Plongé au coeur de la nuit, affrontant une tempête mémorable, vous êtes juché sur la proue d'un splendide langskip, (littéralement "bateau long", il s'agit d'un navire de guerre nordique effilé et doté de voiles), tournant le dos à vos compagnons d'infortune qui rament avec l'énergie du désespoir afin de lutter contre la tempête qui fait rage, vous offrez votre visage à la pluie cinglante et au vent mordant, comme un défi silencieux adressé aux éléments qui se déchaînent tout autour de l'embarcation qui semble bien frêle dans cette immensité chaotique.
Chaque vague soulève l'esquif taillé pour la vitesse, déversant des paquets d'eau de mer sur le pont, chaque coup de tonnerre résonne dans votre coeur, éclairant fugitivement les visages de vos compagnons, ces derniers laissant entrevoir une palette variée d'émotions : la concentration, la résignation, la terreur,... Certains invoquent à voix haute les dieux Thor, Aegir ou Njödr afin qu'ils épargnent leurs vies et les bribes de paroles qui parviennent à vos oreilles vous arrachent un maigre sourire...
Sourire qui se change bien vite en rictus lorsque vos yeux se posent sur la chose qui émerge des flots. Vous vous demandez d'abord si vous n'êtes pas en train de perdre la raison (vous l'espérez en fait) mais le cri alarmé d'un des marins de votre esquif confirme que vous n'êtes pas victime d'une hallucination.
Là ! Droit devant votre navire, émerge une titanesque forme sombre qui semble se prolonger à l'infini. La chose semble lentement s'extraire des flots telle une île noire d'ébène et vous sentez que vous et votre équipage n'allez pas tarder à rejoindre le banquet du père des dieux, victimes du plus grand fléau de Midgard...
Ce petit essai personnel de littérature fantastique sera le prétexte rêvé pour introduire le dernier des 3 articles spéciaux. En effet, notre long (surtout pour moi vu les recherches intensives que j'ai dû mener...) voyage au pays des Dragons nordiques touche à sa fin. Pour terminer ce dernier en beauté, quoi de mieux que d'aborder le Dragon lié à mon élément de prédilection, à savoir : l'eau.
Comme vous l'avez tous deviné (je suppose), le dernier Dragon n'est rien d'autre que Iormungand le serpent de Midgard (Midgardsormr en vieil islandais). Pour ceux qui ne savent pas ce qu'est Iormungand, je vais vous donner une petite définition tirée du "Dictionnaire infernal" histoire d'éclairer votre lanterne.
"Jormungandur : Serpent monstrueux de l'enfer scandinave, né du diable et de la géante Angerbode."
- Dictionnaire infernal.
Tout d'abord, ne prenez pas cette définition au pied de la lettre... Même si Collin de Plancy (l'auteur du livre) a fait un travail admirable pour ce qui est de la démonologie (qui n'est pas le domaine où je m'y sens le plus à l'aise, pour des raisons que j'évoque souvent dans les articles qui traitent d'Elémentaires), son travail sur les autres types de créatures mythiques m'impressionne beaucoup moins (trop teinté de valeurs chrétiennes qui n'ont rien à faire dans l'histoire, n'en déplaise aux croyants convaincus).
En décortiquant ses dires, je puis déjà vous annoncer que :
- Non, Iormungand ne réside pas en enfer (je suppose qu'il voulait parler du Niflheim, mais il ne s'y trouve pas non-plus).
- Non, il n'est pas le fils du diable ou d'un quelconque Démon. Son paternel Loki n'est ni bon ni mauvais de base (enfin ça dépend des jours et surtout des versions). Autant il a joué des tours pendables au dieux autant il a réussi à les sortir de situations délicates (voilà un parfait exemple qui montre que tenter d'analyser un mythe en le comparant aux valeurs et dogmes actuels ne sert à rien sinon générer une caricature grossière dudit dogme).
- Et non il ne s'appelle pas Jurmungandur, tout comme sa mère ne porte pas le nom d'Angerbode. Aucune version qu'elle soit germanique, nordique ou autre ne semble leur prêter de tels noms (on dira que je chipote pour un rien, mais dans un mythe, le moindre détail a son importance vu qu'une infinitésimale modification peut changer l'intégralité de la trame de l'histoire).
Mais, si ces informations sont erronées, qui est Iormungand ?
Le serpent de Midgard dans toute sa splendeur (illustration de Caroline Lahaise).
Et bien, c'est ce que je vais tenter de vous faire découvrir par le biais de plusieurs mythes nordiques (je me ferai une joie de les analyser ensuite), sans oublier quelques éléments divers et variés qui seront là pour comparer, souligner ou infirmer certains passages des différentes versions qui vont défiler sous vos yeux. Mon outil de travail principal sera bien entendu l'Edda de Snorri (depuis le temps est-il encore nécessaire de présenter de quoi il s'agit ?), mais également de quelques fragments de la Völuspá ("prophétie de la voyante" dans notre bon français. La Völuspá est un poème rédigé en vieux norrois. Probablement écrit vers le Xème ou XIème siècle, ce célèbre poème a été partiellement présenté dans l'Edda, bien que de manière altérée et incomplète. En substance, la Völuspá raconte par le biais d'une prophétesse qui s'adresse au dieu Odin, une série de visions, qui montrent le destin des hommes et des dieux depuis la création du monde jusqu'au Ragnarök).
Bon maintenant que le décor est planté, faisons fi des explications superflues et plongeons dans l'histoire qui va se dévoiler petit à petit sous vos yeux...
La naissance du Titan des océans :
Parmi les Ases, réside celui que certains appellent "calomniateur des tromperies" et "honte de tous les dieux et de tous les hommes" - il porte le nom de Loki (probablement lié au terme "logi" qui signifie feu) ou Lopt (peut-être lié au terme "loptr" ou vent dans la langue de Molière) et c'est le fils du Géant Farbauti (tiré du vieil islandais, son nom signifie : "celui qui frappe dangereusement"). Sa mère est appelée Laufey (feuillage) ou Nal, ses frères sont Byleist et Helblindi (le premier terme est impossible à traduire mais le second signifierait : "l'aveugle de Hel").
Loki et sa "monstrueuse" progéniture : Fenrir, Iormungand et Hel.
Loki est beau et splendide d'apparence, mauvais de caractère, très changeant dans son comportement (un peu comme le feu en somme). Plus que les autres êtres, il possédait cette sagesse qui est appelée rouerie, ainsi que les ruses permettant d'accomplir toutes choses. Il mettait constamment les dieux dans les plus grandes difficultés, mais il les tirait souvent d'affaire à l'aide de subterfuges. Sa femme s'appelle Sigyn, et leur fils est Nari ou Narfi.
Loki avait encore d'autres enfants. Aux Iotunheimar (le Monde des Géants), il y avait une Géante du nom d'Angrboda (celle qui annonce le malheur) et avec qui Loki conçut trois enfants. Le premier était le loup Fenrir (j'aurai probablement un jour le temps de vous en dire plus), le second Iormungand - c'est à dire le serpent de Midgard - et le troisième Hel. Mais, quand les dieux apprirent que ces trois enfants étaient élevés aux Iotunheimar, et lorsqu'ils découvrirent par l'examen des prophéties qu'ils connaîtraient une grande infortune de leur fait, tous estimèrent qu'il ne fallait s'attendre qu'à du mal de la part de ces enfants, d'abord en raison de leur ascendance maternelle (une Géante, race honnie des dieux), et, plus encore, en raison de leur ascendance paternelle (la confiance règne).
Alors Alfadr (ce nom signifie : père universel ou très grand père, je suppose qu'il est lié à Odin le père des dieux) demanda aux dieux d'aller se saisir de ces enfants et de les lui amener. Lorsqu'ils furent mis en sa présence, il jeta le serpent dans la profonde mer, il entoure à présent toutes les terres et se mord la queue. Puis il précipita Hel dans Niflheim et lui donna pouvoir sur les Neuf Mondes afin qu'elle répartît toutes les demeures entre ceux qui lui seraient envoyés (en bref, elle assignera une "résidence" aux trépassés qui rejoindront son royaume glacé) - ce sont les hommes qui meurent de maladie et ceux qui meurent de vieillesse.
