les champs de riz, remblaie les canneaux d'irrigation et va même jusqu'à recouvrir l'un des palais de sa parente avec ses déjections...

Nullement impressionnée par les actes de vandalisme de Susanoo, Amaterasu reste de marbre face à ce déchaînement de sauvagerie. Pire ! Elle va même jusqu'à lui trouver des excuses.

"Malgré cela, Brillante-au-Ciel ne lui reprochera rien,
se contentant de dire "Ce qui ressemble
à ses excréments doit être
ce que mon auguste grand frère, saoul, aura vomi.
Quant à détruire mes allées sillonnant les champs de riz
et remplir les canaux d'irrigation de mon domaine,
c'est sans nul doute qu'il ne supporte le gâchis."
- Chapitre XV du Kojiki, traduit par Pierre Vinclair.

Amaterasu Omikami
Amaterasu selon Marthe & Ward.

De son côté, le Kami des Tempêtes, pris de frénésie, saccage de plus belle les terres de son aînée et finit par aller trop loin. Alors que sa sœur veille dans l'atelier sacré, chargé de tisser les tenues des Supérieurs, Susanoo pratique un trou dans la toiture et y balance la lourde carcasse écorchée d'un étalon pie. À la vue de cette vision d'horreur, Amaterasu recule brusquement et s'empale douloureusement sur les broches de son métier à tisser.

Informations complémentaires :

- Dans "La Mythologie Japonaise", les excès de Susanoo sont provoqués par sa jalousie à la vue du royaume parfait et harmonieux que possède son aînée.

Dans une autre version, c'est une suivante, qui, de peur, s'ouvre le ventre avec un fuseau et répand ses entrailles au sol (et non Amaterasu qui se blesse).

Les Ténèbres règnent :

Prise de panique, son éblouissante tenue éclaboussée de sang, Amaterasu s'enfuit le plus loin possible de ce cauchemar. Elle parcourt la lande et termine sa course, hors d'haleine, devant l'ouverture béante d'Amano-Iwato : une grotte bordée de lourds rochers.

Toujours sous le coup de l'émotion, Amaterasu décide de se cacher dans la caverne et en obstrue l'entrée avec un lourd rocher. Privée de la lumière prodiguée par la déesse solaire, la Plaine-du-Haut-Ciel et la Terre se retrouvent plongées dans les ténèbres. Ainsi commença la nuit sans fin.

De l'obscurité s'élevèrent les cris de centaines de Kami inquiétés par ce funeste présage.

"Terrifiée par ce spectacle, par cette horreur,
Brillante-au-Ciel referma
derrière elle la porte de la Caverne au Ciel
et elle la condamna, s'y calfeutrant ;
mais alors, sans soleil, Plaine-du-Haut-Ciel -
ainsi que la province centrale de Plaines-de-Roseaux -
furent plongées dans les noires ténèbres.
La nuit éternelle triompha.

S'élevèrent alors une myriade de voix supérieures,
pareilles au bourdonnement des mouches qui pullulent
en mai avec une myriade de mauvais présages."
- Chapitre XVI du Kojiki, traduit par Pierre Vinclair.

Informations complémentaires :

- Amano-Iwato (littéralement : "Grotte Céleste"ou "Grotte de la Kami du Soleil") est la grotte où Amaterasu s'est réfugiée suite aux méfaits de son frère Susanoo. Selon les dires, cette caverne se trouve dans le bourg japonais de Takachiho, dans la Préfecture de Miyazaki (située au sud de l'archipel).

Le plan du Kami de la Ruse :

Pour trouver le moyen de faire sortir Amaterasu de sa retraite et ainsi mettre fin aux ténèbres, les huit-cents Kami-gami se réunirent au milieu du lit de la Rivière-Tranquille afin d'échafauder un plan.

"Par suite le cénacle de huit cents Supérieurs
fut constitué en divine assemblée,
au milieu du lit de Rivière-Tranquille."
- Chapitre XVI du Kojiki, traduit par Pierre Vinclair.

Omoïkane (appelé aussi : "Le Supérieur Contenant-Toutes-les-Pensées"), le Kami de la Ruse, a justement une idée. Il demande à quelques Kami de rassembler tous les coqs qu'ils pourront trouver, et de les disposer au sommet du Torii placé devant le refuge d'Amaterasu, pour qu'ils fassent venir le Soleil de leurs chants.

Sachant parfaitement que cette sérénade aviaire serait insuffisante pour que revienne la lumière, Omoïkane envoie également d'autres Kami extraire du minerai de fer dans les Mines Célestes. Dès que les matières premières sont arrivées, il réquisitionne les forgerons Céleste-Cyclope (un artisan borgne, d'où le nom) et Sa Majesté Vieille-du-Fer-Rigidifié, pour la fabrication d'un miroir et ordonne au Kami Ancêtre-aux-Bijoux (qu'on appelle parfois : "Le Céleste Bijoutier"), de forger une chaîne longue de huit pieds incrustée de cinq cents bijoux étincelants.