Après lecture de ce court extrait, nous pouvons déjà en savoir plus sur Iormungand. Le serpent de Midgard n'est rien d'autre que l'un des 3 rejetons maudits de Loki, dieu du feu et de la malice. Si l'on oublie sa taille gigantesque, Iormungand est bien plus qu'un ophidien (serpent) géant. Ses caractéristiques font de lui un membre exclusif de la prestigieuse famille des Dragons serpentiformes (pas de pattes, un corps serpentiforme et une affinité avec l'élément de l'eau). Par-contre, Iormungand (qui porte également le doux nom de : Jormungandr en vieil islandais) n'est pas à comparer aux Serpents de mer (je ne parle pas des espèces courantes comme le tricot rayé ou serpent olive, mais bien du genre mythique) "classiques", vu que l'origine de ce dernier comme ses caractéristiques diffèrent trop (je me pencherai donc sur ledit sujet une prochaine fois probablement).
Les voyages de Thor :
Le récit qui va suivre va nous donner un nouvel élément crucial (afin d'en savoir plus sur notre Dragon serpent) qui jouera dans la suite des évènements. En effet, ce mythe rempli de symboliques, nous montrera l'origine de la rivalité (haine) entre Iormungand, le serpent de Midgard et Thor, le dieu du tonnerre. Mais, au lieu de vous en dévoiler trop, plongeons-nous plutôt dans la lecture de ce récit et laissons-nous porter par notre imagination au fur et à mesure que vont se déployer phrases et mots...
Le dieu du tonnerre dans toute sa splendeur (illustration de François Chollet).
Le dieu Thor eut un jour l'envie de voir du pays. Il quitta Asgard sur son char tiré par des boucs et emmena avec lui Loki. Le soir après une longue route, ils arrivèrent chez un paysan et reçurent là un gîte pour la nuit. Au cours de la soirée, Thor prit ses boucs et les abattit tous les deux. Après cela, ils furent écorchés et mis dans le chaudron. Quand ils furent bouillis, Thor s'attabla pour souper, de même que son compagnon. Le dieu du tonnerre invita alors le paysan, sa femme et leurs enfants à manger avec lui. Le fils du paysan s'appelait Thialfi et la fille Roskva (Thialfi signifie : "celui qui encercle" et Roskva "vaillant"). Thor plaça les peaux des boucs de l'autre côté du foyer, en direction de la porte, et dit au paysan et à ses gens de jeter les os sur ces peaux. Thialfi, le fils du paysan, tenait à la main l'os de la cuisse d'un des boucs : il le fendit avec son couteau, puis le brisa pour atteindre la moelle.
Thor passa la nuit là. De grand matin, avant le jour, il se leva et s'habilla ; il prit le marteau Miollnir (arme légendaire du dieu du courage, ce dernier avait la capacité de revenir dans les mains de son porteur chaque fois qu'il était lancé), le brandit et bénit les peaux des boucs. Alors les boucs se levèrent, mais l'un des deux boitait d'une patte arrière. Thor s'en aperçut et déclara que le paysan ou l'un des membres de sa maisonnée avait dû agir sans discernement avec les os du bouc, car il voyait bien que l'os d'une cuisse avait été brisé. Point n'est besoin de conter longuement, car chacun peut l'imaginer, qu'elle fut la peur du paysan quand il vit Thor froncer les sourcils : si peu qu'il vît encore de ses yeux, il pensa tomber à terre sous l'effet de ce seul regard. Thor raidit les mains sur le manche de son marteau si fort que ses articulations blanchirent. Le paysan et tous les membres de la maisonnée firent alors ce à quoi il fallait s'attendre : ils poussèrent des cris véhéments, demandèrent grâce et offrirent en compensation ce qu'ils possédaient. Quand Thor vit leur frayeur, la colère le quitta, il s'apaisa et prit leurs enfants Thialfi et Roskva en manière de conciliation (lorsque vous abîmez le véhicule d'un autre conducteur, gagner ses enfants en guise de dédommagement me semble peu avantageux) : ils devinrent tous les deux les serviteurs liges de Thor et l'accompagnent partout depuis lors.
Si l'on excepte le navire qui n'est pas trop d'époque (un trois-mats ça reste anachronique), l'illustration reste magnifique.
Le pays des Géants :
Thor laissa là ses boucs et commença son expédition au Iotunheimar, en direction de l'est. Il effectua tout le trajet jusqu'à l'océan et gagna alors le large afin de traverser cette vaste mer. Quand il atteignit la terre, il monta sur le rivage accompagné de Loki, de Thialfi et de Roskva. Après avoir parcouru une petite distance, ils tombèrent sur une vaste forêt à travers laquelle ils marchèrent pendant toute la journée jusqu'à la tombée de la nuit. Thialfi était le plus rapide des hommes à la course, et c'était lui qui portait le havresac de Thor, mais il contenait peu de provisions (le sac pas le dieu du tonnerre).
Quand il fit sombre, ils se mirent en quête d'un gîte pour la nuit et tombèrent sur une très grande maison ; à l'une de ses extrémités se trouvait une porte, qui était aussi large que la maison elle-même. D'un commun accord, ils décidèrent de se reposer dans cette étrange demeure. Mais, au milieu de la nuit, il y eut un grand tremblement de terre, le sol sous eux se mit à faire des secousses et la maison vacilla. Alors Thor se leva et appela ses compagnons ; ils avancèrent à tâtons, trouvèrent une annexe sur la droite, au centre de la maison, et y entrèrent. Thor prit position dans l'ouverture de la porte, les autres restant en retrait et ayant grand-peur. Mais Thor tenait le manche de son marteau et avait la ferme intention de défendre chèrement sa vie. Toute la nuit durant ils entendirent de grands sifflements et grondements, sans pour autant parvenir à découvrir l'origine de cet épouvantable vacarme.
Représentation possible de notre charmant Dragon lacustre.
Au point du jour, Thor sortit et vit un homme qui était étendu là, tout près de lui, dans la forêt, et qui n'était pas petit (et c'est loin de le dire). Il dormait et ronflait fortement. Alors Thor crut comprendre de qu'elle sorte de bruits il avait été question pendant la nuit. Il se ceignit de sa ceinture de force, et sa "force d'Ase" s'accrut (Megingjord augmente la puissance de Thor afin de l'aider à manier son titanesque marteau). Mais, à ce moment-là l'homme se réveilla, se leva promptement, et l'on dit que, pour une fois, Thor fut saisi de stupeur et hésita à le frapper avec son marteau et qu'il lui demanda son nom. L'homme déclara s'appeler Skrymir (Skrýmir provient probablement du verbe suédois "skrymna", qui désigne le fait de "prendre une très grande place", de "paraître très grand", ou qui peut tout simplement signifier "vantard").
"- Quant à moi, dit-il, je n'ai pas besoin de te demander ton nom, car je vois bien que tu es Thor. Mais, est-ce toi qui as déplacé mon gant ?"
Sur ces entrefaites, Skrymir étendit le bras et ramassa son gant. Thor comprit alors que c'était cela qu'il avait utilisé comme maison pendant la nuit, et que l'annexe n'était autre que le pouce du gant.
Skrymir demanda à Thor s'il voulait de la compagnie pour la route, et Thor accepta. Skrymir prit alors son sac à provisions, le dénoua et fit ses préparatifs pour le déjeuner, Thor et ses compagnons en firent de même. Ensuite Skrymir empaqueta toutes les provisions dans un seul sac et le mit sur son dos. Il marcha en tête pendant toute la journée, en faisant d'assez grandes enjambées. Tard dans la soirée, il leur trouva un gîte pour la nuit sous un chêne. Skrymir déclara alors à Thor qu'il voulait s'étendre pour dormir.
"- Quant à vous, prenez le sac à provisions et préparez votre souper."
Puis Skrymir s'endormit et ronfla fortement. Thor prit le sac à provisions et voulut le dénouer. Mais, pour invraisemblable que cela puisse paraître, il ne parvint pas à défaire un seul noeud. Aucune des lanières de cuir sur lesquelles il s'acharnait ne semblait bouger d'un pouce. Quand il vit que ses efforts ne servaient à rien. Thor se mit en colère : il saisit des deux mains le marteau Miollnir, fit un pas en avant vers l'endroit où Skrymir était étendu et le frappa à la tête. Skrymir se réveilla et demanda si une feuille lui était tombée sur la tête, et également s'ils avaient fini de manger et s'ils étaient prêts à aller se coucher. Thor répondit qu'ils étaient sur le point de dormir. Ils allèrent alors se coucher sous un autre chêne (sans pour autant parvenir à trouver le sommeil).
Illustration de John Cherevka.
Au milieu de la nuit, Thor entendit que Skrymir ronflait et dormait si fermement que la forêt en retentissait. Alors Thor se leva, s'avança vers lui, brandit son marteau promptement et puissamment (il semble que la solution miracle de Thor soit d'aplatir le problème avec Miollnir), et le frappa en plein milieu sur le sommet de la tête. Il sentit que la table du marteau s'enfonçait profondément dans le crâne de sa victime. A ce moment-là, Skrymir se réveilla et déclara :
"- Que se passe-t-il ? Un gland m'est-il tombé sur la tête ? Mais qu'es-tu en train de faire, Thor ?"
Thor recula en toute hâte (un peu comme un enfant qui a fait une bêtise et vient de se faire prendre sur le fait) et répondit qu'il venait de se réveiller, mais qu'il était alors minuit et que c'était encore l'heure de dormir. il considéra alors que s'il trouvait l'occasion d'assener pour la troisième fois un coup à Skrymir, il ferait en sorte que ce dernier ne se réveille plus jamais... Thor passa donc le reste de la nuit à guetter le moment opportun pour porter un nouveau coup au pauvre Géant.
Version très vermiforme de notre écailleux aquatique.
Un peu avant l'aube, il entendit que Skrymir devait s'être rendormi. Alors il se leva, courut vers lui, brandit le marteau de toutes ses forces et lui assena un coup sur la tempe qui lui faisait face : le marteau s'y enfonça jusqu'au manche. Skrymir se réveilla, s'assit et se passa la main sur la tempe en déclarant :
"- Des oiseaux seraient-ils perchés dans l'arbre au-dessus de moi ? En me réveillant, je me suis demandé si quelques brindilles ne m'étaient pas tombées sur la tête. mais es-tu réveillé Thor ? Il doit être l'heure de se lever et de s'habiller. A présent il ne vous reste plus grande route à faire pour atteindre le fort qui est appelé Utgard (Utgardr : "domaine extérieur" : "domaine situé de l'autre côté de la mer qui entoure le monde habité par les hommes et les dieux"). Je vous ai entendu chuchoter entre vous que je n'étais pas de petite taille, mais, si vous pénétrez dans Utgard, vous y verrez des hommes plus grands que moi. Je vais donc vous donner un bon conseil : ne vous comportez pas de façon arrogante, car les hommes d'Utgarda-Loki (littéralement Loki d'Utgardr) ne supporteront pas volontiers des propos présomptueux de la part de petiots comme vous ! Sinon, retournez d'où vous venez ! Et j'estime au demeurant que ce serait ce que vous auriez de mieux à faire. Mais, si vous voulez poursuivre votre expédition, prenez en direction de l'est. Quant à moi, mon chemin me mène à présent vers le nord, en direction des montagnes que vous pouvez voir là-bas."
Skrymir prit alors le sac à provisions, le jeta sur son dos et les quitta en prenant à travers la forêt. Et l'on ne rapporte pas que les Ases lui aient déclaré qu'ils souhaitaient le revoir.
Les épreuves d'Utgard :
Thor et ses compagnons poursuivirent leur chemin et marchèrent jusqu'à la mi-journée. Ils virent alors un fort qui s'élevait sur une plaine, et il leur fallut renverser la nuque en arrière pour en apercevoir le sommet. Ils allèrent jusqu'au fort : devant la porte se trouvait une grille, qui était fermée. Thor s'avança vers elle, mais il ne parvint pas à l'ouvrir. Déployant alors de grands efforts pour pénétrer dans le fort, ils se glissèrent entre les barreaux de la grille. Une fois entrés de la sorte, ils virent une grande halle vers laquelle ils se dirigèrent. Le battant de la porte était ouvert, ils pénétrèrent à l'intérieur et, là ils virent de nombreux hommes, qui étaient assis sur deux bancs et qui, pour la plupart, étaient extrêmement grands (des Géants quoi). Sur ces entrefaites, ils se présentèrent devant le roi Utgarda-Loki, et le saluèrent. Celui-ci prit tout son temps avant de poser les yeux sur eux ; il eut alors un sourire sarcastique qui découvrit ses dents, et il déclara :
"- Les nouvelles véridiques mettent beaucoup de temps à parcourir de longues distances ! Car se peut-il vraiment que, comme je le crois, ce garçonnet soit Thor ? Sans doutes es-tu donc plus puissant que tu ne me parais l'être. Mais, dans quelles disciplines êtes-vous versés toi et tes compagnons ? Nul ne peut en effet être admis parmi-nous s'il ne possède quelque talent ou quelque capacité à un degré plus éminent que les autres hommes."
Alors celui qui se tenait le plus en retrait et qui n'était autre que Loki déclara :
"- Je possède un talent dont je suis tout disposé à faire montre et qui est le suivant : il ne se trouve personne ici qui soit capable de manger aussi vite que moi."
Utgarda-Loki répondit :
"- Il s'agira là d'un véritable talent si tu réalises cette performance. Nous allons donc en faire l'expérience à présent."
Il appela un homme qui était assis sur l'un des bancs au fond de la halle et qui portait le nom de Logi, et il lui demanda de s'avancer dans l'allée centrale et de se mesurer à Loki. Puis on apporta une auge que l'on remplit de viande. Loki s'assit à un bout et Logi à l'autre. Chacun d'entre-eux mangea alors aussi rapidement que possible, et ils se rencontrèrent au milieu de l'auge : Loki avait mangé toute la viande qui se trouvait sur les os, tandis que Logi, lui, avait mangé non seulement toute la viande, mais aussi les os, de même que l'auge. Il apparut donc à tout un chacun que Loki avait perdu la partie.
Illustration de Miguel Regodón Harkness.
Utgarda-Loki demanda alors quel jeu connaissait le jeune homme qui se trouvait là. Thialfi répondit qu'il se mesurerait volontiers à la course avec tout homme qu'Utgarda-Loki désignerait. Ce dernier déclara qu'il s'agissait là d'une discipline remarquable et qu'il avait de bonnes raisons de croire que Thialfi possédait une grande aptitude à la course, puisqu'il voulait pratiquer cette discipline. Il ajouta qu'on allait toutefois en faire rapidement l'expérience. Sur ces entrefaites, Utgarda-Loki se leva et sortit : il y avait là un terrain plat qui se prêtait bien à la course. Il appela un garçonnet nommé Hugi et lui demanda d'affronter Thialfi à la course. Ils prirent le départ pour la première longueur, mais Hugi arriva au bout de la piste avec une telle avance qu'ayant fait demi-tour, il vint à la rencontre de Thialfi.
Utgarda-Loki déclara alors :
"- Tu dois faire plus d'efforts Thialfi, si tu veux gagner ! Mais je dois reconnaître qu'il ne s'est jamais présenté ici d'hommes qui m'aient paru être plus rapides que toi à la course."
Ils prirent alors le départ pour une deuxième longueur, mais quand Hugi fut arrivé au bout de la piste et qu'il eut fait demi-tour, une longue portée de flèche le séparait de Thialfi.