Amaterasu emerging out of a cave
Splendide estampe de Kadama Matahichi (créée en 1887) représentant la Kami du Soleil Amaterasu en train de sortir glorieusement de la caverne. Notez au centre la Megami en train d'exécuter une danse et le coq à ses côtés.

Pour finaliser son plan, le Kami de la Ruse fait appel à deux dernier Esprits : Sa Majesté Seigneur-Ancestral-du-Signe-Céleste et Sa Majesté Bijoux-Magnifiques. Il les envoie au Mont des Biches récolter des ingrédients : l'omoplate d'un cerf et l'écorce d'un cerisier pour réaliser un rite magique. En sus de ces ingrédients, le duo de Kami doit déraciner un sakaki aux cinq cents branches et le replanter près de la grotte où s'est réfugiée Amaterasu.

Une fois le végétal ramifié planté en terre, les Esprits se hâtent d'attacher la chaîne étincelante au sommet des branches du sakaki ; ils fixent aux maillons du milieu le miroir de huit pieds et déposent au bas de l'arbre des offranches blanches et bleues pour symboliser la paix.

Informations complémentaires :

- Pour rappel, "Kami-gami" est le terme employé pour montrer qu'il y a plusieurs Kami. Étant donné que pour cette réunion, tous les Esprits de la création sont réunis, j'ai jugé utile de faire appel à ce mot.

- Les versions ne s'accordent guère sur le nombre de Kami présents. Le "Kojiki" en dénombre huit cents, "La Mythologie Japonaise" huit-cent-mille et certains écrits portent le nombre total de Kami-gami à huit millions (terme censé représenter l'infini). Une chose est cependant sûre : tous les Kami-gami, du plus petit au plus illustre sont réunis.

- Omoïkane-no-Kami, surnommé : "Celui qui a des idées" est le fils de Takaminusubi le "Haut Créateur", qu'on appelle également : Auguste-et-Haut-Merveilleux-Producteur (pour plus d'informations à son sujet, consultez les "Informations complémentaires" du chapitre intitulé : "Naissance du premier couple Kami").

Selon Jean Herbert (auteur de "Les Dieux nationaux du Japon"), Omoïkane incarne la pensée mentale.

- Lorsque les Kami rassemblent certains volatiles devant la caverne d'Amaterasu, ma version du "Kojiki" ne parle par vraiment de coqs. Les oiseaux en question sont décrits comme tel :

"...regroupant les oiseaux-chanteurs de la nuit éternelle et les faisant chanter"
- Chapitre XVI du Kojiki, traduit par Pierre Vinclair.

Étant donné que les autres versions - sans oublier la plupart des estampes sur le sujet - mentionnent ou dépeignent des coqs, je me suis permis cette liberté pour rendre votre lecture plus aisée.

- Autre changement de ma part : le passage où un arbuste est déraciné.

le "Kojiki" parle d'une "corète à cinq cents branches". D'après mes recherches, la corète du Japon est un arbrisseau doté d'une végétation foisonnante, décoré de fleurs jaunes du plus bel effet. Mais en dehors de ses qualités esthétiques... il est impossible de faire tenir un miroir de fer et une lourde chaîne incrustée sur un tel végétal. Le sakaki (ou Cleyera japonica), un arbre robuste qui pousse dans les régions chaudes du Japon, semble plus approprié pour cette situation.

- L'Ancêtre-aux-Bijoux (ou Amenoakarutama) est un Kami spécialisé dans l'orfèvrerie qui descendra plus tard sur Terre pour accompagner le petit-fils d'Amaterasu : Ninigi (vous trouverez des notes à son sujet dans les "Informations complémentaires" du chapitre intitulé : "Amaterasu et sa descendance").

- Un Torii (appelé également Tori-i) est un portail japonais menant aux Sanctuaires Shinto. Cet édifice est censé séparer le monde matériel du monde des Kami, raison pour laquelle toute personne le traversant, se doit de l'emprunter dans l'autre sens (afin de regagner le monde profane).

Le Torii est constitué - le plus souvent - de deux piliers verticaux (en bois, pierre, bronze ou béton) de couleur rouge ou noire, supportant un ou deux lintaux horizontaux supérieurs et un lintau inférieur.

Tori-i
Illustration de Katrina Lin où l'on peut y voir représenté un Torii (sur la droite).

Le mot "torii" signifie littéralement : "là où sont les oiseaux" (ou "perchoir à oiseaux"). Le choix d'un tel titre est bien entendu lié aux coqs et à l'épisode mythologique où ces derniers chantent perchés sur un Torii pour ramener la lumière du Soleil.