Utgarda-Loki déclara alors :
"- Il me semble que Thialfi cours fort bien, mais je ne crois pas qu'il puisse gagner à présent. Faisons-en cependant l'expérience sur une troisième longueur."
Ils prirent donc le départ une nouvelle fois, mais quand Hugi arriva au bout de la piste et fit demi-tour, Thialfi n'était pas encore parvenu à mi-parcours. Tous déclarèrent alors que l'épreuve avait été concluante.
Variante du serpent de Midgard, illustrée par John Cherevka (à nouveau).
Sur ces entrefaites, Utgarda-Loki demanda à Thor quel était le talent dont il voulait faire la démonstration devant eux, tant étaient grandioses les récits dans lesquels on célébrait ses exploits. Thor répondit que ce qui avait sa préférence était de se livrer à un concours de boisson avec l'un de ses hommes. Ayant déclaré que cela pouvait aisément se faire, Utgarda-Loki rentra dans la halle, appela son échanson et lui demanda d'apporter la corne à boire que les hommes de sa garde étaient habitués à vider en manière de punition (cette corne était désignée en vieux norrois par le,mot composé "vitis-horn", signifiant littéralement : "corne de punition" - de là, la locution verbale : "drekka viti" qui voulait dire : "vider une corne en manière de punition", reflète l'existence d'une coutume certainement très ancienne. Cette dernière d'ailleurs a survécu longtemps en Islande et elle est encore mentionnée au XVIIIème siècle au sujet des banquets nuptiaux). Ensuite l'échanson s'avança avec la corne et la tendit à Thor. Alors Utgarda-Loki déclara :
"- Quand un homme vide cette corne d'un seul trait, on estime que c'est un excellent buveur. Certains la vident en deux traits, mais nul n'est si piètre buveur qu'il ne la vide en trois traits."
Thor regarda la corne et il ne lui sembla pas qu'elle fut grande, encore qu'elle fut passablement longue. Comme il avait grand-soif, il se mit à boire, avala d'immenses gorgées et estima qu'il ne lui serait pas nécessaire d'engager sa tête plus avant dans la corne. Mais lorsqu'il fut à bout de souffle et qu'il dut relever la tête, il regarda ce qu'il avait bu et il lui apparut que, si le niveau dans la corne avait baissé, ce n'était que dans une très faible mesure.
Utgarda-Loki dit alors :
"- Voilà qui est bien bu, mais pas vraiment trop ! Si l'on m'avait dit qu'Asa-Thor ne serait pas capable de boire plus que cela, je ne l'aurais pas cru. Mais je sais que ton intention est de vider cette corne lors du second trait."
Thor ne répondit pas. Il porta la corne à sa bouche, bien décidé à boire plus qu'auparavant. Il but de toutes ses forces aussi longtemps qu'il parvint à garder son souffle, mais il vit à nouveau que la corne n'était pas aussi inclinée qu'il l'eût souhaité. Quand il retira la corne de sa bouche et regarda à l'intérieur, il lui apparut que le niveau avait moins baissé que la première fois : il y avait à présent juste assez d'espace entre le bord et la boisson pour que la corne pût être transportée sans en renverser le contenu.
Utgarda-Loki dit alors :
"- Qu'y a t-il, Thor ? Te réserverais-tu plus qu'il ne convient pour un autre trait ? Si tu dois vider la corne lors du troisième trait, tu as prévu, me semble t-il, que ce sera le plus grand de tous. Mais tu ne pourras pas être tenu ici pour quelqu'un d'aussi important que les Ases le disent, si tu ne montres pas plus fort dans d'autres épreuves que tu ne me parais l'être dans celle-ci."
Alors Thor se mit en colère, porta la corne à sa bouche et but avec toute l'impétuosité dont il était capable. Mais, quand il regarda à l'intérieur de la corne, il vit qu'à présent ce n'était au mieux qu'une faible différence de niveau qui avait été obtenue. Il rendit alors la corne et ne voulut plus boire.
Illustration de Anya Chendak.
Utgarda-Loki déclara alors :
"- Maintenant, il est manifeste que ta force n'est pas aussi grande que nous le pensions. Mais veux-tu t'essayer à d'autres épreuves ? On voit bien à présent que tu ne tires aucun avantage de celle-ci."
Thor répondit :
"- Je vais certes me livrer à d'autres épreuves, mais cela ne m'eût paru étrange, quand j'étais chez moi en compagnie des Ases, d'entendre qualifier des petits de semblables traits. Qu'elle épreuve me proposez-vous donc maintenant ?
Utgarda-Loki déclara alors :
"- Les jeunes garçons se livrent ici à un jeu qui doit paraître insignifiant : ils soulèvent de terre mon chat. Je n'aurais pas osé t'en parler si je n'avais constaté auparavant que tu étais beaucoup moins puissant que je ne le croyais."
Sur ces entrefaites, un chat de couleur grise et de taille plutôt grande arriva vitement au milieu de la halle. Thor s'approcha, lui mit la main sous le ventre pour le soulever. Mais le chat courba le dos au fur et à mesure que Thor étendait le bras. Et, quand le dieu s'étira du plus haut qu'il pouvait, le chat ne souleva qu'une seule patte. Aussi Thor ne put-il remporter cette épreuve.
Thor en train de soulever le chat d'Utgarda-Loki.
Utgarda-Loki déclara alors :
"- Cette épreuve s'est déroulée comme je m'y attendais. Le chat est plutôt grand, tandis que Thor est petit et courtaud, comparé aux hommes de haute taille qui sont ici en notre compagnie."
Alors Thor déclara :
"- Puisque vous me qualifiez de si petit, que quelqu'un vienne donc lutter avec moi ! Me voilà en colère à présent !"
Utgarda-Loki regarda sur les bancs et déclara :
"- Je ne vois ici personne qui n'estimera que ce serait déchoir que lutter avec toi."
Il dit encore :
"-Mais, voyons ! Faites venir ici ma vieille nourrice, Elli et que Thor lutte avec elle, s'il le veut ! Elle a terrassé des hommes qui ne me paraissaient pas être moins robustes que Thor."
Sur ces entrefaites, une vieille femme pénétra dans la halle, et Utgarda-Loki lui dit d'affronter Thor à la lutte. Il est inutile de faire un long récit de ce combat : il se déroula de telle sorte que, plus les efforts déployés par Thor étaient violents, plus Elli se tenait fermement (sur ses jambes). Ensuite, la vieille plaça des clés, et Thor ne tarda pas à perdre pied ; et comme les assauts redoublaient de violence, cela ne prit pas longtemps avant qu'il ne tombât sur un genou. Alors Utgarda-Loki s'approcha, leur ordonna de cesser le combat et déclara qu'il n'était pas nécessaire que Thor conviât à la lutte d'autres personnes dans la halle. Comme, de plus, la nuit était alors toute proche, Utgarda-Loki indiqua à Thor et à ses compagnons un endroit où s'asseoir : ils passèrent là toute la nuit et furent traités avec libéralité.
Le lendemain matin, dès qu'il fit jour, Thor et ses compagnons se levèrent, s'habillèrent et s'apprêtèrent à partir. Sur ces entrefaites, Utgarda-Loki arriva et fit dresser une table à leur intention : ils furent traités avec largesse, tant au niveau de la nourriture que de la boisson. Quand ils se furent restaurés, ils se remirent en route. Les accompagnant, Utgarda-Loki sortit alors du fort avec eux. Au moment de prendre congé, il s'adressa à Thor et lui demanda ce qu'il pensait de son expédition, et s'il avait rencontré auparavant un homme plus puissant que lui. Thor répondit qu'il ne pouvait pas nier qu'il avait subi un grand déshonneur dans son commerce avec lui.
"- Et, de plus, je sais que vous allez me qualifier de minable, et cela me déplait."
Utgarda-Loki déclara alors :
"- Il me faut te dire la vérité maintenant que tu es sorti du fort : tant que je vivrai et que je serai en mesure de décider, tu n'y pénètreras plus jamais. Par ma foi, tu n'y serais jamais entré si j'avais su auparavant que tu possédais une si grande force et que tu nous mettrais ainsi à deux doigts du désastre. Mais je me livrai à ton encontre à des illusions visuelles, en sorte que ce fut moi qui vint au-devant de vous lorsque j'ai découvert ta présence, tout au début, dans la forêt. Puis, quand il te fallut dénouer le sac à provisions, tu ne pus trouver l'endroit où l'ouvrir, car je l'avais attaché avec des liens de fer ensorcelé (le sens n'est pas sûr, car Snorri emploie ici l'énigmatique substantif composé "grésjárn", littéralement : "fer travaillé" et l'emprunt probable au vieil irlandais "grés", "objet d'art", "travail artistique"). Ensuite tu m'assenas trois coups de marteau : le premier fut le moins fort, mais il fut cependant si violent qu'il eût suffit à me tuer s'il m'avait atteint. De fait, ces trois vallées de forme carrée, dont l'une est plus profonde que les autres, que tu as vues sur le haut-plateau de la montagne proche de ma halle, ce sont les traces de ton marteau. Je brandis cette montagne face à tes coups, mais cela tu ne le vis point. Il en alla de même lors des épreuves disputées avec les hommes de ma garde. Au cours de la première, Loki, qui avait grand-faim, mangea gloutonnement. Mais celui qui s'appelait Logi (personnification du feu, de la flamme) n'était autre que le feu sauvage, aussi ne mit-il pas plus de temps à consumer l'auge que la viande. Quand Thialfi affronta à la course celui qui s'appelait Hugi (personnification de l'esprit), ce dernier n'était autre que mon esprit, aussi ne fallait-il pas s'attendre que Thialfi rivalisât de rapidité avec lui. Et toi, quand tu bus à la corne, il te sembla que cela allait lentement, mais par ma foi, il s'opéra alors un prodige que je n'aurais pas cru possible : le bout de la corne se trouvait en effet loin de l'océan, ce que tu ne vis pas. Mais, quand sur le chemin du retour tu atteindras le rivage, tu pourras voir quelle baisse du niveau de la mer tu provoquas alors en buvant."
C'est cela qui porte à présent le nom d'estran (l'estran est plus ou moins une partie du littoral, située entre les limites extrêmes des plus hautes et des plus basses marées. C'était la minute culturelle).
Illustration d'Emile Denis.
Il poursuivit :
"- Le fait que tu soulevas le chat ne me sembla pas moins remarquable. Pour te dire la vérité, tous ceux qui virent que tu parvenais à soulever de terre l'une de ses pattes prirent peur, car ce chat n'était pas ce qu'il te paraissait être : c'était le serpent de Midgard (il a fallu le temps pour qu'il sorte de sa tanière n'est-ce pas ?), qui se trouve tout autour des terres et dont la taille est à peine assez grande pour que sa queue et sa tête puissent toucher la terre. Mais toi, tu le soulevas tant et tant que tu ne fus plus qu'à une courte distance du ciel. Ce fut également une grande merveille qui se produisit quand tu résistas si longtemps et tu ne tombas que sur un seul genou lors de ta lutte avec Elli (la "vieillesse"), car nul n'a jamais existé et nul n'existera jamais qui, pour autant qu'il atteigne un âge avancé, ne soit finalement terrassé par la vieillesse. A vrai dire, nous allons à présent nous séparer, et il vaut mieux pour les uns et pour les autres que vous ne reveniez plus me faire visite. Dans le cas contraire, je défendrai mon fort en recourant à des semblables artifices, ou à d'autres, en sorte que vous ne pourrez exercer le moindre pouvoir sur moi."
Quand Thor entendit ces propos, il saisit son marteau et le brandit bien haut, mais lorsqu'il s'apprêta à le lancer, il ne vit nulle part Utgarda-Loki. Il se retourna alors vers le fort avec l'intention de le détruire, mais il ne vit là qu'une belle et vaste plaine, et point de fort. Thor fit alors demi-tour et poursuivit son chemin jusqu'à ce qu'il fut revenu chez lui aux Thrudvangar. Mais ce qui est certain, c'est qu'il prit alors la décision de chercher à susciter une rencontre entre le serpent de Midgard et lui-même, et ce fut ce qui se produisit par la suite.
Si le récit semble mettre du temps à faire entrer en scène Iormungand, ce dernier nous livre tout de même une précieuse information : l'origine de la rivalité entre le serpent de Midgard
et le dieu du tonnerre. En effet, ces deux protagonistes seront
désormais liés l'un à l'autre pour le meilleur et pour le pire jusqu'à
la tragique conclusion du Ragnarök que nous pourrons voir plus en détail plus tard.
Pêche en eaux troubles :
Le mythe suivant assez ancien et connu grâce à plusieurs poèmes scaldiques (la Húsdrápa et la Ragnarsdrápa notamment), par un poème eddique (la Hymiskvid) et par plusieurs scènes gravées sur des monuments de l'ère viking (principalement la pierre runique d'Altuna, dans la province d'Uppland en Suède, et la croix de Gosforth, dans la province du Cumberland en Grande-Bretagne) va mettre en scène la seconde rencontre de Thor avec son vieux camarade de jeux. Mais sans plus attendre à nouveau, entrons dans le récit...
Illustration de Yoshinori montrant la seconde rencontre entre Iormungand et Thor.
Thor était à peine rentré de sa dernière expédition, qu'il songeait déjà de nouveau à parcourir la lande (mais cette fois avec un but bien précis en tête). Il fit ses préparatifs de voyage, et cela si hâtivement qu'il partit sans char, sans boucs et sans compagnon de route. Ayant pris l'apparence d'un jeune garçon, il sortit de Midgard et arriva un soir, à la tombée du jour, chez un Géant qui s'appelait Hymir (parfois orthographié Ymir dans certains manuscrits de l'Edda, ce nom est attesté sous la forme de Hymir dans la tradition norroise. Selon les hypothèses les plus vraisemblables, son nom qui est rattaché au crépuscule, signifierait : "celui qui assombrit"). Celui-ci lui offrit l'hospitalité, et Thor passa la nuit-là.
Au point du jour, Hymir se leva, s'habilla et fit ses préparatifs pour aller pêcher en mer. Mais Thor se leva d'un bond, se prépara rapidement et demanda à Hymir de l'emmener au large avec lui. Le Géant lui dit qu'il ne lui serait pas d'un grand secours, lui qui n'était qu'un petit garçon -"Et tu vas être transi de froid si je reste au large aussi longtemps et aussi loin que j'ai accoutumé." Mais Thor lui répondit qu'il ne devait pas hésiter à aller au large pour la bonne raison que ce n'était pas certain qu'il serait le premier à demander à rentrer, et il se mit dans une telle colère contre le Géant qu'il fut sur le point de faire claquer sur lui son marteau. Mais il décida de s'en abstenir, car c'était en un autre endroit qu'il se proposait de mesurer ses forces. Il demanda alors à Hymir avec quoi ils amorceraient, et ce dernier lui dit de se procurer lui-même des appâts. Thor se dirigea vers l'endroit où il voyait un troupeau de boeufs appartenant à Hymir. Il prit le plus grand d'entre-eux, qui était appelé Himinhriot (probablement : "celui qui mugit dans le ciel"), lui arracha la tête et l'amena au rivage. Hymir venait de mettre à l'eau sa barque. Thor monta à bord s'assit sur le banc de nage situé au milieu de l'embarcation prit deux avirons et se mit à ramer. Hymir trouva que le bateau prenait de la vitesse sous l'effet de ses rames. Lui-même ramait à l'avant, et ils allaient bon train.
Représentation de Iormungand tentant d'attraper l'appât que Thor lui a préparé.