- Si le miroir décrit dans le "Kojiki" est forgé grâce à du fer, l'ouvrage : "La Mythologie Japonaise" prétend qu'il a été fabriqué avec du cuivre.

Étant donné que le fer a commencé à être employé couramment au Japon vers le II ou IIIème siècle, la description d'un miroir de fer n'est pas erronnée.

Savoir avec quoi cet objet a été créé semble relever du détail, mais vous découvrirez que ce miroir est fort important pour l'histoire et la culture japonaise.

- Le rite magique lié à l'omoplate de cerf est une Divination (je ne l'ai pas mentionné dans le texte pour l'alléger un peu).

- Pour rappel, la Divination est une pratique magique employée pour découvrir ce qui est caché : le passé ou l'avenir, des trésors dissimulés, ...

- Selon "L'Église et les Religions Non Chrétiennes au Seuil du XXIème Siècle" d'Henry van Straelen, brûler une omoplate de cerf est un rituel de Divination qui permet de connaître la volonté de la Kami Amaterasu.

Cette pratique est peut-être encore utilisée de nos jours par la famille impériale, pour déterminer les jours fastes et néfastes.

À ce propos, les "Mythes Chinois" d'Anne Birrell mentionnent que les prêtres Chinois de la Dynastie Shang se servaient d'ossements gravés d'inscriptions pour pratiquer la Divination.

- La Dynastie Shang (appelée également : "Dynastie Yin") est la seconde dynastie royale a avoir régné sur la Chine. Elle a duré aproximativement de -1570 à -1045.

Une danse étrange :

Pendant que Sa Majesté Bijoux-Magnifiques termine de disposer les dernières offrandes, Sa Majesté Seigneur-Ancestral-du-Signe-Céleste récite des prières rituelles et Ame-no-Tajikarao (un Kami de la force guerrière) se dissimule près de l'entrée obstruée de la caverne d'Amaterasu.

Voyant que tout est fin prêt, Ame-no-Uzume (la Megami de la bonne humeur) rajoute la touche finale. Elle pare sa chevelure de feuilles de sakaki, se tisse une écharpe de plantes vivaces et dispose dans le creux de ses mains les feuilles d'un bambou nain. Ainsi recouverte de ces ornements végétaux, elle bondit sur une caisse de résonnance - placée devant la grotte - et entame une danse étrange. Comme possédée, Ame-no-Uzume frappe de ses pieds l'instrument qui en retour produit un vacarme épouvantable. Elle va même jusqu'à relever sa jupe et exhiber sa poitrine et son sexe en faisant face aux autres Kami-gami.

Uzume
Création (de Celeste Agnes) représentant Ame-no-Uzume en train de danser pour faire sortir Amaterasu de sa cachette (vous remarquerez qu'elle danse sur une sorte de tambour avec à ses côtés un coq).

À la vue de cette petite Megami en train de se tortiller, les huit cents Kami-gami ne peuvent s'empécher de rire à gorge déployée. Le tintamarre provoqué par cette hilarité divine est plus fort que le déchaînement d'une tempête.

"Sa Majesté Céleste-Alarmante - s'attachant
au céleste lycopode du Mont des Biches
comme si c'était une corde,
faisant de l'arbre de fusain sa coiffe,
et ligotant dans le creux de ses mains
(comme dans un bouquet) les feuilles d'un bambou
du céleste Mont des Biches ;
posant une caisse de résonance devant la porte en pierre
derrière laquelle résidait la Céleste Supérieure,
donnant des coups de pied jusqu'à ce que les sons
résonnent, et faisant tout cela comme si elle était possédée -
exhiba sa poitrine, tira sur ses tétons
et abaissa sa jupe si bien que son sexe apparut.
Alors Plaine-du-Haut-Ciel trembla et les huit cents
Supérieurs réunis pouffèrent du même rire."
- Chapitre XVI du Kojiki, traduit par Pierre Vinclair.

Informations complémentaires :

- Ame-no-Tajikarao (qu'on appelle également : le "Supérieur-à-la-Main-Puissante") est un Kami de la force brute, des sports et de l'effort physique. On le représente souvent sur les estampes en train de soulever le rocher de la grotte d'Amaterasu pour l'empêcher de regagner l'obscurité.

- Ame-no-Uzume-no-Mikoto (qu'on appelle également : Uzume), est la Megami de l'aurore (à cause de sa danse qui a provoqué le retour de la lumière), de la joie et de la fête.

- "La Mythologie Japonaise" suppose que la danse d'Uzume était une supplique adressée à la Kami Solaire afin que les ténèbres cèdent leur place à la lumière. Le fait qu'elle montre son intimité et sa poitrine suggère que sans lumière, aucun nourrisson ne pourra naître de sa matrice et encore moins téter son lait.

La Megami plus brillante qu'Amaterasu :

Intriguée par ce rire puissant, Amaterasu entrouvre la "porte" de la caverne pour voir ce qui provoque la joie de ses pairs ; malgré son absence qui plonge le monde dans les ténèbres.

De sa grotte, elle demande aux Kami-gami la raison de cette explosion de bonne humeur. Uzume, juchée sur son perchoir musical, lui répond qu'ils sont en liesse car ils ont découvert une Megami plus brillante qu'Amaterasu.

"Ces évènements ne manquèrent pas d'étonner Sa Majesté Brillante-au-Ciel.
Entrebâillant doucement la porte de la Caverne du Ciel, elle parla ainsi,
depuis l'intérieur :

"Il me semblait qu'à cause
de ma retraite Plaine-du-Ciel dût être sombre
ainsi que la province centrale de Plaine-de-Roseaux -
toutes deux plongées dans les ténèbres.
Pourquoi dès lors autant de joie ?
Et comment Céleste-Alarmante peut-elle être si gaie ?
Comment les huit cents Supérieurs
assemblés peuvent-ils rire ainsi aux éclats ?"

Alors Sa Majesté Céleste-Alarmante répliqua :
"Nous sommes heureux et nous nous réjouissons
parce qu'il existe une Supérieure plus brillante
encore que Vous !"
- Chapitre XVI du Kojiki, traduit par Pierre Vinclair.

Alors qu'Uzume s'entretient avec la Kami solaire, Bijoux-Magnifiques et Seigneur-Ancestral-du-Signe-Céleste en profitent pour décrocher de l'arbre le miroir de huit pieds de long et l'amener en face de la grotte où s'est réfugiée Amaterasu.

Piquée de curiosité, la Megami du Soleil, écarte les rochers qui encombrent l'entrée de son repaire et s'approche pour contempler cette rivale qui lui fait de l'ombre. Amaterasu se retrouve face à un reflet éclatant d'elle même (grâce à la lumière réfléchie).

Amaterasu Omikami
Amaterasu subjuguée par son propre reflet (une création de Jessica Oyhenart).

Profitant de l'inattention de la Megami, Ame-no-Tajikarao saisit fermement l'épaule d'Amaterasu, l'empêchant ainsi de regagner les ténèbres d'Amano-Iwato.

Sortie de sa cachette, la lumière incarnée ne tarde pas à éclairer à nouveau la Plaine-du-Haut-Ciel et la Terre. Les Kami-gami laissent éclater leur joie de voir l'obscurité reculer et l'aurore poindre.

"Et comme Sa Majesté Brillante-au-Ciel était sortie, Plaine-du-Haut-Ciel ainsi
que la province centrale de Plaines-de-Roseaux furent de nouveau éclairés."
- Chapitre XVI du Kojiki, traduit par Pierre Vinclair.

Informations complémentaires :

- L'épisode où Amaterasu se fait retenir par les Kami possède plusieurs variantes :
- la Megami Solaire est maintenue par la poigne d'Ame-no-Tajikarao et son "auguste postérieur" est également retenu par le lasso de Sa Majesté Bijoux-Magnifiques (une bien curieuse façon de retenir son prochain) ;
- le Kami de la force guerrière barre l'entrée de la caverne avec une corde en paille de riz, empêchant ainsi Amaterasu de retourner dans la grotte.

- Les cordes sacrées (appelées : Shimenawa), constituées de torsades de paille de riz, sont employées au Japon pour délimiter un espace sacré (un Sanctuaire Shinto par exemple).

Lorsque le Shiwenawa entoure une pierre, un rocher, un arbre, ... c'est pour marquer le territoire d'un Kami et interdire de souiller sa pureté avec des immondices.

Selon les croyances Shintoïstes, le Shiwenawa sert de lien entre le monde des Esprits et le nôtre.

- Il existe également un autre type de "décoration" sacrée : le Gohei. Il s'agit d'une bande de papier pliée en forme de double éclair ou de zébrure (qu'on fixe aux cordes sacrées ou au bout d'une baguette de purification).

Les Gohei sont des objets protecteurs censés représenter les bras des Kami qui emprisonnent les Esprits malfaisants (pour être efficaces, les Gohei doivent être au préalable purifiés avec du sel).

- Yata no Kagami est le nom du fameux miroir (en fer, en cuivre ou en bronze) qui sert à leurrer la Kami solaire.

Yata no Kagami est un miroir octogonal (d'où son surnom de : "miroir de huit pieds") qui incarne la sagesse et l'honnêteté. Il est également l'un des Trois Trésors Impériaux du Japon (nous reparlerons de ce sujet dans un prochain chapitre).

Le jugement de Susanoo :

Maintenant que les choses sont revenues à la normale, il est temps pour les huit cents Kami-gami de se réunir à nouveau afin de discuter du sort de celui qui avait amené les ténèbres...