Bientôt, Hymir déclara qu'ils étaient arrivés sur les bancs de pêche où il avait accoutumé de s'arrêter et de prendre des poissons plats. Mais Thor déclara qu'il voulait aller beaucoup plus loin, et, à nouveau, ils firent force de rames. Bientôt, Hymir dit qu'ils étaient parvenus si loin au large qu'il était dangereux de pousser plus avant en raison du serpent de Midgard. Mais Thor déclara qu'il voulait ramer encore un moment. C'est ce qu'il fit, et la mine de Hymir se rembrunit.
Quand Thor eut rentré les avirons, il apprêta une ligne plutôt solide dont l'hameçon n'était ni moins solide ni moins robuste qu'elle. Il accrocha la tête de boeuf à l'hameçon, le jeta par-dessus bord, et l'hameçon toucha le fond. A vrai dire, ce qui se passa alors fut que Thor n'abusa pas moins le serpent de Midgard qu'il n'avait lui-même été tourné en ridicule par Utgarda-Loki quand il souleva le serpent d'une seule main.
Iormungand ouvrit grand la gueule sur la tête de boeuf, et l'hameçon se planta dans son palais. Quand il sentit cela, le serpent réagit en faisant des mouvements si véhéments que les deux poings de Thor heurtèrent le plat-bord. Alors Thor se mit en colère, s'arma de sa "force d'Ase" et s'arc-bouta si fermement des deux pieds que ceux-ci passèrent aussitôt à travers le bateau. S'arcboutant alors sur le fond de la mer, il tira le serpent jusqu'au plat-bord. Et l'on peut dire que nul ne sait ce qu'est un spectacle terrifiant qui n'a vu celui-ci : Thor foudroyait du regard le serpent, et, en retour, ce dernier le fixait de bas en haut en crachant du venin.
Thor en train de ferrer Iormungand.
On rapporte ici que le Géant Hymir changea de couleur, blêmit et fut pris de frayeur quand il vit le serpent et se rendit compte que la mer entrait et sortait à flots dans la barque. Au moment même où Thor saisissait son marteau et le brandissait bien haut, le Géant s'empara à tâtons du couteau à appâts et trancha d'un coup la ligne de Thor sur le plat-bord. Le serpent plongea alors dans la mer, mais Thor lança sur lui son marteau. Certains disent qu'il lui arracha la tête au milieu des flots, mais je crois au contraire que la vérité oblige à dire que le serpent vit encore (je confirme l'information) et qu'il se trouve dans l'océan situé tout autour des terres. Quant à Hymir, Thor lui assena un coup de poing sur l'oreille, en sorte que l'infortuné Géant fut précipité par dessus-bord et que l'on put voir la plante de ses pieds. Puis Thor regagna à pied le rivage (un certain charpentier barbu de ma connaissance ne semble pas être le seul à pouvoir faire son footing matinal sur les flots).
Dans ce mythe, Thor semble rongé par l'humiliation qu'il a subi, au point de passer pour une brute prête à tous les sacrifices pour accomplir sa vengeance. On pourrait presque plaindre le pauvre Géant Hymir (qui n'est pas à comparer au Géant des origines Ymir, même si l'auteur Snorri semble l'avoir confondu dans son Edda), qui accueille à bras ouverts Thor, accepte de l'emmener à la pêche, lui cède la plus belle bête de son troupeau pour finalement se retrouver projeté six pieds sous mer (ben oui il n'y a pas beaucoup de terre en pleine mer). La taille du serpent de Midgard semble également fort variable suivant les récits où il est présenté et comme dans la plupart des mythes, les proportions et autres exactitudes du même tonneau ne semblent pas vraiment être les premières préoccupations des auteurs.
Le crépuscule des dieux :
Certains s'en souviendront sans doute, mais j'ai déjà présenté il y a fort longtemps le Ragnarök sous une forme épurée (pour les néophytes mais également pour la simple raison que ma bibliothèque dans le domaine, était beaucoup moins fournie en informations sur le sujet à l'époque). Cette fois-ci, vous aurez sous les yeux la version de l'Edda légèrement mélangée avec celle de la Völuspá (n'oubliez pas que je tente de modifier le moins possible ce type de texte hormis pour rendre sa lecture plus abordable dans certains passages), nous montrant la dernière rencontre entre Thor et Iormungand ainsi que son dénouement...
La première chose qui annoncera le Ragnarök sera l'hiver appelé Fimbulvetr ("Grand Hiver") : la neige tombera alors en rafales des quatre points cardinaux et il y aura de grandes gelées et des vents acérés. Le soleil ne brillera pas. Trois hivers semblables se succèderont, et, entre eux, il n'y aura pas d'été. Mais, auparavant, surviendront trois autres hivers au cours desquels de grandes batailles se dérouleront à travers le monde entier - alors, poussés par la cupidité, les frères s'entre-tueront, et ni le meurtre ni l'inceste n'épargneront les pères et les fils. Voici ce qui est dit dans la Völuspá :
"Les frères s'affronteront
Et se mettront à mort.
Les cousins violeront
Les lois sacrées du sang.
L'horreur règnera parmi les hommes,
La débauche dominera.
Viendra l'époque des haches et l'époque des épées,
Brisés seront les boucliers.
Viendra l'époque des tempêtes et l'époque des loups
Avant que le monde ne s'effondre."
Il se produira alors des évènements qui seront considérés comme étant de la plus grande importance : un loup dévorera le soleil, et les hommes estimeront que cela est un terrible malheur. Un autre loup s'emparera de la lune (Skoll et Hâti), et il provoquera lui aussi un immense dommage. Les étoiles disparaîtront du ciel. Voici également ce qui surviendra : la terre entière se mettra à trembler, de même que les montagnes, à tel point que les arbres seront déracinés, que les montagnes s'écrouleront et que toutes les chaînes et les liens cèderont et se rompront.
Iormungand sortant des flots lors du Ragnarök.
Alors le loup Fenrir (retenu avec un lien magique tissé par les Nains) se libèrera. Alors l'océan déferlera sur les terres, parce que le serpent de Midgard, saisi par sa "fureur de Géant", gagnera le rivage. Il adviendra aussi que Naglfar (ou Naglfari, signifiant littéralement : "bateau construit avec des ongles". Il semble en effet, qu'il existe d'anciennes croyances liées au caractère maléfique des ongles des morts. Il faut cependant noter, que certains auteurs lui ont donné le nom de "bateau des cadavres", par erreur de traduction probablement...) se détachera, le bateau qui est appelé ainsi parce qu'il est fait des ongles des hommes morts - et c'est pour cela qu'il faut prendre garde à ne pas mourir avec des ongles qui n'auraient pas été coupés, car tout homme qui meurt ainsi accroît grandement le matériau nécessaire à la construction de Naglfar, bateau que les dieux et les hommes ne voudraient voir achevé que fort tard. Ce sera dans ce déferlement des flots que Naglfar prendra la mer, piloté par le Géant qui s'appelle Hrym (Hrymr : peut-être lié à l'adjectif "hrumr", "fragile", mais cela n'est guère convaincant). Le loup Fenrir marchera la gueule béante, la mâchoire inférieure rasant la terre et la mâchoire supérieure touchant le ciel, et il l'ouvrirait encore davantage s'il y avait de la place. Des flammes jailliront de ses yeux et de ses narines. Le serpent de Midgard soufflera tellement de venin qu'il en aspergera l'air tout entier ainsi que la mer. Il sera absolument effrayant et il s'avancera aux côtés du loup.
Dans ce tumulte, le ciel se déchirera et les fils de Muspell en surgiront, montés sur leurs chevaux. En tête viendra Surt, précédé et suivi par un feu dévorant, et l'excellente épée qu'il possède brillera plus intensément que le soleil. Mais, quand il chevaucheront sur Bifrost, ce pont se brisera, comme cela a été dit plus haut. Les fils de Muspell progresseront alors vers la plaine appelée Vigrid (Vigrdr en vieil islandais et pouvant se traduire par : "champ de bataille"). C'est là aussi que viendront le loup Fenrir et le serpent de Midgard. C'est là également qu'arrivera Loki ainsi que Hrym et, avec ce dernier, tous les Géants du givre, tandis que l'entier cortège de Hel (les morts du Niflheim) accompagnera Loki. Les fils de Muspell formeront à eux seuls un corps de bataille, extrêmement brillant, sur la plaine Vigrid, laquelle s'étend sur cent lieues dans toutes les directions.