Après une longue délibération, ils décidèrent de punir sévèrement Susanoo pour ses crimes. Non contents de lui faire payer un lourd tribu et de le bannir, ils imposent au Kami des Tempêtes de couper sa barbe et de tailler ses ongles de mains et de pieds !

Sur ces entrefaites, les huit cents Supérieurs tinrent conseil.

"Ils imposèrent à Brave-Brusque-Impétueux
de payer une énorme amende, de se couper la barbe,
de se tailler les ongles des doigts et des orteils
et le mirent à la porte - divine expulsion !"
- Chapitre XVII du Kojiki, traduit par Pierre Vinclair.

Pour obliger Susanoo à rester dans son royaume, les Kami-gami détruisent le pont qui reliait la Plaine-du-Haut-Ciel à la Terre. Le fier Susanoo se retrouve sans rien dans son fief inachevé. Poussé par la faim, il implore la Uke Mochi (une Megami de la nourriture) de lui offrir des vivres. Prise de pitié, Uke Mochi consent à l'aider. Elle extirpe la nourriture de son nez, de sa bouche et de son fondement et transforme ces aliments en de succulents repas qu'elle offre au Kami. Écœuré à la vue de ce spectacle, Susanoo dégaine son épée et trucide sa bienfaitrice. Son corps sanguinolent donnera naissance aux vers à soie, aux germes de riz, au millet, aux haricots rouges, l'orge et le soja. Des bienfaits qu'utilisera le Kami Divin-Merveilleux-Producteur pour ensemencer le monde.

Répudié par les siens, Susanoo n'aura d'autre choix que de continuer l'œuvre de son ancêtre Izanagi. Sur cette terre inachevée, le Kami des Tempêtes affrontera des obstacles insurmontables et trouvera l'amour. Avant de découvrir son exploit le plus fameux, je vous propose de vous attarder encore un peu sur sa sœur, Amaterasu.

Amaterasu emerging out of a cave
Estampe (dont l'auteur m'est inconnu) représentant Amaterasu en train de sortir de la grotte (amusez-vous à trouver Uzume dans la scène).

Informations complémentaires :

- Je n'ai pas pu trouver d'explication claire et précise sur l'obligation de Susanoo de se couper les ongles et la barbe. Cependant j'ai pu dénicher des bouts d'information ici et là.

Dans de nombreuses cultures, le port de la barbe est un signe de virilité, la couper pourrait symboliser l'émasculation (la castration si vous préférez).

Pour ce qui est des ongles, les nobles, les érudits et les étudiants chinois avaient pour habitude de se laisser pousser les "appendices kératineux" pour montrer qu'ils ne se servaient pas de leurs mains pour travailler (et gagner de quoi se nourrir). La coupe des ongles de Susanoo est peut-être une manière de faire comprendre au Kami qu'il devra désormais se salir les mains pour survivre.

Dans l' "Histoire et Description Générale du Japon - Tome Premier" (livre rédigé au XVIIIème siècle par Pierre-François-Xavier de Charlevoix, un historien jésuite d'origine française), on trouve quelques données sur l'interdit de couper la pilosité ou les ongles, voyez plutôt :

"Quelques Auteurs ont écrit, qu'il n'étoit pas permis de lui couper les cheveux, ni la barbe, ni les ongles ; mais Kœmpfer nous affûre {assure} qu'on lui rend ces petits fervices {services}, tandis qu'il dort."
- Pierre-François-Xavier de Charlevoix, l' "Histoire et Description Générale du Japon - Tome Premier".

Étant donné que l'Empereur est censé être de lignage divin, porter la main sur sa personne ou montrer qu'il est humain ne devait pas être bien vu. La coupe des ongles et de la barbe pourrait représenter la destitution de Susanoo de son rang de Kami.

- Ukemochi-no-kami (littéralement : "Kami qui possède la nourriture") ou Princesse-de-la-Grande-Nourriture est - comme son nom l'indique - une Megami des aliments.

À ce propos, il existe une variante plus ancienne de la mort d'Uke Mochi. Dans cette version, la Megami invite Amaterasu à partager son repas. La Kami solaire ne pouvant pas venir, elle envoie son frère Tsukuyomi, le Kami de la Lune pour la représenter.

Voulant honorer son invité, Uke Mochi lui prépare - d'une curieuse façon - un festin. Elle fait face à la mer et régurgite des poissons ; elle contemple les champs et régurgite du riz bouilli ; elle se tourne vers la forêt et fait apparaître du gibier. Offensé par cette façon originale de servir le repas, Tsukuyomi la tue sans autre forme de procès.

En apprenant le meurtre d'Uke Mochi, Amaterasu entre dans une colère noire et refuse à jamais de revoir son frère. Depuis ce moment, le Soleil et la Lune bougent dans le ciel sans jamais se croiser (cette dispute à donc contribué à créer le cycle jour/nuit).

- Le Kami Divin-Merveilleux-Producteur est peut-être Inari, le Kami du Riz, du commerce et de la protection des maisons. Suivant les versions, Inari est représenté sous la forme d'un vieil homme, d'une vieille femme ou d'un Kitsune ("renard"). Il est parfois vu comme l'époux de la défunte Uke Mochi, ce qui m'incite à penser que le Divin-Merveilleux-Producteur et lui ne font qu'un.

- Le Kitsune est à la fois un renard et à la fois un Yokai (capable de se métamorphoser pour jouer des tours aux humains).

Amaterasu et sa descendance :

Amaterasu-omikami ("omikami" signifiant : "grand Kami") ou "Amaterasu-Sume-Okami" (littéralement : "Grand Kami Impérial Illuminant le Ciel") est - sans surprise - une Megami qui incarne le Soleil (ou sa lumière qu'elle répand sur les mondes). À ce propos, les théologiens ne sont pas sûrs de la nature véritable de la Kami. Est-elle le Soleil, la lumière solaire ou est-elle plutôt une Megami contrôlant l'astre ? Une réponse valable n'a pas encore pu être fournie mais les Japonais ont pour habitude d'appeler le Soleil sous deux noms : O-Tento-sama pour sa forme de Kami et Taiyo pour sa forme physique.

Amaterasu Omikami
Amaterasu selon Christophe Bastin (n'hésitez pas à cliquer sur le lien pour voir de plus près son travail créatif).

Outre sa fonction de pourvoyeuse de lumière, Amaterasu serait - selon certaines sources - celle qui a introduit la culture du blé, du riz et des vers à soie. Étrangement, le "Kojiki" nous précise que les vers à soie et le riz proviennent du cadavre d'Uke Mochi (voir chapitre précédent) et ont été récupérés par Divin-Merveilleux-Producteur afin d'en faire bénéficier le monde. Vu que les mythes ont parfois tendance à se contredire, les deux versions restent donc valables.

La Megami solaire est encore fort populaire au Japon puisque tous les Empereurs sont censés être ses descendants. Le drapeau japonais (un cercle rouge sur fond blanc) est d'ailleurs une représentation d'Amaterasu. Par le passé, pour honorer la Megami, on envoyait les princesses impériales non mariées au Grand Sanctuaire d'Ise (Ise-Jingu) afin qu'elles deviennent prêtresses.

Pour ce qui est de son histoire, Amaterasu est née de l'œil gauche d'Izanagi, à l'instant où ce dernier s'est purifié de la souillure du Yomi grâce à des ablutions.

La Megami du Soleil héritera de La Plaine-du-Haut-Ciel (Takama-ga-hara) qu'elle partagera avec son frère le Kami de la Lune Tsukuyomi (vu que les deux sont en conflit, on peut supposer qu'ils se déplacent en permanence ou qu'ils ont chacun leur résidence afin d'éviter une désagréable rencontre).

Peu après son intronisation, Amaterasu devra faire face aux caprices de son frère Susanoo (expliqués en long, en large et en travers dans les chapitres ultérieurs) qui la forceront à se réfugier dans une grotte (appelée : "Amano-Iwato"), provoquant la disparition de la lumière dans le monde des hommes et celui des Kami.

Résolus à faire sortir la Megami solaire les Kami-gami élaborent un plan pour faire revenir la lumière sur les mondes. Ils amènent des coqs, forgent un miroir de métal et demandent à la Megami Uzume de produire une danse qui provoquera l'hilarité des Kami-gami.

Intriguée d'entendre les Esprits s'esclaffer de la sorte, Amaterasu entrouvre la "porte" de son antre et découvre une Megami rivale plus éclatante qu'elle (son reflet dans le miroir). Forcée de sortir de sa retraite, Amaterasu promet de ne plus fuir et la lumière illumine à nouveau les mondes.

Passé la joie d'être revenus dans un monde lumineux, les Kami-gami décident de punir Susanoo en le banissant du royaume de sa sœur. Le Kami des Tempêtes se fera plus tard pardonner, en offrant à son aînée un précieux cadeau (dont nous parlerons bientôt).

Des générations de Kami plus tard, Amaterasu enverra le Kami du Feu (Futsu-Nuchi) et le Kami de la Foudre (Take-mika-zuchi) à Izumo pour ordonner à Okuninushi (l'un des descendants de Susanoo) de céder son trône. Devant la puissance de ses adversaires, Okuninushi offre sa place à une condition : qu'ils aillent faire la même demande à ses deux fils. Si le premier rejeton (nommé : Kotoshironushi) du maître de la Terre accepte l'offre des deux Kami, le second (appelé Take-Minakata) prendra les armes contres les envoyés du Ciel. Après une lutte aussi brève que brutale, le fils d'Okuninushi, amputé d'une main, acceptera de céder le royaume.