Le serpent de Midgard déversant son poison sur le monde (par Wotansvogel).
Quand ces évènements surviendront, Heimdall se lèvera et soufflera fougueusement dans Giallarhorn : il réveillera tous les dieux et ils tiendront aussitôt conseil. Odin chevauchera alors jusqu'à la source de Mimir afin de demander conseil à Mimir pour lui-même et pour les siens. Le frêne Yggdrasil se mettra à trembler, et la peur s'emparera de toute créature, tant au ciel que sur la terre. Les Ases et tous les einherjar (les combattants sélectionnés pour entrer au Valhöll) revêtiront leurs armures et s'avanceront vers la plaine. En tête chevauchera Odin, portant heaume d'or et magnifique broigne, et tenant sa lance qui est appelée Gungnir. Il marchera droit sur le loup Fenrir. A ses côtés chevauchera Thor, mais il ne pourra lui venir en aide, parce qu'il aura fort à faire quand il se battra contre le serpent de Midgard. Freyr affrontera Surt, et ce sera là une terrible rencontre jusqu'au moment où Freyr tombera. La cause de sa mort sera qu'il lui manquera l'excellente épée qu'il donna à Skirnir. Alors se libérera également le chien Garm (le chien de Hel) qui est attaché devant la caverne de Gnipahellir ("caverne encastrée dans une falaise abrupte") ; c'est le plus terrible monstre qui soit. Il affrontera Tyr, et ils se donneront la mort l'un à l'autre. Thor tuera le serpent de Midgard et fera encore neuf pas avant de tomber mort à terre, en raison du venin que le serpent crachera sur lui. Le loup (Fenrir) engloutira Odin, et telle sera sa mort. Mais aussitôt, Vidar s'avancera et posera le pied sur la mâchoire inférieure du loup. A ce pied, il porte la chaussure dont la matière a été assemblée de toute éternité : ce sont les morceaux de cuir que les hommes rognent à la pointe et au talon de leurs chaussures, et c'est la raison pour laquelle tout homme qui veut venir en aide aux Ases doit jeter ces rognures. D'une main il saisira la mâchoire supérieure du loup et lui déchirera la gueule : telle sera la mort du loup. Loki livrera bataille à Heimdall, et ils se donneront la mort l'un à l'autre. Ensuite Surt lancera des flammes sur la terre et incendiera le monde entier. Voici ce qui est dit dans la Völuspá :
Illustration de Maximilian Jasionowski.
"Heimdall souffle haut
Dans le cor élevé.
Odin va consulter
La tête de Mimir.
Le frêne Yggdrasil
Frémit de toute sa hauteur.
Il gémit le vieil arbre.
Le géant s'est libéré.
Qu'en est-il des Ases ?
Qu'en est-il des Elfes ?
Tout le monde des géants gronde,
Les Ases tiennent conseil.
Les nains gémissent
Devant les portes de pierre,
Eux, les familiers des falaises.
En savez-vous d'avantage, vraiment ?
De l'est arrive Hrym
Brandissant le bouclier,
Le monstre immense (Jormungandr) se met
Dans une fureur de géant ;
Le serpent fouette les flots,
L'aigle va glatir,
Nidfol déchirera les cadavres,
Naglfar se détache.
De l'est vogue le bateau,
Sur la mer vont venir
Les hommes de Muspell,
Et Loki le gouverne.
Surgira l'engeance
Des géants avec le loup.
Le frère de Byleist
Avec eux fera route.
- Pour précision, Býleistr est le frère de Loki.
Du sud s'avancera Surt,
Le feu flambant à la main.
De l'épée jaillit
Le soleil des dieux des occis.
Les falaises s'effondrent,
Les femmes-trolls trébuchent.
Sur le sentier de Hel s'avancent les guerriers
Tandis que le ciel se déchire.
Alors vient à Hlin
Une seconde douleur
Quand Odin se met
En marche contre le loup.
Mais le meurtrier de Beli,
L'étincelant, va combattre Surt.
Alors va périr
Le plaisir de Frigg.
- Hlin est un des autres noms de la déesse Frigg, sa première douleur a été la perte de Baldr et la seconde sera la perte de son époux (le plaisir de Frigg désigne d'ailleurs encore une fois le dieu Odin). Le meurtrier de Beli fait par-contre référence au dieu Freyr.
Arrive le fils d'Odin
Pour combattre le loup,
Vidar se met en route
Contre la bête féroce.
De la main, il enfonce
L'épée dans le coeur
Du fils de Hvedrung.
Alors est vengé le père.
- Hvedrungr semble être l'un des noms de Loki et ce vers semble désigner Fenrir.
Arrive le célèbre
Fils de Hlodyn,
Voué à la mort
Par l'infâme serpent.
Tous
les hommes délaisseront
Leur demeure terrestre
Quand avec fureur frappera
Le défenseur de Midgard.
- Hlódyn est probablement l'un des noms de Jord, la mère de Thor. Les deux vers parlant du fait que "Tous les hommes délaisseront leur demeure terrestre", signifie tout simplement que toute l'humanité périra après le combat qui mettra aux prises le dieu Thor, qualifié ici de : "défenseur de Midgardr", et le serpent "monstrueux" (on pourra dire qu'ils ne font pas dans la dentelle).
Le soleil s'obscurcira,
La terre sombrera dans la mer,
Les étoiles resplendissantes
Disparaîtront du ciel.
La fumée tourbillonnera,
Le feu rugira,
Les hautes flammes
Danseront jusqu'au ciel."
Thor et le serpent de Midgard dans un dernier combat.
Voilà que Thor et Iormungand se sont affrontés pour la troisième et dernière fois, un combat qui n'aura pas fait de vainqueur et qui laissera derrière lui une humanité brisée voire détruite... Au sujet de nos deux compères, je ne puis vous donner que quelques vers tirés de la Völuspá, qui relate leur combat sous un angle légèrement différent :
"Alors arrive le glorieux
Fils de Hlódyn,
Le fils d'Ódinn s'en va
Tuer le serpent,
Occit en courroux
La sentinelle de Midgardr ;
Tous les hommes vont
Déserter leur demeure ;
Le fils de Fjörgyn,
Epuisé, recule
De neuf pas devant la vipère
Sans craindre la honte."
- La Völuspá.
Mais derrière cette longue suite de combats dualistes qui se soldent par la disparition des deux camps, demeure un mince rayon d'espoir. En effet, contrairement à ce que beaucoup peuvent croire, le Ragnarök n'est pas la fin de toute chose, loin de là. Il serait plus l'incarnation de la fin d'une ère qui laissera sa place à une autre, et, c'est ce que nous allons voir de suite...
Le combat des titans, illustré avec talent par Robert Chew.
Le renouveau du monde :
La terre surgira de la mer, et elle sera verte et belle. Les champs donneront des fruits sans avoir été semés. Vidar (fils d'Odin qui a causé la perte du loup Fenrir) et Vali (autre fils d'Odin qui vengera Baldr) survivront, car ni la mer ni le feu de Surt ne leur auront fait de mal. Ils habiteront à Idavoll, là où autrefois s'élevait Asgard. C'est là aussi que viendront les fils de Thor, Modi et Magni ("fureur" et "force"), lesquels seront en possession de Miollnir. C'est là encore que se rendront Baldr et Hodr, en provenance de Hel. Tous ensemble, ils prendront place et converseront : ils évoqueront leurs antiques secrets et s'entretiendront de tous les évènements qui autrefois se déroulèrent, du serpent de Midgard et du loup Fenrir. Ils trouveront dans l'herbe les tablettes d'or (il semblerait qu'il s'agisse des pièces de jeu utilisées par les Ases au commencement des temps, lors de l'âge d'or décrit à la strophe VIII de la Völuspá) qui avaient appartenu aux Ases. Voici ce qui est dit ici :
"Vidar et Vali
Habiteront les demeures divines
Quand s'éteindra le feu de Surt.