Amaterasu and the Magatama
Amaterasu tenant -probablement - entre ses mains le Yasakani no Magata, l'un des trois trésors impériaux du Japon (illustration de Felix Hidayat).

Voyant que la voie est dégagée, Amaterasu envoie le Kami Nigihayahi (ou Nigi-haya-hi) avec les trois trésors impériaux du Japon pour qu'il mène à bien sa mission : terminer la Terre. Débordé par la tâche colossale qui lui incombe, Nigihayahi oublie de faire son rapport aux Kami-gami. Soucieux de voir ce travail enfin achevé, ces derniers décident d'envoyer un autre Esprit - appelé : Amewakahiko - qui négligera ses tâches et paiera son oisiveté de sa vie.

Après ces deux échecs, Amaterasu décidera de faire appel à l'un de ses propres enfants : Amenooshihomimi (l'un des Kami né grâce au rituel d'Amaterasu et Susanoo). L'enfant de la Megami solaire, débordé, préfèrera confier son fardeau à son propre fils : Ninigi-no-Mikoto, dont l'arrière petit-fils deviendra le premier Empereur du Japon (l'Empereur Jinmu ou Iwarebiko).

Informations complémentaires :

- Le drapeau japonais - censé représenter la Megami Amaterasu - est connu sous deux formes principales. L'Hinomaru (littéralement : "drapeau au disque solaire") se présente sous la forme d'un disque rouge sur fond blanc tandis que le Jyurokujo-kyokujitsu-ki (employé à l'origine quand le pays était en guerre) part du même modèle mais ajoute un nombre variable de rayons de soleil rougeoyants.

- Le Sanctuaire d'Ise est considéré comme étant le lieu le plus important et le plus sacré du Shintoïsme. Le sanctuaire se trouve dans la ville d'Ise, elle même située dans la Préfecture de Mie (qui se trouve au Sud de l'archipel et à l'Est de l'île de Honshu).

Composé de centaines de bâtiments, Ise-Jingu possède deux sanctuaires principaux : le sanctuaire intérieur (kotai-jingu) consacré à la Kami Amaterasu et le sanctuaire extérieur (toyoke daijingu), associé à Toyouke Omikami.

- Toyouke Omikami est une Megami censée représenter les aliments, le commerce et l'industrie. Elle serait la petite-fille d'Izanagi.

- Izumo est une ancienne Province du Japon. Selon les mythes, c'est là où se trouve l'entrée scellée du Yomi, la tombe d'Izanami, le lieu où s'est déroulée la bataille entre Susanoo et Yamata-no-Orochi et c'est également sur ces terres qu'Okuninushi a renoncé à son trône.

- Pour ceux qui désirent en savoir plus sur le Kami Okuninushi, veuillez consulter les Informations complémentaires de ce texte en vous rendant au chapitre intitulé : "Meurtre de Kagu-tsuchi et voyage au Royaume des Ténèbres".

- Takeminakata-no-kami ou Suwa Myojin (littéralement : "Kami étincelant de Suwa") est également l'un des rejetons d'Okuninushi.

Le Kami du Feu et le Kami de la Foudre, venus demander au fils d'Okuninushi d'abdiquer, le découvrent en train de porter un rocher gigantesque avec le bout de ses doigts. Après avoir entendu les ordres du Kami, Takeminakata propose de régler la question par un duel de force entre lui et le Kami de la Foudre. L'issue de l'affrontement change selon les versions. Dans la première, Take-mika-zuchi (le Kami de la Foudre) tente de saisir la main de son adversaire, mais ce dernier la transforme en épée et broie en retour les phalanges de son adversaire. Dans la seconde, c'est le Kami foudroyant qui transforme son poing en lame et tranche la main de son ennemi (cette joute sera considérée comme la toute première démonstration de lutte Sumo).

Au final, qu'il perde ou qu'il gagne, Takeminakata finira par accepter les ordres des Kami du Ciel.

- Le Yasakani no Magata ou Yasakani no magatama est l'un des Trois Trésors Impériaux du Japon. Certains le décrivent comme une perle, d'autres, comme un Magatama.

Dans le "Kojiki" deux objets peuvent avoir abrité le Yasakani no Magata : la chaîne de huit pieds de long et ornée de cinq cents bijoux forgée par "Le Céleste Bijoutier" et le collier de pierres précieuses qu'offre Izanagi à sa fille Amaterasu.

- Le Magatama est un bijou japonais ancien en forme de virgule, de croc, de griffe ou du chiffre neuf. Fabriqué avec divers matériaux (du jade, de l'ambre, du verre, ...), le Magatama, doté de pouvoirs magiques, abriterait l'âme de grands guerriers du passé. De nos jours, certaines prêtresses Shinto portent encore ces bijoux lors des cérémonies.