Modi et Magni
Possèderont Miollnir
Quand
cessera le combat de Vingnir."
- Vingnir signifie littéralement : "celui
qui agite" (une arme), il s'agit de l'un des noms du dieu Thor. Son sens est donc :
"Quand prendra fin le combat livré par Thor au serpent de Midgard".
Deux êtres humains, dont les noms sont Lif ("personnification de la vie") et Leif-thrasir ("persistance de la vie" ou "persistance de ce qui a survécu"), se cacheront à l'endroit appelé : "bois de Hoddmimir" ("holt" serait un mot norrois désignant un bois ou un bosquet. Hoddmimir exprime donc l'idée de trésor associé soit au personnage mythique Mimir, soit à l'idée de conservation) pendant (que fera rage) le feu de Surt, et se nourriront de la rosée du matin (vivre d'amour et d'eau fraiche prendra tout son sens cette fois). Ils auront une descendance si nombreuse que le monde entier en sera peuplé comme il est dit ici :
"Lif et Leif-thrasir,
Ils se cacheront
Dans les bois de Hoddmimir,
Et de la rosée du matin
Ils se nourriront.
Ce sont d'eux que les hommes naîtront".
Mais ceci va te paraître merveilleux : Sol ("sólin" : le soleil qui ici est féminin) aura donné naissance à une fille, qui ne sera pas moins belle qu'elle. Elle empruntera les chemins parcourus par sa mère, comme il est dit ici :
"A une fille
Alfrodull donnera naissance
Avant
que Fenrir ne la rattrape.
Elle chevauchera, cette vierge,
Sur les chemins de sa mère,
Quand les puissances divines périront".
- Alfrodull signifie auréole des Elfes (qui désigne elle-même le soleil). Pour ce qui est du vers mentionnant Fenrir, il s'agit probablement d'un synonyme pour le loup ou qu'il existe différentes versions du Ragnarök.
Les terres renaissent de leurs cendres et une nouvelle génération de dieux et d'hommes émergent pour former un monde nouveau, cette fin (ou ce début) laissera sans doute plus optimiste que la conclusion brutale du Ragnarök, nous laissant ainsi l'esprit plus tranquille pour à la suite...
L'Ouroboros nordique :
Certains d'entre-vous l'auront sûrement remarqué, mais il semble que l'on parle beaucoup du fait que Iormungand le serpent de Midgard soit si grand qu'il encercle les terres en finissant par se mordre la queue. Cette position étrange n'est pas anodine et porte un nom bien précis : Ouroboros (terme à l'origine grec qui a été latinisé et signifie littéralement : "qui se mord la queue").
Un Ouroboros "féérique", réalisé par Rosie Lauren Smith.
Ce symbole représente le cycle éternel de la nature, voire le début et la fin de toutes choses (il faut rajouter que Iormungand par sa présence seule maintenait les océans en place). Le serpent de Midgard était donc une sorte d'incarnation du changement (comme Nidhogg), un symbole d'espoir et de renouveau diront certains (donc encore une fois, il faut aller au-delà de la simple apparence "monstrueuse" pour extirper le véritable rôle de notre ami écailleux).
Iormungand n'est pas le seul ophidien qui se mord la queue dans les mythes et légendes. Pour n'en citer que quelques uns, voici une petite liste d'Ouroboros :
- Amphisbène : créature de la mythologie romaine (appelée aussi : "amphisbaenae"), l'Amphisbène (littéralement : "reine des fourmis") est une sorte de serpent qui possédait une tête à chaque extrémité. Selon l'auteur Lucain (poète romain né en 39 après J.C.), cette créature serait née du sang de la Gorgone Méduse (à noter qu'une autre créature fabuleuse est née du même sang, mais, je vous en parlerai sans doute plus tard) alors que le héros Persée survolait (chaussé des sandales ailées du dieu Mercure) le désert de Libye, tenant à la main son macabre trophée laissant choir le sang qui donna naissance à cette étrange créature.
Série de croquis représentant divers Ouroboros par Rodrigo Vega.
- Apophis : Divinité de sinistre réputation de la mythologie égyptienne (son nom égyptien étant d'ailleurs : "Aapep" et se traduirait littéralement par : "géant" ou "serpent géant"), Apophis serait le dieu de la nuit, du chaos et personnifierait le mal. Son rôle ne s'arrête cependant pas à incarner la malfaisance, vu qu'il est "tenu" tous les jours de tenter d'avaler Rê (dieu suprême représentant l'astre de jour) et sa barque solaire alors que ce dernier voyage sur le Noun (océan primordial). Mais, chaque jour Apophis se retrouve vaincu et chaque lever de soleil ajoute une victoire au palmarès du dieu solaire. Le rôle d'Apophis est donc différent de ses collègues serpentiformes, vu qu'il a pour objectif d'interrompre la course du soleil et mettre fin au cycle mis en place (Apophis représente donc les éclipses solaires).
- Coatl : mot Nahualt (ancienne langue encore parlée au Mexique) qui signifie : "serpent" ou "jumeau". Il s'agit du nom d'une créature présente dans le calendrier Aztèque. Représentée souvent sous les traits d'un serpent ailé aux ailes multicolores (comme l'arc-en-ciel), il est représenté dans le jeu de rôles : Donjons et Dragons sous le nom de Couatl.
Magnifique illustration représentant un Coatl.
- Shesha : serpent de la mythologie indienne qui représenterait la succession des univers (je reste peu bavard sur ce dernier vu que lui aussi fera l'objet d'un article plus complet dans le futur).
L'Ouroboros existe encore dans d'autres mythologies (africaine, chinoise, phénicienne,...), mais pour ce genre de détails, je vous laisse faire vos propres recherches. Cet illustre symbole a été employé à maintes reprises en alchimie (symbole d'unité éternelle de toute choses) par exemple et est encore employé de nos jours, par certaines sectes, en littérature fantastique(lisez la Roue du Temps de Robert Jordan si vous voulez une bonne référence en la matière) et probablement dans d'autres domaines plus spécialisés.
Conclusion :
Et voilà que s'achève notre long et périlleux voyage au royaume des Dragons du Nord. J'espère comme toujours, que la route n'a pas été trop longue, et que votre lecture aura répondu à la plupart des questions que vous vous posiez sur le sujet. J'ai pris un immense plaisir à faire ces longues recherches pour en générer le travail que vous avez sous les yeux, et je pense reprendre ma plume sous peu, pour vous offrir une autre odyssée sous d'autres horizons lointains, à la recherche d'autres créatures qui peuples les mythes et les songes de notre monde.
Idraemir
Pendant de longues années j'ai amassé une quantité non-négligeable de savoirs sur de nombreux domaines (en particulier les mythes et légendes ainsi que la théologie). J'ai pu distiller ce savoir au fil de mes écrits sur divers BBS et me suis promis de leur trouver un coin pour les éventuels lecteurs, voire encore ceux qui désirent les redécouvrir. Sur ce, une bonne lecture à vous et si d'aventure vous désirez vous abonner, cliquez sur les liens à droite dans les liens utiles. Au plaisir !
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dimanche 17 février 2013
Iormungand, le serpent de Midgard
Libellés :
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Waouw, quel travail! Je n'ai fait que survoler (il se fait un peut tard) mais je garde précieusement de coté pour y trouver des renseignement lorsque je lis ou vois quelque chose faisant référence à ces "légendes".
RépondreSupprimerMerci
Je te remercie. Pas de soucis pour le rapide survol, certains articles sont courts et d'autres demandent parfois une lecture attentive en plusieurs fois tant j'ai dû y ajouter des informations...
SupprimerN'hésite pas à me dire s'il te semble qu'il manque un détail ou une référence que j'aurai pu oublier (et au plaisir).