- Nigihayahi (qui s'appelle Céleste-et-Rapide dans le "Kojiki") est le Kami qui aurait fondé le Clan Mononobe (créé vers 250 et opposé à la diffusion du Bouddhisme au Japon, ce clan était reconnu pour ses talents dans le forgeage d'arme et d'armures).

Selon le "Shoku Nihongi" (livre d'histoire du Japon achevé en 797), Nigihayahi serait descendu du Ciel à bord d'un bateau de pierre.

- Amewakahiko ou Ame-waka-hiko est l'un des Kami envoyé par ses pairs afin d'achever la Terre (ou la préparer pour la venue du descendant d'Amaterasu).

Son histoire varie selon les versions. Dans la première, Amewakahiko accablé par l'ampleur de la tâche, laissera les Kami-gami sans nouvelles pendant huit ans. Ces derniers, voulant savoir où il en est, envoient un oiseau (un faisan appelé Nakime) pour lui intimer l'ordre de se présenter au Ciel. Furieux et embarrassé, Amewakahiko percera le cœur du malheureux volatile à l'aide d'une flèche ; flèche qui montera aux cieux pour atterrir dans l'assemblée des Kami-gami. Récupérant le projectile, l'un des Kami laissera retomber la flèche, qui se fichera dans la poitrine d'Amewakahiko, le tuant sur le coup.

Samuraï
Représentation d'un Samourai du Clan Chosokabe s'exercant au tir à l'arc (illustration de Nabhanuddin Daud).

Dans une autre version, Amewakahiko n'a nulle envie d'obéir aux ordres et il prépare un plan pour régner sur la Terre. Les Kami-gami sans nouvelles, enverront Nakime pour savoir ce que fomente Amewakahiko mais l'oiseau sera intercepté d'une flèche avant d'avoir pu revenir avec la vérité. Comprenant qu'Amewakahiko compte es trahir, les Kami-gami laissent choir la flèche ensanglantée qui se plantera dans le cœur déloyal du Kami.

- Le Clan Chosokabe, dirigé par les Daimyo, est originaire de la Province de Tosa (au Sud de l'archipel japonais) et s'est distingué en unifiant l'île de Shikoku (l'une des quatre grandes îles du Japon) en 1585.

- Le Daimyo (littéralement : "Grande Personne") est un titre de la noblesse japonaise. Ces hauts dignitaires (comparables à des gouverneurs) ont régné sur le Japon du XIIème au XIXème siècle.

- Amenooshihomimi est l'un des cinq Kami mâle né de la poussière des bijoux étincelants d'Amaterasu, mêlée au souffle de Susanoo.

Sa principale contribution à la finition de la Terre aura été de pacifier l'archipel nippon pour permettre à son rejeton, Ninigi de finir le travail.

- Ninigi-no-Mikoto (ou Sume-mi-ma-no-Mikoto, qui signifie littéralement : "Sublime Petit-fils") est le descendant d'Amenooshihomimi et le petit-fils d'Amaterasu (d'où son nom).

Envoyé pour parfaire l'œuvre de son paternel, sa descente sur Terre aura pour nom : Tenson Korin. Il sera accompagné de plusieurs clans de Kami (au nombre de cinq), dirigés notamment par Uzume (la Megami de la danse et de la joie de vivre) et Amenoakarutama (celui qui a forgé la chaîne incrustée de bijoux pour faire sortir Amaterasu de sa grotte).

Ainsi se termine cette première partie qui vous a plongé dans les méandres de la mythologie shintoïste. La suite (que vous pouvez lire en cliquant ici) vous fera découvrir ce qu'il est advenu de Susanoo, son combat contre le fameux Dragon de Koshi, sa découverte de la Kusanagi, et bien d'autres choses, ...

Remerciements :

Cet article (ainsi que l'ensemble de mon travail) est dédié à Pavel, mon cher familier qui a vu la naissance et l'évolution de mes études mythologiques. Puisse-t-il rester à mes côtés et me donner courage et inspiration pour de nombreux autres textes.

Pour la rédaction de cette partie, je remercie :

- Christophe Bastin, pour m'avoir accordé l'utilisation de deux de ses superbes illustrations.

- Les différents artistes (cités sur chaque illustration) dont les créations ont pu égayer cet article.

- Mon père et Élodie Willemsen pour leur aide précieuse dans la relecture et correction finale.

- Val, pour ses conseils avisés sur certains points de détail.

- Aurélien Lezaire, pour m'avoir soufflé l'idée de constituer un arbre généalogique des Kami afin de rendre la compréhension de l'article plus aisée pour les lecteurs.

- Et mes lecteurs qui ont probablement dû se demander à moult reprises si je comptais un jour sortir ce fichu texte.

Idraemir

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